IRM Expr6ss #16 - spécial hip-hop : Sacco & Vanzetti, your best friend jippy, Godfather Don, Nuse Tyrant, Cognac Kingz, K.A.A.N. & DJ Hoppa
Dernier IRM Expr6ss de l’année consacré une nouvelle fois à ce hip-hop des franges qui dans les années 90, on en reste persuadé, aurait dicté la norme qualitative d’un genre encore capable à l’époque de concilier personnalité, créativité et succès public.
Aujourd’hui, les vrais amateurs le savent et le déplorent un peu plus chaque année, ces artistes singuliers et maîtres de leur art, en porte-à-faux avec les canons racoleurs et au mieux médiocres de ce qu’est devenu le mainstream depuis la fin des années 2000 et en particulier l’explosion populaire de la trap dans les 10s, sont cantonnés à l’appréciation de quelques poignées de connaisseurs et inconnus des médias "rap" grand public, dont la plupart de toute façon ne savent même plus ce que hip-hop veut dire (un indice : non, ça n’est pas synonyme d’entertainment pop/r’n’b/variète bling-bling de vendus). La faible mise en avant de ces six albums le confirme, pourtant tous classés entre la 25e et la 35e place de mon top annuel du genre en approche ce weekend.
Sacco & Vanzetti - BEHEMOTH (Slater & Morrill, 21/05)
On ne va pas vous parler de Nicola et Bart mais d’un duo du New Jersey constitué de Sko au micro et The Shah à la production. 4e album déjà en trois petites années pour la paire dont on n’avait bizarrement jamais entendu parler malgré de beaux featurings d’Alaska (Atoms Family) et Defcee sur le génialement titré It’s Not Paranoia If They’re Really Out To Get You fin 2022, le gargantuesque BEHEMOTH, à rebours de cette tendance à la "concision" (euphémisme) que l’on regrette parfois dans le rap indépendant aujourd’hui, nous tombe dans les oreilles grâce à la participation de l’excellent NAHreally sur le cristallin Kill Shit For et fait ainsi office de révélation tardive. Pas moins de 26 titres, un chouia inégaux forcément mais dans l’ensemble sacrément bien troussés, une vibe sombre et tendue à la croisée de feu Def Jux et du meilleur de Non Phixion entre flow véhément et instrus mêlant synthés dystopiques, sampling cinématographique et scratches virevoltants, avec quelques incursions plus psyché/planantes (Running of the Bulls), baroques et décontractées (Gold) ou jazzy et déstructurées (HOWMUCHYABENCH)... l’album ne manque pas d’arguments pour assurer sa longévité par-delà le coup de coeur de la découverte, auxquels s’ajoute, pour ne rien gâcher, un artwork absolument magnifique. Tout à fait le genre de disque en somme qui aurait encore grapillé des places dans mon classement de fin d’année si j’avais eu davantage de temps pour l’explorer.
your best friend jippy - Unidentified Friendly Object (Autoproduction, 19/12)
L’un de ces "albums de producteur" que j’affectionne, Unidentified Friendly Object bénéficie avant toute chose du sens de l’atmosphère et de la narration par samples interposés (façon film de SF des années 50, cf. par exemple l’emballant Rocket Science) de l’Australien Julian Osborn aka your best friend jippy, stakhanoviste depuis une grosse demi-douzaine d’années de la beat tape aux courts instrus lo-fi et de l’album de "remixes" par le biais d’acapellas samplés. Finalement repéré par le beau linge comme en témoignent d’entrée de jeu les feats de Kool Keith, Lord Apex et Tha God Fahim sur le mélancolique Stars Align (puis plus loin de Guilty Simpson, Phat Kat, ou encore M.E.D sur Adventures Underground, chouette hommage au score du film de Mario Bava "Danger : Diabolik !" signé Morricone), le natif de Perth reste fidèle ici à son goût des sonorités organiques et rétro à tendance psyché (Stereoscopic Rangefinder, Moogs and Memory Banks) tirant sur des ambiances jazzy surannées (Spaceship Earth, Radiation Research) ou une funk minimale réminiscente du début des années 80 (Wullenwever, Flying Saucers), mais avec un regain d’ambition appréciable en termes de cohésion. Une réussite évocatrice en diable dont les morceaux rappés brillent autant que les instrumentaux et vice-versa.
Godfather Don - Thesis (hhv Records, 30/08)
Je parlais rapidement par ici de l’introductif Full Court Press mentionné en bonne place parmi mes chansons de l’année pour le souffle épique de ce sample de Gainsbourg auquel le New-Yorkais oppose un flow paradoxalement posé, mais même si la triplette d’ouverture de ce nouvel opus de l’ex Cenobites (projet qui le vit croiser le fer avec Kool Keith au début des 90s) met un coup de chaud à la suite, il faut avouer qu’entre la tension très blaxploitation du génial .32 Shots avec son orgue à la Lalo Schifrin au second plan et la virtuosité des cuts et scratches du virevoltant Definite, Thesis mettait d’emblée la barre très haut. Entièrement produit par Godfather Don lui-même, sans intervenant extérieur à l’exception d’un unique featuring (la chanteuse Vilma Agosto aux harmonies vocales sur le romantique My Obligatory Love Story qui à titre personnel me laisse un peu de marbre), le disque n’en reste pas moins un indispensable de ce cru 2024, particulièrement remarquable pour son sens du sampling orchestral au lyrisme savamment dosé (Steps, The Power And The Glory, Three Strikes), l’énergie à l’ancienne des beats et des platines (Thesis, Yes Yes Y’all, Step It Up) et son soupçon de mélancolie (The Blessing, Top Of The World). Disons simplement que j’aurais pris mon pied encore davantage si une vibe plus sombre à la Checkmate s’était emparée du gros de l’album, aux atmosphères parfois un peu trop "légères" à mon goût (Sweat, Recognize)... pinaillage quoi qu’il en soit, pour un disque qui mérite beaucoup plus d’amour qu’il n’a l’air d’en avoir reçu jusque là.
Nuse Tyrant - NUTSO (M25, 13/12)
Définitivement l’une des révélations cette année côté labels, l’écurie de San Diego Module 25 (M25 pour les intimes) nous a également régalés, entre autres, du superbe Remedial Rhapsody signé Cut Beetlez x Rizzi Konway (cf. mon classement des EPs de l’année) et du petit bijou El Enmascarado du prodo hispanophone Ghostvolume dont on vous parlera sous peu. Justement croisé au micro sur deux titres de ce dernier, Nuse Tyrant se dévoile ici en artiste complet, beatmaker et rappeur sur ce successeur du chouette mais moins surprenant Juxtaposed Echoes sorti cet été et mis en musique par Clypto (producteur pour Napoléon Da Legend ou plus récemment IAMGAWD) et un certain Trust One du collectif New Cocoon via des instrus souvent beatless. Loin de cette relative facilité, NUTSO emballe d’emblée avec ses productions aux breaks inspirés et aux samples sombres et dépressifs, le beatmaking se révélant rapidement moins évident qu’il n’y paraît avec des signatures rythmiques en apparence bancales mais retombant joliment sur leurs pattes sur des morceaux comme Fractions, Never Underestimate The Silent Ones ou dans une moindre mesure Contests And Context. Quant au flow assez libertaire du bonhomme, il délivre en un souffle ses courants de conscience conçus comme des duos schizophrènes avec lui-même, souvent à contretemps ou en donnant l’impression de se foutre un peu du beat... et pourtant l’ensemble, qui n’a pour défaut que d’être trop court, fonctionne assez fabuleusement comme un bricolage de haute volée.
Cognac Kingz (Him Lo x Giallo Point) - LO Frasier (Grilchy Party, 25/10)
Mise en avant l’an dernier dans notre podcast IRM #21, l’association du rappeur américain Him Lo (moitié des cogneurs Da Buze Bruvaz) et du Britannique Giallo Point aux manettes fait des étincelles sur ce 6e opus commun, dont l’hommage même mal orthographié au multiple champion du monde des poids lourds et éternel rival de Mohamed Ali n’aura échappé à personne, artwork à l’appui. En parlant d’Ali, c’est avant tout Giallo Point qui pique comme l’abeille ici avec ces instrus percutants aux irrésistibles gimmicks polyrythmiques qui voient les sonorités cristallines et autres samples rétro de vieux films noirs chers à l’Anglais passer au second plan d’une tension sombre et inquiétante. Faisant la part belle aux cuivres et aux basses, même si le jazz et la mélancolie ne sont jamais bien loin (Mixed Drinks et White Castle on Boston Road respectivement, ou encore ce morceau bonus à la Michel Legrand, Himbrandt, qui n’avait vraiment rien à faire hors de la tracklist officielle du disque), LO Frasier laisse néanmoins le coup de grâce à Him Lo, qui habite l’ensemble d’un flow résolu à l’efficacité particulièrement redoutable. Probablement à ce jour la plus belle réussite de ce prolifique duo.
K.A.A.N. & DJ Hoppa - Delusions Of Grandeur (Broken Complex, 10/05)
Enfin, on termine sur une autre paire magique, d’un côté Brandon Perry, rappeur du Maryland régulièrement accoquiné avec le producteur Big Ghost LTD dont les amateurs du label/collectif Griselda ont probablement entendu parler, de l’autre Lee Gresh, beatmaker californien aux manettes de la petite mais très active structure Broken Complex Records. Ensemble, outre une poignée de singles, les Américains sont signé deux albums cette année : In Due Time, petit précis d’efficacité qui tentait joliment de tracer un pont entre boom bap et productions plus actuelles aux basses massives et aux samples vocaux pitchés, et surtout ce Delusions Of Grandeur donc, dont les atmosphères plus sombres et travaillées lorgnent sur le rap anglais du caveau de Lee Scott et de ses Cult of the Damned. Un parallèle qui trouve sa source dans l’omniprésence des samples de piano funestes autant que dans le flow étrangement british de K.A.A.N., à la fois chien fou et menaçant même si on est ici dans quelque chose de moins insidieux et un peu plus rentre-dedans que les sorties de Blah Records. À suivre de très près !
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