Pour débattre de 2024 (2/3)
Sans doute notre lectorat, plus nombreux en 2024 que n’importe quelle autre année post-Covid, apprécie-t-il les formats plus resserrés que nous adoptons désormais. Les longues chroniques se font rares, ce qui n’empêche pas les articles fleuves puisque nous aimons trier, classer et forcément débattre, ce qui fait par exemple de nos bilans mensuels de belles opportunités de découvertes. Je saute sur l’occasion pour partager avec vous un bilan tout personnel de cette année musicale. Il y aura forcément de l’underground mais aussi, et c’est ma petite particularité dans l’équipe, (un peu) de mainstream (tout relatif, ne vous attendez pas à voir Billie Eilish pour autant) et même de l’autopromotion (à dose homéopathique, une mention par partie). Ce qui nous fera donc trois volets contenant chacun 8 albums (pour faire 24 en 2024), une autopromotion et un bonus.
16. Systems Officer - In Our Code
D’abord passé en dehors de nos radars, ce nouveau disque de Systems Officer, combo mené par Zach Smith le co-fondateur de Pinback, mérite bien plus qu’une écoute distraite. S’il déborde parfois vers un univers trop emphatique pour être réellement efficace (My Keep), In Our Code n’en contient pas moins quelques paires de titres enthousiasmants, qu’ils soient poignants (Tremble) ou plus lumineux (Joust, The Broken Ones). Les amateurs de l’univers de Pinback ne seront pas dépaysés car le jeu de basse de Armistead Burwell Smith IV, tellement identifiable, n’a pas perdu une once d’efficacité depuis 2012 et la dernière production des Californiens. Ils apprécieront probablement un sommet tel que This Side, sorte de petit frère de l’inégalable Loro, et se surprendront à découvrir, ici et là, une facette plus électronique qui, fort heureusement, ne prend pas trop le dessus puisqu’il faut bien avouer que cette direction n’est souvent pas celle qui sied le mieux à Systems Officer. A ce bémol près, l’album est excellent, à conseiller à tous les amateurs d’indie rock aux arpèges raffinés mais néanmoins dynamique et bavard.
15. Lunologist - Sleep Now Voyager
Me voilà bien embêté. J’aime tellement le travail d’Eddie Palmer que ce nouvel opus de Lunologist sera devancé par deux autres de ses projets. C’est dire si l’Américain est prolifique et constant. Mais autant je voue un culte à ses travaux en duo avec Cloudwarmer et Aries Death Cult, autant je trouve - seulement - très bonnes ses productions en tant que Fields Ohio ou Lunologist. Mais ça c’étant avant ce Sleep Now Voyager qui ne dépareillerait clairement pas dans la discographie de Cloudwarmer tant il explore de contrées musicales puisque, outre le trip-hop, Eddie Palmer multiplie les abstractions vers la drum and bass, l’ambient et même une électro allemande à la Moderat. Enthousiasmant.
14. Kelpe - LP10
"Peut-être moins démonstratif qu’à l’accoutumée, Kelpe privilégie sur ce LP10 les atmosphères, et je dois bien avouer que cela me correspond tout à fait puisque j’ai toujours été très sensible aux ambiances en matière d’electronica. Et puis, cette batterie en bonne et due forme, là où les beats digitaux sont quasi-exclusivement utilisés par tous ses acolytes, confère une dose suffisante de singularité pour se laisser embarquer par l’univers de Kel McKeown, à la fois délicat et rempli de savoureux télescopages électroniques".
Lire l’avis des copains dans le bilan d’avril.
13. Bodega - Our Brand Could Be Yr Life
Délicieux souvenir de concert au mois de mai à L’Antipode, Bodega a su transformer l’essai deux ans après un Broken Equipment qui marquait une montée en puissance depuis le son des débuts. Sur Our Brand Could Be Yr Life, rien de tout à fait comparable à l’inégalable tube urbain Doers, mais un ensemble sans doute plus cohérent, sans la moindre fausse note. L’alternance de chant masculin/féminin, une basse vitaminée, des percussions survoltées et un jeu de guitare efficace, il n’en faut pas beaucoup plus pour que la mayonnaise prenne, à l’exception peut-être d’un supplément d’âme dont les New-Yorkais ne manquent de toute façon pas. Capables de manger à la table de The Go ! Team, CSS ou même LCD Soundsystem dans ce registre rock mutant sous acide.
12. The Smile - Cutouts
"Initialement récréatif, le projet The Smile devient de plus en plus sérieux et prend donc une nouvelle ampleur. Jonny Greenwood et Thom Yorke n’ont plus à s’encombrer des attentes des fans de Radiohead (reverra-t-on un jour le quintet d’Oxford réuni ? Rien n’est moins sûr) et peuvent donc expérimenter de nouvelles formes, allant de sonorités jazzy autour desquelles Radiohead tournait déjà en 2001 sur l’excellent Life in a Glasshouse à l’usage retrouvé de l’électricité pour traduire un mélange de rage, d’espoir et de résignation. Et surtout, last but not least, le trio semble avoir travaillé sur la coloration de la basse sur ce Cutouts, ce qui n’est pas pour me déplaire, l’absence de Colin Greenwood dans The Smile constituant désormais son seul désavantage par rapport à son encombrant grand frère, Tom Skinner assurant si bien derrière les fûts qu’il parvient quant à lui à faire oublier Phil Selway.
Lire l’avis des copains dans le bilan d’octobre.
11. Tokee - ЛЕЯ
On connaît Tokee pour ses masterings d’une grande partie de la sphère underground que l’on défend dans nos colonnes (j’ai moi-même eu l’honneur de voir l’un de mes albums mastérisés par le camarade). Mais avec ЛЕЯ, le Russe publie chez Mahorka sa production la plus aboutie. Si la pochette rappelle vaguement celle du Spiderland de Slint, son contenu n’a rien à voir et l’on nage cette fois dans des eaux teintées d’IDM et d’ambient mélodique. Il se passe toujours quelque chose sur ce disque aux sonorités léchées et ambitieuses, mêlant synthétiseurs tantôt menaçants voire crépusculaires, tantôt presque solaires, à des rythmiques saccadées et envoûtantes. Un grand disque.
10. 154 fRANKLIN - O. P. M.
Son auteur, que l’on connaît surtout sous le pseudonyme d’Innocent But Guilty et qui, décidément, sera omniprésent dans ce bilan, confiait récemment que ce disque n’avait pas trouvé son public. Certains retours ont fait état de productions pas aussi complexes qu’à l’accoutumée mais c’est, me semble-t-il, tout l’intérêt de ce side projet. Avec 154fRANKLIN, le ton est plus léger, et ces boucles aussi répétitives qu’enthousiasmantes dans un registre abstract hip-hop constituent tout simplement ma bande sonore préférée pour faire du sport. Ces écoutes répétées, voire compulsives, ne viennent-elles pas prouver qu’O.P.M. a malgré tout su trouver son (maigre) public ?
9. Godspeed You ! Black Emperor - "NO TITLE AS OF 13 FEBRUARY 2024 28,340 DEAD"
Encore un album très politique que ce nouveau cru de Godspeed You ! Black Emperor mais il s’agit de ne pas s’y tromper. Il n’y a pas qu’avec ce titre que les Canadiens frappent fort. Radical mais pas dénué d’intérêt (petite pique à son prédécesseur) car entre les quelques drones désormais habituels, c’est bien le post-rock rugueux cher à la bande menée par Efrim Menuck que l’on retrouve ici. Des guitares lancinantes, des percussions martiales, des arrangements de cordes sublimes et des transitions dominées par des spoken words hantés. La machine ne fonctionne jamais aussi bien que lorsqu’elle réemploie la recette originale, tout en l’actualisant. Derrière Luciferian Towers, le meilleur cru de ce GY !BE post-reformation, assurément.
Bonus
Un chouette EP : Djane Ki & Innocent But Guilty - Remote Exploration EP
Difficile de parler d’un chef-d’œuvre de la musique électronique qui, en seulement quatre titres, brasse aussi large que l’IDM, l’ambient, la musique cinématographique voire même la jungle façon Ninja Tune. Que du bon et, si je suis déjà un admirateur des travaux d’Innocent But Guilty, voilà qui m’a convaincu de m’intéresser de près à ceux de la prolifique Vanessa Jeantrelle.
Autopromotion : Valgidrà - Warplush Vol. 3
Sorti fin avril, ce troisième volet de mes pérégrinations Warpiennes (et mon quatrième LP en solo) a davantage trouvé son (relatif) public que son prédécesseur, sorti alors qu’il n’était pas tout à fait abouti. La leçon a été retenue et j’ai choisi de polir ce disque avant de le publier. La direction reste, globalement, la même : des circonvolutions électroniques souvent cotonneuses façon Boards of Canada, mais également quelques cut-up, abstractions ou polyrythmies s’inspirant davantage d’Aphex Twin. Sans doute le disque de cette série sur lequel je parviens le plus à trouver une identité sonore continue et, je dois le dire, peut-être celui dont je suis (modestement) le plus fier. En espérant que ces quelques mots incitent quelques personnes à se faire une idée sur son contenu.
Valgidrà sur IRM
Djane Ki sur IRM
Innocent But Guilty / Psychotic Kingdom sur IRM
Systems Officer sur IRM
Lunologist sur IRM
Godspeed You ! Black Emperor sur IRM - Site Officiel
Kelpe sur IRM - Site Officiel - Bandcamp
Bodega sur IRM
The Smile sur IRM
Tokee / Anatoly Grinberg sur IRM - Bandcamp
154 fRANKLIN sur IRM
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