Bodega + Ciel - L’Antipode (Rennes)
le 31/05/2024
Bodega + Ciel (Antipode, Rennes)
Depuis leur premier album Endless Scroll, sorti en 2018, Bodega décline un mélange de post-punk et d’indie rock assez singulier et, après l’excellent Broken Equipment précédemment chroniqué dans nos colonnes, Our Brand Could Be Yr Life, sorti il y a une poignée de semaines, voit le combo new-yorkais confirmer son immense potentiel.
Ce vendredi 31 mai, à l’Antipode de Rennes, Johnnie Carwash puis Ciel ouvraient pour les Américains, et l’arrivée trop tardive ne permettra pas de profiter de la totalité du set des seconds qui enflammeront néanmoins la salle avec leur "tube" Baby Don’t You Know, qui n’a pas grand-chose de révolutionnaire mais s’avère extrêmement efficace dans une veine rappelant à la fois Soccer Mommy ou Wet Leg teinté d’un soupçon de shoegaze qui, sur scène, laisse entrevoir un potentiel supérieur au groupe de seconde division qu’une écoute trop distraite de l’album avait laissé entrevoir.
Après des interludes animés par un DJ Set des organisateurs du Pies Pala Festival qui se tiendra la semaine prochaine et que nous avions interviewés il y a tout juste un an venait l’heure de Bodega. Ou plutôt l’heure et demie. Pas un exploit d’endurance pour le commun des mortels, mais lorsque les morceaux sont enchaînés tambour battant, sans parfois même le moindre répit, avec une agressivité intacte tout au long du set (à l’exception d’un tout petit creux au milieu sur l’enchaînement Comatose Chameleon, Set the Controls for the Heart of the Drum et Gyrate) au point de jouer la bagatelle de rien de moins que 28 morceaux, la performance devient immédiatement plus spectaculaire.
Le public pourtant nombreux de l’Antipode a étrangement mis une petite demi-heure pour se mettre dans l’ambiance, ce qui s’explique sans doute par la politique tarifaire à 5 euros pour les abonnés, qui a probablement attiré de nombreux spectateurs "curieux" mais peu sensibilisés à la discographie du quintet. Passée cette demi-heure d’attentisme, l’Antipode entrera dans une forme de furie où les pogos et slams s’enchaînent de manière compulsive, sans que ces artifices ne viennent constituer le centre d’intérêt principal.
Non, c’est bien Nikki Belfiglio, au centre de la scène dans une robe rose-rouge, micro dans une main et baguette dans l’autre pour assister aux percussions un batteur qui jouera tout le set debout, qui assure le spectacle, répondant régulièrement (plus discrètement qu’à l’accoutumée, cela dit) à un Ben Hozie coiffé d’un étrange bonnet et vêtu d’un haut vert, ces deux tenues contrastant avec les teintes sombres des vêtements de leurs trois compères.
Plus puissant qu’à La Route du Rock l’été dernier - on vous recommande vivement le visionnage de ce concert très bien filmé par Arte - ce set laisse toutefois moins de place aux voix, mixées un petit peu en retrait. Un parti pris artistique du groupe, probablement, tant la justesse du chant du binôme est aussi addictive sur scène que sur les platines. Pas besoin de recourir à un artifice quelconque pour masquer des déficiences techniques éventuelles.
Au-delà de la prestation du quintet, l’élément le plus frappant de ce concert reste cette étrange et récurrente sensation, quand Bodega démarre un titre, qu’il s’agit-là d’un hit underground, qu’il s’agisse de Doers, évidemment, passerelle la plus évidente vers l’univers des New-Yorkais, mais également G.N.D. Deity, Tarkovski, Bodega Bait, Stain Gaze ou même ATM pour représenter le dernier album, déjà un classique, et les évidents Territorial Call of the Female, neuvième titre du set qui a vraiment commencé à déchaîner le public, Thrown, Statuette on the Console, Shiny New Model, Dedicated to the Dedicated ou Can’t Knock the Hustle, Warhol ou How Did This Happen ?.
Insistons. Il ne s’agit pas que d’une succession de titres sympathiques choisis aléatoirement. Non. Chacun de ceux-ci est un véritable hymne underground porté par un quintet impeccable déclinant une recette somme toute classique dans le milieu indie, mais avec suffisamment de personnalité, de créativité, de maîtrise technique et, surtout, un sens de la scène sans pareil. La complicité des musiciens est évidente, leur synchronisation est même parfaite lorsqu’ils s’effondrent en même temps à la fin d’un morceau selon une cadence qui pourrait rendre jaloux certains athlètes olympiques de natation synchronisée et, rappelons-le, le charisme de Nikki confère à lui seul un supplément d’âme évident.
L’évidence. C’est peut-être le sentiment qui émerge le plus de ce set rugueux mais néanmoins mélodique. Intense, également. Et sans recourir au name-dropping, quel plaisir de voir un groupe contemporain, formé il y a une demi-douzaine d’années, capable de manger à la table de LCD Soundsystem ou des trop hâtivement oubliés The Go ! Team sans avoir à baisser les yeux. Mais sans se prendre pour quelqu’un d’autre, en témoigne l’accessibilité des musiciens lors de leur passage au merch après le concert.
Bodega, pour résumer, c’est très bien sur disque, et exceptionnel en concert. La performance de ce vendredi le confirme et nous vous conseillons vivement d’assister à l’une de leurs cinq dates françaises en octobre 2024.
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