A Camp - Colonia
A Camp encore plus beau sans Mark Linkous qu’avec, qui l’eut cru ? Et pourtant, avec ce deuxième album à ranger quelque part entre Brian Wilson et David Bowie, Nina Persson prouve une nouvelle fois s’il était besoin qu’elle est bel et bien, sitôt débarrassée des contraintes collégiales forcément subies au sein des Cardigans, l’une des songwriters et chanteuses les plus accomplies de la pop actuelle.
1. The Crowning
2. Stronger Than Jesus
3. Bear On The Beach
4. Love Has Left The Room
5. Golden Teeth And Silver Medals (feat. Nicolai Dunger)
6. Here Are Many Wild Animals
7. Chinatown
8. My America
9. Eau De Colonia
10. I Signed The Line
11. It’s Not Easy To Be Human
12. The Weed Had Got There First
Néanmoins seule décisionnaire ne signifie pas forcément en solo, et cette fois encore la belle a su s’entourer d’architectes soniques à la hauteur de son talent, de son mari Nathan Larson compositeur de BO et guitariste de Shudder To Think, et Niclas Frisk (Atomic Swing) tous deux co-producteurs, co-auteurs des chansons et multi-instrumentistes sur l’ensemble de l’album (et respectivement à gauche et à droite de Nina sur la photo), aux invités de luxe Kevin March (Guided By Voices) à la batterie, James Iha (The Smashing Pumpkins) à la guitare, Joan Wasser (aka Joan As Policewoman) aux cordes, ou encore sa compatriote Anna Ternheim aux backing vocals. C’est de fait un véritable groupe, "un putain de bon groupe" même dixit Nina (à découvrir le 26 avril sur la scène de la Maroquinerie à l’occasion du festival Les Femmes S’en Mêlent), qui appuie ici la chanteuse, lui permettant de se poser derrière son piano en chef d’orchestre d’une oeuvre bien plus pensée et construite que la précédente.
A la simple compilation de chansons aussi magnifiques fussent-elles que constituait ce premier opus, Colonia substitue en effet une trame non pas véritablement narrative, on est loin ici de l’album concept, mais plutôt allégorique : l’amour, encore et toujours, mais passé au filtre du songwriting tantôt amer, acide ou mélancolique de la suédoise, et vu comme une forme de colonisation de l’esprit. Une colonisation qui peut civiliser, faire grandir puis finalement changer d’optique et détruire ou se désagréger, ne laissant que cendres pour témoigner de ce qui a été. Nina affirme ainsi avoir été inspirée par un safari au milieu des lions en Afrique du Sud qui l’aurait amenée à songer à la décadence des Empires et donné l’idée de développer une imagerie transcendant les lieux et les époques avec cette thématique pour fil conducteur.
Petit frère pop du Trials Of Van Occupanther de Midlake (cf. la mélodie vocale de Chinatown et son dialogue piano/guitare électrique digne de Neil Young, ou encore les claviers du superbe I Signed The Line), l’album délaisse donc les embardées country-rock brutes de décoffrage et autres ballades folk d’obédience classique croisées sur l’opus précédent au profit d’un univers toujours mélancolique et confortable à la fois mais aux contours plus subtils et presque hors du temps désormais, à rapprocher dans l’esprit du diptyque Sunflower / Surf’s Up enregistré par les Beach Boys au début des années 70 : Nina Persson s’affirme en effet avec Colonia comme une héritière directe de Brian Wilson en termes de compositions comme de songwriting. Une influence qui se révèle peu à peu dans les choeurs à coller le frisson du vibrant Love Has Left The Room (sommet de l’album offert au téléchargement par le webzine Stereogum via son programme The ’Gum Drop) jusqu’à devenir évidente malgré un léger faux-air d’Eurovision (hum...) sur un morceau tel que Golden Teeth And Silver Medals en duo avec le chanteur suédois Nikolai Dunger - pris à témoin des conséquences amères des ravages de l’amour par Nina qui l’interpelle par son prénom - et qui trouve un écho à sa mesure dans les arrangements délicats d’instruments à vent (le magique Bear on the Beach en écoute sur myspace), les cordes subtiles et les cuivres très soul émaillant le disque. Même le single Stronger Than Jesus qu’on aurait pu penser garant de cet héritage folk-pop perpétué sur le premier album se teinte rapidement de cuivres 80’s (dont le petit côté Dexy’s Midnight Runners se retrouvera plus tard amplifié sur My America) et même d’une dimension glam dans le chant de Nina, Bowie on l’a dit n’étant jamais bien loin non plus dès The Crowning dont l’association piano/guitare acoustique et la montée en puissance ravageuse renouent avec le lyrisme majestueux et luxuriant de Space Oddity ou Hunky Dory, ou davantage dans l’esprit glam-rock d’un Ziggy Stardust avec lequel Nina partage sur Here Are Many Wild Animals (dont les choeurs en ouverture doivent tout autant aux Ronettes qu’aux Beach Boys) la prise de conscience d’un monde peuplé de
d’êtres pernicieux qui ne méritent pas forcément d’être sauvés (ou ici d’être aimés).
Quelques baisses de régime tout de même, à l’image du second single de l’album My America au refrain convenu, bien rattrapé toutefois par un troublant et poignant It’s Not Easy To Be Human sonnant comme du Jon Brion arrangé par Thomas Newman, mais la sagesse ne s’acquière pas sans quelques balbutiements et finalement The Weed Had Got There First, mise en abîme de notre tendance trop humaine à toujours donner à nos petits malheurs plus d’importance qu’ils n’en ont réellement, vient clore l’album sur l’apaisement d’une guitare slide caressée par... Mark Linkous. La boucle est bouclée, et le Camp de Nina Persson définitivement imposé en passage obligé pour les nostalgiques de la pop des années 60 et 70 qui n’auraient rien contre un peu de post-modernisme poétique ou d’ironie pétrie de tendresse et de générosité.
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