Q-Tip - The Renaissance
Q-Tip, Obama, l’Amérique renouerait-elle avec la classe ?
1. Johnny Is Dead
2. Won’t Trade
3. Gettin’ Up
4. Official
5. You
6. We Fight/We Love (feat. Raphael Saadiq)
7. Manwomanboogie (feat. Amanda Diva)
8. Move
9. Dance On Glass
10. Life Is Better (feat. Norah Jones)
11. Believe (feat. D’Angelo)
12. Shaka
Le Stan Getz du hip-hop East Coast est enfin de retour avec son premier album officiel depuis... 1999. On ne s’étendra pas davantage sur l’épisode Kamaal The Abstract, chef-d’oeuvre saboté que les fans transis rêvent toujours de voir édité en dur par l’ancienne maison de disques du rappeur, Arista Records (filiale de Sony BMG qui en possède toujours les droits exclusifs), depuis sa "fuite" volontaire sur la toile en 2002. Non, on laissera de côté cet album ouvertement aventureux car Q-Tip, on s’en doutait un peu à l’écoute du mixtape Abstract Innovations sorti en CD en début d’année, est passé à tout autre chose. Terminées les expérimentations abstract-jazz et les constructions nu-funk alambiquées, l’ancien leader d’A Tribe Called Quest (qui se réunit ponctuellement pour des concerts mais rien de plus dans l’immédiat aux dires de Phife Dawg) a décidé de renouer avec le groove aérien, coulant et furieusement élégant des plus belles heures du mythique groupe new-yorkais. Et justement, c’est l’aisance naturelle qui se dégageait de The Low End Theory que l’on retrouve aujourd’hui sur The Renaissance, album superbement épuré et concis, en recherche constante de la note, du son, de l’intonation juste, idéale, parfaite en somme, qui permet à Q-Tip, pratiquement seul aux manettes (finalement pas de Mark Ronson à la production sur Won’t Trade comme la rumeur l’annonçait encore il y a quelques jours, et un seul morceau mis en son à titre posthume par Jay Dee) d’atteindre la décontraction minimaliste des plus grands jazzmen, Miles Davis en tête. Et si ce grand monsieur du jazz/hip-hop n’y donne jamais l’impression de forcer son talent, c’est au sens le plus noble du terme et par la grâce d’une dynamique de groupe retrouvée, qui élève les morceaux de l’album à un degré de spontanéité rarement approché dans le genre ces dernières années, disons au moins pas depuis Things Fall Apart des Roots et Like Water For Chocolate de Common, pas même par OutKast ou Atmosphere. Quant à retrouver trace d’une telle aisance et d’une telle pureté sur la longueur d’un album, il faudrait sans doute remonter jusqu’au 93 ’Til Infinity des Souls Of Mischief, c’est dire.
Mais la comparaison avec The Low End Theory s’arrête ici, puisque les influences jazz du musicien, bien que toujours à l’origine de cette sensation d’absolue fraîcheur mélodique, se trouvent cette fois reléguées au second plan sur la plupart des morceaux au profit d’une inspiration nu-soul caractéristique des artistes du collectif Soulquarians dont fait toujours implicitement partie Q-Tip (au même titre que Raphael Saadiq ou D’Angelo, qui signent deux des parcimonieux mais essentiels featurings de l’album), et d’une forme très pure et presque cosmique de r’n’b à rapprocher davantage du Beats, Rhymes And Life d’A Tribe Called Quest toujours, puisqu’irradiant de cette même sagesse et de cette même générosité qui font défaut à la plupart des représentants actuels de ce genre musical devenu synonyme de bling-bling radiophonique pour ados en pleine poussée d’hormones.
Pop, The Renaissance l’est pourtant à coup sûr, peut-être même l’album le plus évident de Q-Tip en solo comme en groupe depuis le génial People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm d’ATCQ, mais une pop dégraissée, hypocalorique au possible, débordante d’intelligence et fourmillante de détails de production d’une subtilité invraisemblable dont le relief discret donne aux chansons toute leur profondeur métaphysique sans brider pour autant leur extraordinaire légèreté. La coolitude aérienne du single Gettin’ Up dans la droite lignée des tubes du chef-d’oeuvre inaugural précédemment cité, ou encore le groove en apesanteur de We Fight/We Love sont là pour en témoigner, tout comme le stellaire Life Is Better où le chant de Norah Jones en invitée de luxe se plie humblement à l’univers du rappeur, ou encore le funky Manwomanboogie en duo avec Amanda Diva et sa boucle de charley qui semble porter le morceau sur la pointe des pieds.
On pouvait pourtant craindre tout le contraire avec cet album initialement prévu (et prêt) pour une sortie en décembre 2007 et repoussé à plusieurs reprises pour des raisons de calendrier marketing par Universal Motown, mais les trois morceaux déjà présents sur Abstract Innovations et que l’on retrouve ici sont particulièrement parlants : la production comme l’instrumentation ont subi un lifting radical en un an, si bien qu’on imagine aisément Q-Tip et son groupe jouer et rejouer ces chansons jusqu’à atteindre un équilibre idéal entre décontraction et précision, et ce jusque dans leurs transitions merveilleusement fluides. Ainsi, le Johnny Is Dead d’ouverture, déjà connu sous le nom de Johnny Died, bénéficie de riffs moins tranchants qui s’accordent à la perfection avec ses balancements presque dub, la guitare du formidable Official se teinte d’une saturation au son chaleureux qui fait toute la différence avec les versions antérieures, et I Believe, épuré d’une grosse minute, y gagne considérablement en impact, d’autant plus d’un Fender Rhodes au charme intemporel y remplace le synthé un brin daté de l’original.
L’évidence toujours inégalée du flow de Q-Tip n’est pas pour rien dans cette magie retrouvée. S’il est le Stan Getz du hip-hop comme on l’affirmait de façon quelque peu cavalière en début de chronique, alors sa voix est son saxo à lui, qui mène la danse au milieu des samples malléables à volonté de Won’t Trade, un instrument au son unique et d’une coolitude tout bonnement surnaturelle qui se permet même en toute confiance un solo en intro de Dance On Glass, une fenêtre ouverte pourtant sur un coeur mélancolique et sensible dont chaque fourmillement trouve un écho tout en retenue dans le sillage volatil d’une simple intonation, immédiatement déjoué par un sourire pudique et généreux (cf. le bouleversant You).
Trahison amoureuse, confusion identitaire, autant de métaphores et de mises en parallèle avec la crise de confiance américaine à laquelle semble avoir mis fin l’élection de Barack Obama, la sortie de l’album le 4 novembre, même programmée par le label, n’étant visiblement qu’un demi-hasard. En effet, comme chez nombre de ses compatriotes engagés (on vous parlait récemment de Mr. Lif dont le troisième album paraîtra le jour de l’investiture d’Obama, tandis que Kanye West, Wyclef Jean ou encore N*E*R*D avaient joué en août à la convention démocrate pour le soutenir), la politique s’insinue dans la sphère intime, et le vent du changement souffle également chez Q-Tip qui semble laisser derrière lui pour de bon les vicissitudes de l’existence, tandis que la sagesse née de ces expériences malheureuses (les hommes sont des étoiles qui ne demandent qu’à atteindre la paix intérieure pour briller - cf. We Fight/We Love) et une fidélité inébranlable envers certaines valeurs fondamentales (du hip-hop ici, comme ailleurs de la politique sociale) lui permettent de trouver la sérénité (I Believe) et par là-même foi en l’avenir - Shaka, conclusion à travers laquelle Q-Tip, après avoir payé tribut à ses pairs et pères musicaux sur Life Is Better, rend hommage sur fond de réminiscences presque inaudibles d’un dicours d’Obama sur l’espoir, à certaines personnes qui l’ont accompagné et aidé à devenir "a new boy", à commencer par son père et bien sûr "my man Dilla", co-producteur sur Amplified, Kamaal The Abstract et la plupart des albums d’A Tribe Called Quest.
Et l’avenir, justement, s’annonce radieux. Car si Q-Tip - qui devrait débuter l’année 2009 en studio pour un quatrième album avec Nigel Godrich, un projet de longue date pour cet admirateur avoué de Radiohead - n’a gagné avec l’élection d’Obama que la moitié de son pari politique en attendant les changements promis par le leader démocrate, The Renaissance est d’ores déjà une victoire de l’humanisme sur le consumérisme qui n’en finit plus de ronger l’âme du hip-hop, et de l’excellence intacte d’une figure essentielle de la musique noire sur la médiocrité des rappeurs de la génération MTV.
L’idée nous a pris comme ça, sans motif apparent : proposer deux visions parfois concomitantes mais souvent divergentes d’un héritage musical de presque 40 ans, aux contours devenus de plus en plus flous.
Est-ce le succès critique rencontré par son successeur The Renaissance, petite merveille de jazz/hip-hop ligne claire parue en novembre dernier, ou la pétition qui circulait sur le web depuis la sortie avortée de ce chef-d’oeuvre passé depuis en libre circulation sur la Toile grâce à quelques copies promo judicieusement distribuées ? Quoi qu’il en (...)
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