2024 à la loupe : 24 albums pop/rock/folk (+ bonus)

Une sélection plutôt axée sur mes écoutes les plus mélodiques cette année - certains albums rock flirtant avec le metal ou le bruitisme se retrouveront d’ailleurs dans le classement "musiques extrêmes" - mais pas toujours pour autant sous le signe de la joliesse. Un certain nombre de coups de coeur tendant vers le jazz, l’ambient, l’électronique ou même la noise sont ainsi inclus dans cette série faute de correspondance plus adéquate ailleurs, un éclectisme symptomatique de mon intérêt aujourd’hui limité pour l’indie rock (ou plutôt ce qu’il en reste), corrélatif à ses rares incursions atmosphériques et mélangeuses, à son appétit pour les chemins de traverse loin des autoroutes de la hype et des attentes confortables du public.

Pas le volet qui me tient le plus à coeur, vous l’aurez sans doute deviné (à titre d’exemple, Catherine Graindorge serait la dernière ici à accrocher mes 200 albums favoris tous genres confondus en 2024) - c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il est publié en premier, l’autre étant un constat : arrivés à la fin décembre, les indie kids se désintéressent des bilans annuels, ce qui serait dommage pour certains de ces choix pas suffisamment défendus ailleurs et qui méritent bien d’attiser au moins un soupçon de curiosité de la part des ceux qui tomberont sur cette page en tapant Beth Gibbons ou The Smile dans leur moteur de recherche. Ceci étant dit, l’année pop/rock/folk fut somme toute assez belle au regard des précédentes, probablement le meilleur cru en la matière depuis 2012 me concernant.



1. Laura Marling - Patterns in Repeat

"Cette fois plus besoin d’oripeaux extravertis ni de mélodies alambiquées comme avec l’increvable Gurdjieff’s Daughter, sommet de Short Movie il y a déjà presque une décennie. La magnificence de Patterns in Repeat, à la mesure de ses thématiques de maternité, d’extraordinaire dans ce qu’il y a pourtant de plus naturel - enfanter, voir son bébé grandir et perpétuer un cycle de vie aussi fragile qu’immuable, découvrir aussi les conséquences de ce changement sur son existence, plus complexes qu’on ne l’imaginait - tient dans son évidence et son apparente simplicité, paradoxalement doublée d’une ambition inédite chez la Britannique en termes de narration musicale. Au crescendo de textures rêveuses, d’échos et de cordes savamment dosées de Patterns et aux choeurs séraphiques de Your Girl répond ainsi un peu plus loin le sommet désespéré du disque, The Shadows, qui en croise les éléments pour mieux les retourner, de l’espoir au spleen affligé. Quant au capiteux Caroline - très Bert Jansch meets Dylan sous les auspices de Nick Drake aux arrangements -, ses élans ne font que mieux ressortir l’introspection délicatement orchestrée du très beau Looking Back qui lui fait suite puis le repli encore plus intimiste d’un Lullaby bucolique, dont la reprise instrumentale après un Patterns in Repeat de nouveau ample et enivrant avec sa coda de violons à la Andrew Bird ou Laura Veirs circa 2007, permettra paradoxalement d’ouvrir l’album à une forme d’infini dans sa circularité même, parfaite incarnation de cet éternel recommencement des choses à l’échelle du monde menant à autant de petits bonheurs uniques à notre humble degré... un merveilleux vertige sans avoir l’air d’y toucher."



2. Beth Gibbons - Lives Outgrown

"Si Lives Outgrown est "pop", c’est une pop sans concession (cf. l’immense Rewind, dissonant et halluciné pour n’en mettre que mieux en exergue les percées de lumière noire), à l’acoustique intense et rêche sous la luxuriance et les élans capiteux des arrangements (Tell Me Who You Are Today, qui d’emblée démontre l’influence pérenne de Talk Talk), aux drums presque tribaux (Burden of Life, Beyond the Sun) et dont les tourments intérieurs jaillissent sans ostentation à l’image de ce For Sale désespéré sonnant comme un soundtrack de western à la croisée de Morricone et Nina Nastasia... autant dire à des années-lumière de cette pop mainstream racoleuse, surproduite, désincarnée, dénuée de textures et d’atmosphère avec laquelle certains ont de plus en plus d’indulgence aujourd’hui, les même parfois qu’un évident déficit d’attention fait prendre des vessies pour des lanternes et un petit bijou tel que celui qui nous occupe ici pour un disque "plat" ou "chiant" (faut-il donc qu’ils n’aient pas écouté Reaching Out ou qu’ils soient bien malentendants pour ne pas en avoir goûté l’irrésistible tension cuivrée). Des choeurs d’enfants de Floating On A Moment aux refrains légèrement trop lyriques d’Oceans (tant du point de vue du chant que des violons), l’album n’est pas parfait pour autant mais ces légers excès ne le rendent que plus humain, tout comme le long déroulé final du doux Whispering Love, sortie du tunnel pas encore tout à fait apaisée mais joliment pastorale venant passer du baume sur le maelstrom d’émotions qui précède."



3. The Smile - Wall of Eyes / Cutouts

"Moins immédiat que le premier opus du trio anglais, plus feutré aussi dans l’ensemble, avec peut-être une influence grandissante du batteur Tom Skinner et de son univers à la lisière du jazz et de la musique tribale, Wall Of Eyes s’impose rapidement pour ses atmosphères immersives et magnétiques, son hypnotisme également sur les rares morceaux plus dynamiques à l’image du long serpentin mouvant Under Our Pillows virant au krautrock fantomatique à mi-chemin, et finit même par sidérer avec le final d’un Bending Hectic amené par un crescendo de violons façon classique contemporain hanté, sommet d’intensité d’un disque qui finalement n’en manque pas." Quant à Cutouts, "d’une belle variété et néanmoins cohérent, il alterne cette fois synthés stellaires et méditatifs (Foreign Spies, Bodies Laughing), arrangements solaires et capiteux (Instant Psalm, Tiptoe), électronique hypnotique (Don’t Get Me Started) et rock en liberté où les influences afrojazz de Tom Skinner se font sentir (Zero Sum, Eyes & Mouth), mais n’est jamais meilleur qu’avec le genre de slow burners qui auraient pu figurer au générique de l’opus précédent, en l’occurrence les incandescents Colours Fly et No Words."



4. The Innocence Mission - Midwinter Swimmers

"Cet énième bijou du couple Peris, dont la chanson A Different Day s’est déjà frayé un chemin par ici, prend quelque peu le contrepied de la luxuriance de See You Tomorrow,Karen Peris jouait d’une dizaine d’instruments dont pas mal de piano, et du merveilleux album solo de cette dernière, A Song Is Way Above the Lawn, lequel bénéficiait, tout comme Sun on the Square quelques années plus tôt, des interventions de leurs deux enfants désormais grands aux arrangements de cordes. Avec Midwinter Swimmers, dont la plupart des titres comme à l’accoutumée ont été écrits et composés par la Pennsylvanienne, on est plutôt du côté de l’indépassable We Walked in Song (cf. Sisters and Brothers pour ne citer que le plus évident) : un 13e opus recentré à l’exception du très chamber pop We Would Meet In Center City sur la guitare acoustique et les percussions, noyé dans une reverb nostalgique qui lui confère une aura sépia presque lo-fi, et dont le songwriting au spleen chaleureux et réconfortant se suffit à lui-même, capable d’élans insoupçonnés comme cette coda à tomber par terre de This Thread Is a Green Street lorsque la batterie s’emballe pour soutenir la fragilité paradoxalement rassurante du chant de Karen. Classique instantané."



5. 9T Antiope - Horror Vacui

Il y a encore quelques années, on n’aurait pas misé un kopek sur la présence de Nima Aghiani et Sara Bigdeli Shamloo dans un classement "pop", en dépit des vocalises capiteuses de cette dernière : bien trop abrasif, discordant et hanté sur Isthmus par exemple, plus proche du dark ambient ou de la musique contemporaine, et idem en 2019 avec Nocebo en plus bruitiste et cauchemardé encore ou même un Harmistice certes plus éthéré mais toujours fantomatique et tourmenté à souhait, le duo arpentait ouvertement le côté obscur des musiques expérimentales et texturées. La même année pourtant, Grimace chez Eilean Rec. nous fit entrevoir une facette beaucoup plus élégiaque des deux Parisiens d’origine iranienne, plus proche que jamais de la mélancolie en suspension d’un David Sylvian, et si Horror Vacui en perpétue le goût des cordes affligées (Easy on the Exit, Crimson), il se pare également de motifs rythmiques inédits, qu’il s’agisse d’un violon octave pincé façon contrebasse sur le sombre Shapeshift, de pulsations presque industrielles sur Ready Player One ou de claquements samplés sur Canvas Blank. Evidemment, on n’en reste pas moins dans la pénombre, et des bourdons sursaturés du morceau-titre aux frottements caverneux des crins sur Run for the Hills, l’univers de 9T Antiope n’a pas tout à fait renoncé à sa radicalité voire à une certaine dimension anxiogène... mais en laissant entrer pour la toute première fois dans son vocabulaire une certain héritage des musiques traditionnelles moyen-orientales (Mount 22, Midnight Sun), le groupe se fait ici plus accessible, presque folk aux entournures, tout en offrant à son spleen malaisant un écrin d’éternité et une mélodicité particulièrement envoûtante. Un nouveau sommet donc, pour ce projet qui ne nous a habitués qu’à ça.



6. Laetitia Sadier - Rooting For Love

"À l’inverse du sommet Silencio (2012) qui voyait Laetitia Sadier mettre les bouts vers une pop ligne claire chaleureuse et luxuriante, on retrouve sur Rooting for Love ces contrastes Stereolabesques entre la voix de la Française, toujours aussi limpide et rassurante telle un fil d’Ariane, et des sonorités plus électroniques et rétrofuturistes mêlant psychédélisme onirique (avec cet orgue vintage omniprésent), synthés ascensionnels, abstraction kosmische (La Nageuse Nue ou Cloud 6, qui doivent autant à Neu ! qu’à Steve Reich), dynamique motorik (The Inner Smile) et groove des basses aux rondeurs 60s (New Moon) ou presque disco (Une Autre Attente), tandis que les changements de tempo et autres circonvolutions mélodiques aux contrepieds harmoniques typiques de la formation britannique dont elle tient le micro depuis 1990 reprennent le dessus (Protéïformunité), au gré d’un chant sautillant comme à l’accoutumée de l’Anglais au Français. Pour autant, l’approche plus ouvertement pop des albums précédents n’a pas manqué de laisser des traces sur ce disque présenté comme un "appel aux civilisations traumatisées de la planète", cf. le planant et désarmant Panser L’Inacceptable, non sans atomes crochus avec Air par exemple."



7. The Oscillation - The Start Of The End

"Pas faute d’avoir adoré la série d’albums Singularity Zones, on avait tout de même hâte de retrouver le Britannique sur le terrain du rock psyché, archi dominé depuis 2007 et le génial Out of Phase par ce projet capable de phagocyter absolument tout ce que la musique moderne compte de passionnant pour alimenter son univers incandescent. La force de The Oscillation, c’est de jouer du rock psyché sans regarder en arrière, sans se rêver en Syd Barrett, en 13th Floor Elevators ou autres Spacemen 3 du nouveau millénaire. En résulte une musique immersive et organique aux textures héritées du shoegaze, sans pose ni passéisme d’aucune sorte. Ceux qui ont eu un jour la chance de voir The Oscillation sur scène, en particulier en duo avec le regretté Tom Relleen de Tomaga à la basse, savent bien de quoi l’on parle : aucune attitude, aucune prétention, simplement de la musique, intense, inspirée, magnétique, d’une densité à couper au couteau, et en la matière ce nouvel opus du Londonien toujours accompagné derrière les fûts par le fidèle Tim Weller ne déroge en rien à la règle. Artwork géométrique toujours, symbolisant l’abstraction de ce rock en ébullition dont le chant d’emblée est complètement enseveli sous les couches de distos et de saturation (War On The Mind). Un psychédélisme cérébral dont l’effet sur le corps, la puissance viscérale sont pourtant comme toujours saisissants, du groove drogué très Madchester-du-futur de Faraway au slow burner Sovereign digne de Flying Saucer Attack avec son space rock aussi planant qu’abrasif et perçant, en passant par le crescendo incantatoire et ténébreux de The Eternal, ou surtout le sommet Mantra, vertigineux de contrastes entre passages épurés au chant distinct et vortex de lumière noire opaques et vénéneux."



8. Dakota Suite & Quentin Sirjacq - Forever Breathes the Lonely Word

"Le Britannique Dakota Suite aka Chris Hooson, seul aux manettes du projet depuis maintenant quelques années, collabore une 5e fois avec le pianiste et multi-instrumentiste parisien Quentin Sirjacq, et se met plus que jamais à nu pour rendre un poignant hommage à un ami défunt, Nick Hawley. Élégiaque sans l’être, ce nouvel opus aborde la perte avec davantage d’introspection que de lyrisme, alternant instrus classical ambient aux cordes poignantes (Edge of Mourning, Words Left Unspoken, In The Silence of You Leaving) et comptines cristallines pour guitare et piano dont la mélancolie réconforte autant qu’elle attriste (The Only Truth I Know), ballades piano/voix dépouillées (When He Was Here, aux choeurs féminins désarmants façon Damien Rice de la belle époque, ou Meanwhile), néoclassique baroque aux cordes pincées (In The Darkness We Still Wait For You) et rêveries acoustiques éthérées doublées de synthés chaleureux (These Unimaginable Things That You Bear, When Absence Became All We Knew), pour mieux distiller d’emblée un parfait équilibre entre spleen désespéré, affres crépusculaires et lueurs d’espoir, à l’image des escaliers en colimaçon de la pochette s’extirpant de l’obscurité pour cheminer vers la lumière."



9. Le Crapaud - Mauvais Sillon

"Après l’excellent CollAGE D​(​urdoudink) de CollAGE D au printemps 2023, projet qui l’associe au plasticien et musicien ambient Philippe Neau, revoilà Le Crapaud chez IRM Netlabel, toujours sans sa Morue, avec cette fois un tout premier album solo... et même pour nous autres habitués des sorties du guitariste/bidouilleur depuis les tout premiers EPs, entre collages atmosphériques et noise, de son groupe Le Crapaud et la Morue, la surprise fut des plus réjouissantes. C’est dire si ce Mauvais Sillon en trace un des plus singuliers, télescopant loops de vinyles aux souffles organiques, sérénades délicates ou plus rêches mi-folk mi-psyché, chansons surréalistes en Français, field recordings et résurgences post-rock, au sens de celui d’un Gastr Del Sol (soit David Grubbs et Jim O’Rourke) dans les années 90, parti d’une instrumentation rock pour flirter avec l’avant-garde et l’ambient et s’en aller vers l’inconnu, sans jamais sacrifier cette spontanéité ludique d’improvisateurs indie/noise... plus d’un atome crochu en somme, dans l’esprit, avec ce coup d’essai aussi gourmand et maîtrisé qu’intrigant et attachant." [Et le fait qu’on l’ait sorti nous-mêmes n’empêche en rien que cette place soit pleinement méritée, et sans copinage aucun - pas le genre de la maison.]



10. E - Living Waters

"Après les deux immenses classiques noise rock en devenir que furent coup sur coup Negative Work et Complications, on pourrait d’abord céder à la relative déception en découvrant ce 4e long du trio composé de Thalia Zedek (Come, Uzi), Jason Sanford (Neptune) et désormais Ernie Kim qui remplace Gavin McCarthy de Karate derrière les fûts, avec une paire de compos moins acérées (dont l’étrange instrumental déstructuré Deep Swerve ou les 9 minutes d’un morceau-titre aux relents de psychédélisme guitar-héroïque). Mais voilà, sans le voir égaler tout à fait ses illustres prédécesseurs, les écoutes répétées font leur office et Living Waters, toujours parfaitement équilibré entre les voix et songwritings complémentaires de ses deux guitaristes (en alternance ou en duo), entre intensité rêche et lyrisme tourmenté, finit par s’imposer comme une nouvelle déflagration d’une belle densité, culminant sur son impeccable triplette d’ouverture, l’hypertendu Names Upon a List ou le Gain of Function final, menaçant et anxieux à souhait."



11. Oisin Leech - Cold Sea

"Pour ce premier album solo, l’Irlandais Oisin Leech (747s) est bien entouré, notamment par Steve Gunn, M. Ward (dont on reconnaît d’emblée la patte nostalgique et rétro à la guitare sur October Sun) et quelques autres habitués de cette veine indie folk countrysante de singer/songwriter. À dire vrai, le genre a déjà été tellement poncé par les plus grands dans les années 2000 que l’on a bien du mal à encore s’y intéresser aujourd’hui, d’où l’importance de ne pas passer à côté de cette charmante exception. Car Oisin Leech, c’est un peu l’héritier des grands en question, Bill Callahan et Kurt Wagner en tête, autant pour le chant à la fois serein et à fleur de peau, que pour la musique dont l’épure et la spontanéité des guitares, magnifiées par des nappes de synthés radieuses (Colour Of The Rain, One Hill Further) et le violon délicat de Róisin McGrory sur Malin Gales ou Trawbreaga Bay, viennent transcender un songwriting déjà déconcertant d’immédiateté intimiste, entre deux incursions presque ambient aux motifs éthérés du plus bel effet (Maritime Radio, Cold Sea ou encore le final Daylight). Un petit bijou de spleen apaisé et d’atmosphère de campagne littorale, finalement plus onirique que pastoral et donc à rebours des clichés éculés d’une country-folk que l’on pensait désormais condamnée à servir de musique d’ambiance aux bobos."



12. My Brightest Diamond - Fight The Real Terror

Six ans sans album de My Brightest Diamond, c’est long, plus long que jamais même, mais ce 6e long-format de Shara Nova n’en est que plus précieux. Retour à l’organique après les incursions électroniques plus ostentatoires du légèrement décevant A Million And One de 2018, Fight The Real Terror trouve sa source dans un morceau-titre improvisé à la guitare dans le noir, durant une tempête, quelques heures après que l’Américaine ait appris le décès de Sinéad O’Connor - une inspiration avouée de ce disque combatif et taillé pour la scène, enregistré dans les studios de Wilco à Chicago. Riffs électriques et voix défiante (Saw A Glimpse), parfois en crescendos incandescents (Sublime) ou sur fond de rythmiques martiales flirtant avec la techno (Rocket In My Pocket, Rule Breaker), y font bon ménage avec des ballades plus réflexives et épurées, ponctuellement percussives (Imaginary Lovers) ou même débranchées (Have You Ever Seen An Angel) mais toujours infusées de cette même nécessité de se dresser contre les injustices du quotidien (Even Warriors, Safe House). Un beau retour en forme, qui n’a malheureusement pas l’air de rencontrer le même succès critique et public que ses prédécesseurs (seulement 8000 vues en 3 mois pour le single posté plus haut et une date partisienne toujours pas sold out), comme quoi les tendances passent parfois plus rapidement que le talent.



13. Los Days - Dusty Dreams

"Fidèle au goût pour la soustraction et les disques 100% instrumentaux qu’on lui connaît depuis le milieu des années 2010 avec des albums solo de plus en plus épurés et rêveurs flirtant avec la folk ambient, l’excellent guitariste et skateur californien Tommy Guerrero est peut-être bien à son meilleur ici, à l’équilibre entre circonvolutions mélodiques et harmonies au spleen désarmant évoquant par moments la grande époque de Tortoise (First Fire, Chasing the Day Moon), arrangements évanescents en particulier de synthés donnant cette atmosphère de rêve éveillé pas loin parfois des fantasmagories les plus candides d’Angelo Badalamenti (Copper Mountain), et ascétisme du désert de la pochette. Au programme de ce Dusty Dreams qualifiable d’"exotica blues", guitare sèche et marimbas (The Loss of Ancient Dreams), percus et clochettes (Nightfell), mandoline (The Lonely Sky), basses rondelettes (Slowly Through the Dust, Pinholes in the Dark, The Light That Never Was) et autres clappements de main (The Vanquished Sun), mais surtout donc, d’omniprésentes nappes de synthés oniriques et/ou psyché qui confèrent même aux morceaux les plus classiques pour Guerrero, tels que les bluesy Midnight Menace et Primitive Echoes, une aura bien particulière, comme une traversée de la Vallée de la Mort sur un petit nuage, sans la sècheresse ni la sueur."



14. Einstürzende Neubauten - Rampen (apm : alien pop music)

"Évidemment on ne présente plus les Allemands, pionniers du rock bruitiste à tendance industrielle dans les années 80. 14e opus en 45 ans de carrière pour la bande à Blixa Bargeld, également cofondateur des Bad Seeds de Nick Cave qu’il a quittés il y a une vingtaine d’années (les mauvaises langues diront au choix qu’il a eu le nez creux ou que la suite s’en est ressentie), Rampen continue sur la lancée hybride du très accessible Alles in Allem pour incarner cette "alien pop music" promise par le sous-titre, passant de morceaux tendus et habités (Aus den Zeiten, Wie lange noch ? et son rock tribal teinté d’électronique, ou cet Es könnte sein aux petits faux-airs de Swans) et autres pures tranches de noise mécanique et déglinguée (Ist Ist, Besser Isses, Ick wees nich) à des hymnes lyriques et aériens (le très Spiritualized-esque Pestalozzi, l’acoustique Trilobiten), des chorales ambient (Tar & Feathers) ou encore des comptines bricolées recyclant leurs gimmicks indus en mode orchestral/crayola (Before I Go, Isso Isso, Planet Umbra). Un groupe décidément toujours vert, même s’il préfère le jaune... et surtout ambitieux et inventif comme jamais !"



15. Chantal Acda & The Atlantic Drifters - Silently Held

"Ancienne reine de l’ambient vocale avec Sleepingdog, univers qu’elle avait ensuite troqué pour une pop acoustique bucolique aux arrangements crève-coeur (cf. le désarmant The Sparkle In Our Flaws) parfois jouée live dans le plus simple appareil d’une voix accompagnée à la guitare en bois, Chantal Acda a multiplié depuis les projets transverses (de PŪWAWAU, avec ses orchestrations de musique "savante", au piano/chant néoclassique de A Closer Distance en compagnie de l’Italien Bruno Bavota), et c’est encore une fois le cas de ce Silently Held, mis en musique, outre son comparse de Distance, Light & Sky Eric Thielemans aux fûts, en étroite collaboration avec une dizaine d’instrumentistes libertaires parmi lesquels - excusez du peu ! - Shahzad Ismaily à la guitare acoustique et aux claviers/synthés, Bill Frisell à la gratte électrique et Colin Stetson au saxo. Ça sent le jazz me direz-vous et vous aurez raison, mais plutôt une pop ourlée de jazz disons, élégante et solaire, éprise de grands espaces et bien trop large pour l’étiquette "singer/songwriter", une réponse absolument imparable au chef-d’oeuvre de Beth Orton d’il y a deux ans, pour faire court."



16. Zelienople - Everything Is Simple

"Matt Christensen a beau publier 25 albums par an dont un certain nombre d’enregistrements largement improvisés, la sortie d’un nouveau Zelienople, qui associe le chanteur/guitariste de Chicago au bassiste/clarinettiste Brian Harding et au percussionniste Mike Weis, est toujours un petit évènement, en particulier pour les admirateurs du Talk Talk des deux derniers albums qui a clairement laissé son empreinte sur ce projet. Dernier opus en date défendu par le passionnant label norvégien Miasmah, Hold You Up il y a 4 ans déjà n’en conservait pas moins sa patte ambient/post-rock à l’intensité feutrée, mais avec davantage de minimalisme que cet Everything Is Simple, soutenu par le vibraphone et autres claviers et synthés de la paire d’instrumentistes P.M. Tummala / Eric Eleazer (cf. la mystique solaire du magnifique In This Town Again, ou un Make The Whole Town Decay évoquant la facette le plus contemplative de Tortoise). Plus présente, la clarinette accentue par ailleurs une certaine dimension drone-jazz (Holy Rollers, ou l’instru capiteux Santa Chiara) qui, alliée aux drums particulièrement tribaux et hypnotiques (Hold In My Hands, Everything Is Simple), renoue plus ouvertement avec l’inspiration impressionniste et post-jazz du combo de Mark Hollis (Orange Capsule)."



17. Jan Bang - Reading The Air

Il a fallu y revenir, mais on a fini par se faire à cette facette pop étonnamment mélodique et caressante du jazzman expé norvégien, on ne peut plus éloignée du chef-d’oeuvre de 2010 ...And Poppies from Kandahar et de son électro-ambient impressionniste et mystique aux abstractions protéiformes. Premier opus vocal depuis 1998 pour le collaborateur de Sidsel Endresen ou David Sylvian (dont le label Samadhi Sound avait publié l’album susnommé), Reading The Air bénéficie des synthés du fidèle complice Erik Honoré (également ici parolier et ingénieur du son), de la guitare d’Eivind Aarset ou encore, sur Nameless, du duduk de Canberk Ulaş (à retrouver bientôt dans un bilan jazz) et du contrepoint vocal envoûtant de l’excellente Anneli Drecker (Roÿksopp). Mais c’est finalement le chant en suspension de Jan Bang lui-même, appuyé par les harmonies d’une certaine Benedikte Kløw Askedalen et dangereusement proche du timbre de David Sylvian justement, qui illumine en premier lieu ces écrins de romantisme cotonneux, plus chaleureux que celui de son modèle et tout spécialement dans son élément lorsque la trompette du grand Arve Henriksen (Supersilent) entre dans le jeu, donnant immédiatement de la profondeur de champ aux sommets Reading the Air et War Paint grâce à la texture onirique si particulière de son instrument.



18. The Declining Winter - Last April

"Assez différent de son prédécesseur Really Early, Really Late de l’an passé dont l’ambient-folk aux accents jazz et aux textures éthérées était magnifiée par toutes sortes d’arrangements enivrants entre deux emballements rythmiques, le nouvel opus des toujours trop confidentiels The Declining Winter voit le projet du Britannique Richard Adams (Hood, Memory Drawings) épurer ses compositions tout en flirtant avec la chamber pop (cf. My Greatest Friend ou le bonus track One Year), la mélancolie guitare/voix de ce dernier (avec un soupçon de piano sur Lime Tree House notamment) se suffisant à elle-même à l’exception du violon récurrent de sa fidèle complice Sarah Kemp (Lanterns on the Lake, Brave Timbers), tantôt affligé (Eyes On Mine), lyrique (August Blue) ou plus lancinant (Lime Tree House). Un dixième opus en un peu plus de 15 années d’activité que l’Anglais a écrit en une nuit suite à une période de deuil et que l’on appréciera autant pour sa délicatesse introspective que pour ses atmosphères irrésistiblement tristounettes."



19. Elysian Fields - What The Thunder Said

"Accompagnés à la section rythmique par les Français Matthieu Lopez du Delano Orchestra (basse) et Olivier Perez aka Garciaphone (batterie) ainsi que par quelques compagnons de route de longue date aux claviers notamment et autres arrangements, Jennifer Charles et Oren Bloedow nous rassurent après deux semi-déceptions, renouant avec l’excellence de Pink Air mais surtout les sonorités langoureuses aux atmosphères bien trempées de leurs premiers albums sur ce What The Thunder Said mélancolique et capiteux comme une tournée nocturne des bars de Brooklyn après une rupture mal digérée. On y sautille comme souvent d’une pop bluesy (Half Measures, Know Not Whorl ou encore le morceau-titre) à des sérénades au spleen aérien (Before the Crashing Waves), de pures tranches d’indie rock aux mélodies imparables (le merveilleux Must Have Meant) à des ambiances jazzy aux entournures (This World Is Just a World, Say You’re Sorry et bien sûr ce Strawberry Moon où s’invite un piano réminiscent de l’époque The Afterlife)... et mine de rien ça faisait un petit moment que la New-Yorkaise ne nous avait plus envoûtés à ce point."



20. Public Service Broadcasting - The Last Flight

"Le désormais quatuor britannique, toujours adepte des samples de vieux films d’archive tombés dans le domaine public, continue son bout de chemin avec le soutien d’une véritable fanbase outre-manche. Peu à peu néanmoins, le guitariste J. Willgoose, Esq. et le batteur et pianiste Wrigglesworth se sont éloignés de leurs influences post-rock et The Last Flight, inspiré par l’aviatrice Amelia Earhart, continue cette percée pop mais avec un meilleur équilibre que le précédent opus Bright Magic et des incursions ambient et cinématographiques nettement plus abouties, de l’intro I Was Always Dreaming toute en cordes et synthés évoquant l’univers de "Blade Runner" jusqu’au superbe final élégiaque de Howland. Entretemps, on retrouve au côté des habituées Andreya Casablanca et EERA une troisième guest de choix au micro en la personne de Kate Stables aka This Is the Kit, l’occasion pour Public Service Broadcasting de déployer une pop étonnamment élégante au regard de son efficacité toute radiophonique, qu’il s’agisse de l’alternance entre électro-pop et saillies électriques de The Fun Of It, du romantisme aérien de A Different Kind of Love ou de l’indie folk au souffle de grands espaces de The South Atlantic. De quoi conférer à The Last Flight une étrange aura composite, hybride - mais dans le bon sens du terme à une époque où les indie kids ne savent plus oser qu’en versant dans la pose - sans pour autant qu’il en paraisse incohérent, tout étant finalement affaire de production, ici d’une homogénéité idéale par-delà les sauts de cabri du groupe."



21. And Also The Trees - Mother​-​of​-​pearl moon

"Vétérans post-punk de la première vague du début des années 80 dont seuls subsistent du line-up originel le chanteur Simon Huw Jones et son frérot le guitariste Justin Jones, And Also The Trees a su ne pas s’enfermer dans les codes esthétiques d’un genre aujourd’hui devenu une caricature de lui-même. Ce 16e long-format en témoigne, on est non seulement toujours dans le haut du panier d’un rock clair-obscur aux atmosphères hallucinées, mais surtout les arrangements chamber-music désormais chers au groupe font plus que jamais merveille, prenant le dessus sur des rythmiques souvent même absentes pour habiller ces chansons diffusant une belle luminosité derrière leurs oripeaux fantasmagoriques voire écorchés. Un grand cru !"



22. Catherine Graindorge - Songs for the Dead

C’est au souvenir de projets collaboratifs aux vocalistes multiples tels que This Immortal Coil ou The Fitzcarraldo Sessions il y a quelques années que nous rappelle Catherine Graindorge avec le successeur dEldorado, auquel participait activement John Parish en 2021. Sur ce 4e long-format, la violoniste belge, croisée par ailleurs au côté de Mark Lanegan, Iggy Pop (qui donnait de la voix sur l’EP The Dictator il y a deux ans) ou encore Nick Cave & Warren Ellis, partage ainsi le micro avec Simon Huw Jones d’And Also the Trees (cf. juste au-dessus), dont le timbre grave mue son post-rock élégiaque et feutré en ballades claires-obscures et tourmentées, le piano de Simon Ho aidant. Outre l’écorché Joan et les instrumentaux The Unvisited Garden et Where the Buzzards Fly tantôt illuminés ou non par les harmonies vocales éthérées de la musicienne, on retiendra donc tout particulièrement Eurydice, Time is Broken et surtout l’intense Orpheus’ Head que la basse de Pascal Humbert (16 Horsepower) couplée au chant habité du Britannique pousse vers les territoires du regretté Nick Cave de Murder Ballads.



23. Oneida - Expensive Air

"L’ADN ne change pas, des serpentins psyché hypnotiques flirtant avec le krautrock (Expensive Air avec son piano discordant ou Salt et ses riffs sens dessus-dessous) au punk avec le francophile La Plage et ses étranges références à Plastic Bertrand (sic), en passant par un pop/punk sucré avec parcimonie que la cavalcade Stranger et l’hymnique Here It Comes poussent joyeusement dans le rouge via quelques saillies électro bruitistes bien senties, et bien sûr un noise-rock pour le coup vrillé de larsens avec le slow burner final Gunboats. Un morceau qui en termine sur une embardée dissonante presque anxiogène... car le petit côté déglingué de ce nouvel opus, loin d’être inédit certes mais mieux digéré que jamais ici dans le cadre de chansons aussi frontales qu’un Spill (on n’est pas dans les errances et digressions sans fin de The Brah Tapes par exemple) finit par prendre le dessus et par faire tout le sel d’un combo new-yorkais décidément toujours libertaire jusqu’au bout des doigts dans son approche à la fois réjouissante et sans concession des musiques à guitare."



24. Garciaphone - Ghost Fire

"Olivier Perez fait son Andy Shauf (cf. Someone Else’s Dream ou The Human Form) sur ce 3e opus de Garciaphone. Tout comme le Canadien, dont la voix a plus d’un atome crochu avec celle du Clermontois par ailleurs croisé dernièrement en batteur pour Elysian Fields, ce dernier mêle merveilleusement pop/folk bucolique aux mélodies désarmantes d’évidence, enluminures chamber pop des cordes frottées (Beyond the Speaker, ou la coda de l’épuré Heard of the Hermit), piano intimiste et qualités oniriques jusque dans certaines petites affèteries de production jamais envahissantes, à l’image des nappes éthérées et autres gimmicks électro discrets sur Conditional Love ou des synthés solaires du superbe Better and Better. À la tête d’un petit ensemble de musiciens, le songwriter et multi-instrumentiste lorgne toujours ici et là sur la chaleureuse mélancolie d’Elliott Smith (A House that Speaks) et se permet par ailleurs un pas de côté tout aussi fameux avec la pop psyché électrisante de Weathercocks, très Elephant Six dans l’esprit, sans qu’en pâtisse le moins du monde la cohérence du disque en dépit de sa courte durée."



- Bonus - 26 albums de plus :

Duster - In Dreams
youbet - Way To Be
Loma - How Will I Live Without a Body ?
Melt-Banana - 3+5
Raoul Vignal - Shadow Bands
Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp - Ventre Unique
Envy - Eunoia
Soap&Skin - TORSO
Six Organs of Admittance - Time is Glass
Japandroids - Fate & Alcohol
Being Dead - EELS
Emiliana Torrini - Miss Flower
Adrianne Lenker - Bright Future
Grandaddy - Blu Wav
Kim Deal - Nobody Loves You More
Mike Lindsay - Supershapes Volume 1
Kim Gordon - The Collective
Tarwater - Nuts of Ay
+/- - Further Afield
A Place To Bury Strangers - Synthesizer
Malherbe - R​é​mores
Trentemøller - Dreamweaver
Motorpsycho - Neigh​ !​ !
Chelsea Wolfe - She Reaches Out To She Reaches Out To She
Cyrod Iceberg - It’s a conversation between me and myself
Hannah Frances - Keeper of the Shepherd