Laura Marling - Patterns in Repeat
Un nouveau mètre-étalon folk en 2024, on nous l’aurait vendu qu’on n’y aurait pas cru. Et pourtant, en plus de sortir son meilleur album, Laura Marling vient de mettre fin à une quinzaine d’années de disette pour le songwriting intimiste et les guitares en bois, avec un Patterns in Repeat digne des derniers vrais chefs-d’oeuvre du genre à défaut de leur ressembler, Illinoise de Sufjan Stevens et Heavy Ghost de DM Stith en tête. Une merveille absolue de romantisme maternel à écouter au coin du feu, seul ou à deux.
1. Child Of Mine
2. Patterns
3. Your Girl
4. No One’s Gonna Love You Like I Can
5. The Shadows
6. Interlude (Time Passages)
7. Caroline
8. Looking Back
9. Lullaby
10. Patterns In Repeat
11. Lullaby (Instrumental)
La Britannique, multi-nominée aux Grammy et au Mercury Prize telle une bouée de sauvetage dans un océan de médiocrité, on l’appréciait depuis les harmonies vocales du premier Noah and the Whale, avec un capital sympathie grandissant pour ses albums solo, en particulier à partir de Short Movie. Un univers musical qui n’avait eu de cesse depuis ce 5e opus de gagner en ampleur et en évidence, de s’affranchir des quelques minauderies dylaniennes du songwriting et autres affèteries baroques d’héritière avouée de Joni Mitchell pour se rapprocher d’une expression plus épurée, creuser un sillon personnel fait de mélancolie solaire, de mélodies vocales aux accents crève-coeur et d’arrangements d’une vibrante modestie, qui culminait jusqu’ici sur Song For Our Daughter en 2020, conçu comme un guide pour une enfant imaginaire qui a désormais pris chair avec la naissance l’an dernier de sa première fille à laquelle ce nouveau long-format est dédié.
Car tout ça, c’était avant. Avant ce Patterns in Repeat proprement terrassant de beauté à chaque instant, qui n’a probablement plus personne d’autre en point de mire dans l’Histoire de la folk - si ce n’est peut-être The Innocence Mission à leur meilleur - que l’inaccessible Nick Drake, seul musicien du genre auquel on osera encore comparer la Londonienne même si leurs approches sont profondément différentes. Personne d’autre en effet, à notre connaissance, pour conjuguer tant d’émotion sincère, de confiance magnétique et sereine dans le chant, de finesse dans la construction, de pure empathie des arrangements et de subtilités singulières pourtant dénuées de toute ostentation dans cette assimilation, notamment, de la chamber music contemporaine à l’exemple du désarmant No One’s Gonna Love You Like I Can - ce qui était également le cas de l’auteur de Five Leaves Left avec le sublime Day is Done sur ce dernier, le poignant inédit Magic et bien sûr le célébré Bryter Layter.
Il faut dire qu’au côté de la musicienne, qui fait toujours presque tout par elle-même dans son home studio de la capitale anglaise, deux présences demeurent essentielles : celles du Britannique Dominic Monks, ingé son sur l’opus précédent devenu coproducteur ici, également apprécié pour son travail avec Big Thief (dont on retrouve le guitariste Buck Meek aux harmonies vocales sur le céleste Child of Mine d’ouverture), et surtout du violoniste, arrangeur et chef d’orchestre new-yorkais Rob Moose, fondateur de l’ensemble de musique de chambre yMusic sur le label de classique contemporain New Amsterdam - dont l’influence se ressent notamment sur l’interlude Time Passages aux beaux restes de musique répétitive -, instrumentiste à l’oeuvre sur plus de 500 albums et auquel Sufjan Stevens (celui d’Illinoise justement), My Brightest Diamond, Joanna Newsom ou Perfume Genius, entre autres, doivent beaucoup.
Cette fois donc, et au risque de décontenancer quelques fans de la première heure, plus besoin d’oripeaux extravertis ni de mélodies alambiquées comme avec l’increvable Gurdjieff’s Daughter, sommet de Short Movie il y a déjà presque une décennie. La magnificence de Patterns in Repeat, à la mesure de ses thématiques de maternité, d’extraordinaire dans ce qu’il y a pourtant de plus naturel - enfanter, voir son bébé grandir et perpétuer un cycle de vie aussi fragile qu’immuable, découvrir aussi les conséquences de ce changement sur son existence, plus complexes qu’on ne l’imaginait, et les formes de nostalgie qu’il engendre - tient dans son évidence et son apparente simplicité, paradoxalement doublée d’une ambition inédite dans la narration musicale.
Au crescendo de textures rêveuses, d’échos et de cordes savamment dosées de Patterns et aux choeurs séraphiques de Your Girl répond ainsi un peu plus loin le sommet désespéré du disque, The Shadows, qui en croise les éléments pour mieux les retourner, de l’espoir au spleen affligé. Quant au capiteux Caroline - pour le coup très Bert Jansch meets Dylan sous les auspices de Nick Drake aux arrangements - qui vient immédiatement rejoindre les morceaux des Beach Boys et de Spain (Station 2) au panthéon des plus belles odes au prénommées Caroline jamais composées, ses élans ne font que mieux ressortir l’introspection délicatement orchestrée du très beau Looking Back qui lui fait suite puis le repli encore plus intimiste d’un Lullaby bucolique aux accords de Cavatina maternelle, dont la reprise instrumentale après un Patterns in Repeat de nouveau ample et enivrant avec sa coda de violons à la Andrew Bird ou Laura Veirs circa 2007, permettra paradoxalement d’ouvrir l’album à une forme d’infini dans sa circularité même, parfaite incarnation de cet éternel recommencement des choses à l’échelle du monde menant à autant de petits bonheurs uniques à notre humble degré... un merveilleux vertige sans avoir l’air d’y toucher.
En deux mots, et avant d’en reparler tout en haut d’un futur bilan de fin d’année (probablement, avec Beth Gibbons et The Smile, l’un de nos seuls points de convergence en 2024 avec les médias culturels mainstream qui semblent déjà en pamoison devant l’album... on les comprend), Laura Marling a tout simplement tué le game du guitare-voix débranché : c’est bon, la folk c’est plié, vous pouvez tout arrêter.
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