Il y a des disques dont on tombe amoureux instantanément, tout de suite. Ils ont un petit je ne sais quoi qui les différencie de la masse et quand on a compris qu’on était irrémédiablement accro à eux, on n’a qu’une envie : les écouter en boucle jusqu’à la fin des temps. Ces disques là, pourtant, souvent, n’ont pas fait la meilleure des impressions à la première écoute : on a reconnu leur beauté, mais on n’a pas compris du premier coup.

Tenez, prenez Migala. Ce groupe espagnol m’a été révélé par leur reprise des Cure, "Plainsong", qu’ils ont transformé en plainte s’accordant parfaitement au titre de la chanson (je vous laisse chercher la subtilité via un dico d’anglais...) et aussi par le fait que leur nouveau guitariste, Nacho Vidal, est un transfuge de mon groupe espagnol chouchou, Manta Ray, que j’avais découvert via un split EP avec Diabologum... les chemins de l’indie-rock sont impénétrables...

Hé bien, Migala, j’ai découvert sur leur dernier album, "La increible aventura", vachement rock, vachement instrumental, proche de Mogwai en un peu plus speed. Ouais, pas mal, me suis-je dit. Alors du coup je vais écouter tous leurs disques, hein. C’est comme ça de nos jours, l’excès est facile et commun.

Et voilà ce que m’a dit l’écoute de leurs disques : musique sombre, dans les eaux des Tindersticks, de Smog ou de Lambchop, avec un côté postrock pas désagréable, bon cru. Et ce splendide album où ils font des reprises de leurs propres chansons (avec une première chanson inoubliable, mais on en reparlera un jour) : "Restos de un incendio"... et un jour, un jour...

en voiture, machinalement, je mets un cd, le premier album de Migala, "3AM Diciembre", que je n’avais certainement pas du écouter de façon attentive auparavant, parce que quand les premières notes de "A fistful..." s’égrènent, je prends une claque monumentale. Et je rectifie, non, non, pas "dans les eaux" des Tindersticks ou de Lambchop, mais bien mieux que ça. Une atmosphère désertique et d’une splendeur sans pareille, une voix à la fois chaleureuse et brisée, des guitares merveilleusement en place... quel est ce groupe qui pourrait aussi bien faire la BO de n’importe quel film de David Lynch ou de Jim Jarmusch sans avoir l’air anachronique ?

Je laisse tourner, les amis, et alors là, c’est "Sweet Anarchy", interpretation du titre des Sex Pistols légèrement modifié : "she ain’t no antichrist, she ain’t no anarchist, doesn’t know what she wants but she knows how to do it, she wanna destroy my poor heart"... remplacer la violence nihiliste punk par une peine de coeur incomprise, je vous laisse juges, mettez une musique d’un calme mélancolique par dessus et là, vous plongez dans un monde extraordinaire et cotonneux, qui s’enchaîne sur la plus belle reprise de Mazzy Star jamais faite ("Fade into you", version masculine, voix ouatée et guitares neurasthéniques), puis un "That woman" magistral... Tout s’enchaîne comme dans un rêve jusqu’à la fin, en passant par deux versions dantesques de "Isabella Afterhours", un extraordinaire "Last December" et une reprise du "Moon River" de Mancini, magistrale... Penser que la moitié de l’album a été enregistré en 4 pistes peut rendre fou, tant la qualité des textures sonores est impeccable.

Les références cinématographiques ou littéraires sont évidentes (Le dialogue de "Stranger than paradise" sur la première partie de "Isabella Afterhours", le titre "Kerouac", le poème "An Irish Airman" de Yeats mis en musique), les bruits d’ambiance et autres samples nombreux (Beastie Boys, Maurizio Kagel, Kurt Schwitters, Julio Cortazon, des bruits de tables, chaises, des bruits de la vie...) et la musique à la fois aride et chaleureuse, à la manière caressante mi-ironique mi-désespérée de Lambchop ou Smog. Est-ce parce qu’on a tourné des westerns en Espagne que le parallèle avec la musique du coeur des Etats-Unis est si présent ?

On ne sait pas, mais en écoutant cela, on repense à une traversée de l’Espagne et à ses plateaux désertiques, et on se prend à rêver de la même traversée des States...