Le streaming du jour #1549 : CHARAN PO RANTAN - ’Rose Balkan’
C’est désormais une habitude : on scrute le catalogue de Specific Recordings et on en écoute la moindre occurrence inédite. On sait qu’on sera désarçonné mais qu’à la fin, c’est l’authenticité qui gagnera. La preuve par CHARAN PO RANTAN.
Un vinyle rose bonbon - rose balkan ? - un cochon rose en peluche et un accordéon. Des robes bariolées, des collants pas beaucoup plus unitaires, des petites souliers vernis. OK, ça sent la bonbonnière et le délire régressif. Avant même d’avoir commencé l’écoute, on sait déjà plus ou moins à quoi s’attendre. Ça sera forcément sucré, gentiment inoffensif et on l’écoutera en cachette, en balançant quelques pochettes à tête de mort dans la pièce au cas où quelqu’un y rentrerait inopinément. On a sa fierté et ses idées reçues, même à plus de quarante balais. Bon alors, c’est quoi ce disque ? À vrai dire, on peut dire que son titre en résume parfaitement la teneur. C’est rose et ça sent les Balkans. L’imagerie ne trompe pas non plus sur la marchandise. Il y a beaucoup d’accordéon et c’est plein de couleurs. On y entend aussi pas mal de voix de poupée. Logiquement, eu égard à tous ces disques de metal de la mort dont on s’est entouré durant l’écoute, on devrait détester.
Ben non, c’est raté. Enfin, si, quand même, la première écoute fut difficile mais c’est toujours pareil avec les fausses japoniaiseries de Specific Recordings. Au départ, on trouve ça suspect et après coup, à chaque fois, on s’y laisse prendre. Mais quand même, là, il a fallu dépasser les « LaïLaïLaï » d’Adam, la reprise de L’Hymne À L’Amour et tout le barda. Ça a été difficile. N’empêche que les accents Klezmer, certains refrains vraiment très addictifs et les nombreux passages hyper tristes où l’accordéon use de tout son potentiel tire-larmes disséminés au milieu d’un océan d’idées plus guillerettes ont eu raison de la nôtre. Encore une fois, le label messin a frappé fort. Avec CHARAN PO RANTAN, on passe de pic en abysse en un clin d’œil, on rigole et on pleure, on déteste et on aime et on finit par laisser de côté le cortex pour se concentrer sur l’énergie, les voix susurrées plus Lolita que Nabokov, l’accordéon omniprésent et le gros parfum de Balkan qui s’en dégage. On range gentiment tous les disques de black dans l’étagère, la queue entre les jambes, et on monte simplement le son.
En ces temps de fascisme rampant, faussement javellisé pour le rendre plus présentable, de repli sur soi, de bêtise crasse et d’intolérance décomplexée, sortir un disque aussi ouvertement pluriculturel que celui-là, assumant ses emprunts, son brassage, ses mélanges multicolores, son intelligence et sa singularité, c’est bien plus qu’une bouffée d’air frais, c’est une entreprise de salubrité publique et on augmente encore le volume pour que tous les voisins en profitent. Alors oui, jetez-vous sur Rose Balkan, ses 71oku Piece (immédiatement addictif), Moebius (sorti tout droit de l’antre du Roi de la Montagne de Grieg), Suki Doshi (complètement à l’ouest l’est) et j’en passe, vous aurez bien du mal à refréner vos pieds et vous rangerez bien loin tout sentiment de gêne ou de honte. Le chant acidulé (mais tout de même nuancé) de Momo et l’accordéon maîtrisé de Koharu (elles sont sœurs) devraient vous emmener bien loin dans leur cabaret bigarré. Compilation de morceaux éparpillés sur leurs deux précédents albums, Rose Balkan n’est pas seulement un bel objet (encore une fois, le packaging trois étoiles de Specific Recordings force le respect), c’est une belle tranche d’étrangeté où l’Oural continental rejoint le Soleil Levant insulaire dans un mouvement qui rapproche les continents bien plus qu’il ne les éloigne.
L’air de rien, CHARAN PO RANTAN s’en va tranquillement rejoindre NECRONOMIDOL, Tokyo Karan Koron ou encore BiS Kaidan sur les rayonnages, ceux des disques transgressifs que l’on écoute dès que le besoin de sortir des sentiers battus se fait sentir parallèlement à l’envie de spontanéité.
Au final : jubilatoire !
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