Caleb R.K. Williams : "Je fais tout ce qu’il ne faut pas faire"

Bandcamp a cela de merveilleux qu’on peut, un jour, au hasard des recommandations, y tomber sur un génie à l’œuvre pléthorique. Ma rencontre avec The Eagle Stone Collective fut de celles-ci. Rendons à César ce qui lui appartient : le hasard n’a rien à voir ici.

Car c’est sur une recommandation d’Arnaud Chatelard (Foolish Records, Innocent But Guilty), grand passeur de (très bonne) musique devant l’Eternel, que je prêtais une oreille attentive au projet albigeois. Toujours écouter ses amis. Se plonger dans la musique de The Eagle Stone Collective, pour peu que l’on aime les grands espaces et la mythologie états-unienne, c’est s’exposer à une véritable illumination. En dix ans d’existence et environ 180 sorties (!), Caleb R.K. Williams, tête pensante du projet et de la myriade de déclinaisons qu’il abrite, a su constituer une discographie aussi puissante qu’évocatrice ; aussi abondante que cohérente. Mélange d’ambient et d’americana, de drone et de musique de film, The Eagle Stone Collective propose un nuancier d’une richesse inouïe où se célèbre l’immensité d’une nature aussi sauvage qu’existentielle qui trouve son prolongement dans de nombreuses éditions physiques auxquelles leur créateur apporte un soin particulier. Caleb R.K. Williams, donc, hydre protéiforme dont on ne compte plus les têtes (il mène de front une douzaine de projets parallèles allant de la synth wave ou dungeon synth), a accepté, pour IRM, de lever une partie du mystère qui entoure le Collectif en nous faisant l’honneur de répondre à nos questions.



IRM : Salut Caleb.

Caleb R.K. Williams : Hello, merci de me donner l’opportunité de parler un peu de TESC.

Tu fêtes cette année les 10 ans de The Eagle Stone Collective. Ce qui frappe, lorsqu’on réécoute le premier EP (Eagle Stone EP), c’est que le son du projet est déjà là. Avais-tu, dès le début, une idée assez claire de ce que tu voulais proposer ?

Oui, cette année le cap des 10 ans d’existence est atteint pour ce beau projet. Je crois que ça correspond à environ 180 sorties. Tout a commencé par ce simple duo de guitares qu’est Eagle Stone (avec John Scott Gartner). Rien n’était calculé pour une suite, je n’avais absolument pas ça en tête, même si c’est arrivé très vite ensuite, d’un coup : pourquoi ne pas aller plus loin, développer un univers sonore qui sonne un peu « grands espaces » avec différents projets. Au final le groupe Eagle Stone est le lancement de ce qui va suivre, pour devenir The Eagle Stone Collective ou plutôt s’y intégrer, en faire partie. Je ne sais pas si le son de ce premier EP est déjà la signature sonore du Collectif, mais dans l’atmosphère je pense sincèrement que oui, cette vision brute d’une nature sauvage. Beaucoup d’autres éléments vont ensuite venir enrichir le Collectif.

Si je ne me trompe pas, ta première incartade dans l’univers du drone date de l’album Desert Whispers To The Dark Tongues, album signé Uktena Kult. On y trouve deux longs morceaux d’un quart d’heure chacun, mais qui gardent la patte des albums précédents. Comment expliques-tu cette bascule ?

Elle est logique, les premières sorties sous le nom de Caleb R.K. Williams préparaient à ça. Comme je trouvais l’approche un peu différente de mes travaux, j’ai proposé ça sous un autre pseudo : un processus qui va revenir sans cesse. Mais je pense vraiment qu’au final les signes étaient présents sur les sorties précédant ce premier Uktena Kult. Qui en fait est plus un jet ambient, plus monolithique, très hypnotique, entre lumières et choses plus sombres mais pas du pur drone. C’était aussi pour enrichir encore une fois le Collectif, ne pas rester statique, toujours proposer quelque chose pour TESC mais sûrement pour moi aussi, explorer de plus en plus, ce que je vais faire tout au long de ces 10 années.


Tes morceaux sont à la fois très travaillés tout en gardant une certaine spontanéité. En lisant les notes de pochettes de plusieurs de tes albums, on se rend compte que l’improvisation joue un rôle important dans ton processus créatif. Quel est ton rapport à ce procédé dans tes compositions ?

Oui, c’est vrai, c’est très spontané, au final très direct malgré parfois l’épaisseur sonore. Et j’aime improviser, garder un esprit d’aventure, comme une liberté qui m’est permise, voyager, prendre telle ou telle route, sans carte. Je jette très peu de prises, si elle est faite comme ça, c’est que ça devait être comme ça. Comme une photo sur l’instant, ce moment-là et pas un autre. Ce sont des marqueurs de temps je pense. J’aime travailler comme ça, toujours dans cette optique de donner une valeur émotionnelle immédiate. Honnêtement, ma musique ne présente rien de bien compliqué, elle part d’une idée, hop une note, et tout va se greffer dessus, couche par couche. Tout le monde peut faire ce que je fais.

Ça, ça reste à prouver ! En tout cas, ce qui ressort dans ta musique, c’est l’importance des silences, de ces temps de suspension où l’instrumentation s’efface au profit de l’ambiance voire même de l’absence totale de son. Peux-tu nous en dire plus sur cette spécificité de tes compositions ?

Je ne calcule pas trop, je fais, ça ressort comme ça, je me dis : « ok, cool, hop on passe à autre chose, suivant ». Il y a peut-être une façon de proposer une sorte de recueillement après un passage plus massif, qui apporte beaucoup de corps, je le ressens comme ça alors je l’enregistre comme ça. C’est aussi peut-être un moment pour souffler, ou préparer ce qui va suivre. Je n’ai pas vraiment de réponse, je ne réfléchis pas trop à ça. Ce qui est sûr, 90% de mes morceaux sont enregistrés dans le même ordre que ce que l’on peut trouver ensuite dans la version finale d’un album. Peut-être que ça vient de là : par moments j’enregistre une grosse quantité sonore, ou je passe un peu plus de temps sur un morceau, alors je veux quelque chose de plus léger ensuite. C’est peut-être une piste ?


C’est étonnant, on dirait que tu refuses presque d’intellectualiser ta musique. Comme si tu souhaitais le plus possible que tout cela reste une affaire de ressenti, de tripes…

Je ne pense pas que ce soit un refus, que je sois opposé à ça, mais je sais comment je travaille, comment ça sort. C’est le plus souvent émotionnel, enfin moi j’ai cette impression. Parfois c’est simplement le fait que je doive enregistrer pour sortir quelque chose, comme pour tout autre boulot. Je me lève, faut bosser, alors j’allume le matos et j’enregistre. Peu importe le projet, le premier son choisi, la première note va définir la suite, ça peut être aussi simple et banal que ça. On a peut-être un peu trop tendance à intellectualiser le fait de faire de la musique. De trouver un sens à tel morceau, tel album, peut-être que pour d’autres personnes c’est important, dans leur processus créatif, pour moi je n’ai pas cette impression, c’est juste faire simplement ce que je sais faire, sans trop me poser de questions, y prendre un max de plaisir, essayer de proposer quelque chose au plus proche des prises sonores que je fais. Je travaille un peu n’importe comment, mon matos est ultra bancal, vieux, sans réflexion de cohérence, je ne suis pas un malade (ce n’est pas dans un sens négatif) des réglages, de la technique de prise de son ou du matériel (software ou hardware), ma guitare a plus de poussière que de cordes, j’ai toujours du souffle, une enceinte qui me lâche un jour sur deux, mon ordinateur qui a une latence folle et je dois recaler chaque prise, et je pourrais évoquer des trucs comme ça un bon moment, mais c’est comme ça que j’aime faire, je bricole, je peste, puis je garde les parasites et autres défauts que je viens d’enregistrer, en me disant « ah tiens c’est cool ça »... Franchement je pense que je fais tout ce qu’il ne faut pas faire, mais moi ça me convient. J’ai à peine de la place pour travailler, ma maison est minuscule, et je dois partager un espace dans la chambre, quand je vois les conditions de certains... mais je ne me plains pas, j’ai fais des choix dans ma vie, qui me permettent déjà de faire ça, alors moi ça me va. Bien entendu que parfois je me dis, juste une pièce à toi, avec du bon matos, ça doit être quelques chose ! Mais ça me passe vite, de toute façon je n’ai pas les moyens.

Il est aussi frappant de constater l’humilité avec laquelle tu réponds. On te sent presque mal à l’aise face aux éloges.

Ce n’est pas ça, bien entendu que j’aime dans une certaine mesure les éloges ou autres compliments, on a tous un ego, c’est naturel. J’adore évoquer et discuter de ce que je fais, honnêtement on ne me le demande tellement pas souvent, que quand j’en parle j’ai l’impression de m’enflammer et de passer pour une personne avec un énorme ego. Mais c’est surtout qu’au final comment je travaille, ce n’est pas très important. Par contre si on me parle de ce que la personne a ressenti sur tel album, sur tel passage, là je trouve ça formidable. Que j’ai pu donner, procurer une émotion à travers ma musique, donc au final mes propres émotions, et échanger ensuite dessus, c’est incroyable. J’ai la chance de pouvoir discuter avec certaines personnes qui me suivent depuis longtemps, par mail, sans jamais se rencontrer, d’avoir des retours « ça j’ai aimé, ça moins », juste entre nous. J’ai bien entendu envie d’un peu plus de lumière sur ma musique, quel que soit le projet, mais quand ça arrive oui je suis peut-être un peu mal à l’aise, car je dois livrer autre chose que de la musique.


Je comprends. Pour préparer cette interview, je me suis vraiment immergé dans ta discographie et j’en ai tiré la conclusion qu’on ne comprend vraiment la musique d’Eagle Stone Collective que si on l’appréhende par le biais de l’intégralité de celle-ci. Que penses-tu de cette idée que chaque album est une pièce qui compose un ensemble plus vaste ?

Je ne peux pas parler pour les autres, pour les gens qui écoutent et suivent le Collectif depuis le début, ceux qui arrivent en route, et ceux qui repartent satisfaits ou pas de ce qu’ils ont pu découvrir ou entendre. Si les gens ressentent ça ou non. Toi apparemment oui, et j’en suis très touché. Encore une fois je ne me pose pas trop de questions, je fais ce qui me passe par la tête, j’allume, j’enregistre, et ça sort comme ça. Et vu que la majorité des sorties qui sont sur le Collectif viennent de la même personne avec toujours le même but (pour faire simple : émotion, voyage, nature sauvage), ça me semble logique. L’idée est de développer un univers sonore. Parfois plus ambient, plus folk, plus drone etc etc... Ma façon d’enregistrer, les sons que j’utilise, tout ça donne une identité. Tout comme ça suit ma propre évolution, mon propre développement.

Ceux qui te suivent savent que tu as de (très) nombreux alter ego. Au sein même de The Eagle Stone Collective, tu utilises plusieurs alias. Peux-tu nous éclairer sur les choix qui orientent ces différentes incarnations ?

Il y a plusieurs façons de voir ça je pense. Déjà c’est un pied de nez au terme « Collective ». Mais je pense que c’est surtout car j’ai du mal à être la même personne derrière des formes sonores différentes. La musique de C H A P E L ou de Kaya North ne pourrait pas, selon moi, être proposée sous Caleb R.K. Williams (qui est déjà un pseudo). Même si le chemin est le même je trouve que ça inspire des choses différentes. C’est aussi une façon de ranger les choses, dans ma tête je fonctionne comme ça, chaque chose dans un tiroir avec son propre nom. Il y a des personnes qui font tout sous le même nom, c’est un fonctionnement mais moi je n’y arrive pas, alors je fais autrement. Et j’ai cette approche sur d’autres projets, et en bien pire par rapport à ce que l’on trouve sur TESC.


De la musique aux visuels en passant par ton pseudonyme ou par les instruments employés, The Eagle Stone Collective est profondément marqué par les Etats-Unis. Quel est ton rapport à ce pays ?

Il est purement imaginaire. Je ne connais pas ce pays, en tout cas je n’y ai jamais mis les pieds. C’est peut-être une sorte de fraude. Mais j’ai longtemps été fasciné par ses paysages, sa nature. J’ai et je consomme encore beaucoup de westerns. Enfant j’avais toujours cette envie de liberté à cheval dans les panoramas que je voyais dans les films, livres, BD. Je pense que c’est lié à ce sentiment de « nature sauvage » - mais existe-t-il encore une nature sauvage ? Je me suis intéressé ensuite à ses premières populations, ses premiers peuples. Leur rapport à ces espaces, puis la terrible arrivée des Européens. Mais oui ce n’est au final qu’un rapport au lieu en lui-même, cette variété des grandes plaines aux déserts, des montagnes aux prairies etc etc... Je ne sais pas si j’irai un jour, j’en avais envie mais ça m’est passé. Je me dis que ça peut aussi enlever un certain fantasme, qui me permet de garder cette imagination - une belle excuse, car j’ai surtout une incontrôlable phobie de l’avion !

Pour éprouver la même, je comprends totalement ! (rires) Puisqu’on évoque les visuels, la musique du Eagle Stone Collective est très picturale, très évocatrice, et s’articule autour d’un artwork d’une grande cohérence avec celle-ci. Peux-tu nous expliquer l’importance de l’aspect graphique de ton projet ?

C’est aussi une façon pour moi de m’exprimer, d’appuyer les sentiments qui se trouvent dans les morceaux, de renforcer une identité, et oui comme tu le dis une cohérence. Mais je n’invente rien, c’est le cas pour tellement de projets artistiques. Ça permet aussi de passer du temps sur autre chose que la musique. Je pense même que je passe plus de temps à trouver et faire les visuels, ou même sur tout ce qui touche aux noms de morceaux, d’albums, de projets. Il y a aussi le fait de donner envie aux gens, de les attirer avec une émotion visuelle. Je fonctionne beaucoup comme ça moi-même, je traîne souvent sur Bandcamp à rechercher de la musique, et le premier sentiment que j’ai est visuel. Tel artwork me donne une émotion, hop je clique et je vais écouter. Donc c’est aussi pour cette raison que je donne du temps pour ça. Intriguer, attirer l’œil. Le dernier point, c’est que j’aime tout simplement bidouiller des visuels, tu te mets de la musique, un podcast et tu testes des choses. Les visuels viennent toujours faits après la version finale d’un enregistrement, c’est la dernière touche (ça se joue beaucoup avec les noms des morceaux), le dernier apport.

Justement, les éditions CD de tes albums sont de véritables petites merveilles d’artisanat : pochette cartonnée, cartes, images, posters, codes bonus... Tu accompagnes tes envois d’une multitude de petites attentions qui en font la singularité et un régal pour les auditeurs. Le tout, à un prix extrêmement accessible. Peux-tu nous expliquer ce parti-pris ?

Merci pour tes mots. C’est une chose très importante pour moi. Je ne fais que des éditions à très peu d’exemplaires, et c’est fait maison. Déjà il y a un aspect financier, ça me revient moins cher que de faire presser 50 ou 100 CD (ou cassettes), qui vont me rester sur les bras. Je ne suis pas un grand adepte de la promotion, donc au final les gens viennent seuls vers TESC en cherchant par eux-mêmes. Ma faible quantité de copies suffit, même si j’aimerais plus, mais pour ça il faudrait appuyer sur l’aspect promotionnel, ce que je déteste. J’ai essayé au début, j’ai vite laissé tomber, à tort ou à raison peu importe. La deuxième raison c’est que j’aime aussi faire ça, de continuer un travail commencé avec une première note, puis tu vas jusqu’au bout (enfin il manque la livraison elle-même). C’est une activité créative, et j’essaye toujours de faire en sorte que ce soit de bonne qualité. Pour le prix c’est aussi par rapport à mes idées de vie. Malheureusement cette année je dois augmenter un peu mes tarifs. Depuis le COVID je repousse cette idée, mais tout augmente, comme le papier par exemple. Je ne voulais pas tomber dans ce cercle mais sinon je ne pourrais pas m’en sortir. En contrepartie je vais essayer de donner une meilleure qualité d’impression, plus « pro » que faire avec ma petite imprimante. Mais tout est découpé à la main, gravé CDR après CDR etc etc... Et puis les versions digitales sont toujours en « name you price », donc gratuit pour ceux qui le veulent, ça aussi c’est très important pour moi, en tout cas pour TESC.


C’est intéressant, ça. Pourquoi tiens-tu autant à ce concept de gratuité ? Il me semble que la musique est ton activité principale ; n’est-ce pas, dès lors, te tirer une balle dans le pied ?

Les versions digitales sont à prix libre, en tout cas pour rester sur TESC. Certains de mes projets (hors Collectif) ont des versions numériques payantes (2 ou 3€ l’album) mais pratiquement tout est gratuit, ou plutôt les gens donnent ce qu’ils veulent (donc 0€ si ils ne peuvent pas plus). Pourquoi ça ? la raison est simple, que tout le monde puisse avoir ma musique, y accéder et la télécharger pour l’écouter où bon lui semble. C’est je pense un vaste débat, le prix du travail etc etc... mais je suis aussi acheteur, je n’ai pas de grandes finances, et parfois je ne peux pas donner beaucoup. Je pense ne pas être la seule personne dans ce cas, au moins les gens ont le choix. C’est comme ça que j’ai pu en faire mon activité principale, même si clairement ce sont mes ventes physiques qui remplissent mon frigo. Mais j’ai commencé avec cette idée il y a dix ans pour le Collectif, je ne me vois pas changer maintenant, et puis c’est très bien comme ça. Et au final ce n’est qu’un pauvre fichier audio.

Pour rester sur les objets musicaux, je crois que tu as un lien particulier au support physique en lui-même lorsqu’il s’agit de musique. Comment s’est construit ce rapport ?

C’est l’héritage. A la maison, mon père écoutait beaucoup de musique, sur vinyle et cassette. Naturellement je voulais voir les pochettes. Il a commencé très tôt à me faire mes propres cassettes pour que je ne prenne pas les siennes, avec photocopies des livrets, pour moi en noir et blanc mais j’étais trop content. Adolescent j’ai commencé à acheter mes propres exemplaires, je sortais aussi des goûts de mon père, le début de mon indépendance musicale on pourrait dire, même si beaucoup de choses sont restées. J’ai eu, je pense, la chance que mon père me fasse découvrir tant de musique. Aujourd’hui encore on échange sur nos écoutes, nos découvertes, même si on n’a pas toujours les mêmes goûts. J’ai ensuite bossé dans des endroits qui me donnaient un accès facile à la culture. J’ai commencé à faire excessivement gonfler ma collection de vinyles. Puis de nouvelles idées de vie ont émergé, des changements, et je me suis séparé d’une grosse partie de ma collection, aujourd’hui je ne suis plus du tout attaché à l’objet (même si j’en propose) mais j’ai eu ce parcours et je sais que beaucoup aiment encore ça (et ils ont raison). Moi je me limite à ce que je possède encore, et j’ai de quoi faire, et à mes recherches sur Bandcamp que j’écoute via mon ordinateur.

En littérature, on parle de nature writing. The Eagle Stone Collective m’évoque le pendant musical de ce courant. C’est du nature songwriting, en quelque sorte. Qu’en dis-tu ?

Oh super trouvaille ça, je n’y avais jamais pensé et j’espère que définir The Eagle Stone Collective comme ça n’est pas trop prétentieux. Oui j’évoque des sentiments que l’on peut trouver dans ce courant littéraire, c’est une bonne analogie.


Bien sûr quand on écoute ta musique on pense à quelques influences musicales. Mais j’ai parfois l’impression que tes sources d’inspiration sont plus à chercher du côté de la littérature ou du cinéma. Pour le cinéma, c’est particulièrement saisissant avec l’album Two Wild Soldiers, qui est très morriconien ; tandis que la série Bygone Days évoque davantage le mouvement nature writing que l’on vient d’évoquer. On t’imagine volontiers comme le pendant musical d’un Edward Abbey ou d’un Pete Fromm. Es-tu d’accord avec cette vision des choses ?

Ma première influence pour lancer le duo Eagle Stone fut l’atmosphère de l’album Hex ; Or Printing In The Infernal Method de Earth. On sortait avec John Scott Gartner d’une tentative d’un projet à la Across Tundras qui n’a jamais vu le jour (sauf une ou deux démos sur la compilation des 5 ans du Collectif), après une période plus post-metal. On a embrayé sur Eagle Stone avec nos moyens, nos capacités. Mais on avait toujours en tête ce que soufflait cet album, même si on n’a jamais pu s’en rapprocher et bien que nous ayons fini par faire un premier EP bien différent. Oui pour le cinéma (et le jeu vidéo) et sa musique, j’ai toujours eu des projets qui allaient dans ce sens, dès que j’ai commencé à faire de la musique en solitaire. Two Wild Soldiers est un hommage à Morricone ça ne fait aucun doute, c’est très parlant, mais beaucoup d’autres compositeurs m’ont donné envie de faire des choses. C’est marrant beaucoup de gens me parlent de la série Bygone Days comme une série indépendante, qui a son propre style, alors qu’au final ce ne sont que des compilations boostées des sorties faites sous Caleb R.K. Williams (mélanges de morceaux, certaines parties retirées etc etc) sur un exercice de deux longues pistes (comme deux faces d’une cassette). Cette série est là pour boucler l’année, la clôturer. J’ai bien entendu lu du Abbey, du Fromm, Rick Bass, ou encore Van Dyke pour ne citer que ceux-là. Il y a même quelques albums qui mettent en musique certaines de mes lectures. Je pense à l’album The Northern Cheyenne Exodus inspiré de « The Last Frontier » d’Howard Fast, ou encore Omens & Eligies qui fait écho à « The Desert : Further Studies in Natural Appearances » de John C. Van Dyke. Mais on peut trouver beaucoup d’autres influences comme Jim Fergus, Larry McMurtry, Michael Blake, Mark Spragg, Charles Portis et surtout Thoreau et Steinbeck. On les retrouve dans des titres de morceaux, ça raconte peut-être un personnage ou un lieu, un moment d’un livre. Je ne sais pas si la musique vient de tout ça. Quand j’enregistre je n’ai pas vraiment une idée ou un concept, j’assemble juste des notes, des vibrations qui me donnent de l’émotion, qui me donnent envie de voyager. On a toujours envie de chercher telle ou telle influence, de vouloir trouver une ressemblance, moi le premier, mais je pense que les choses arrivent aussi naturellement, sans trop de calcul. Mon travail va dans ce sens, j’enregistre et ensuite je fais en sorte que ça ressemble à quelque chose, j’y mets des messages, des influences. Mais à la base ma musique n’a pas vocation à vouloir parler de tel ou tel sujet, les concepts arrivent après l’enregistrement. Il y a aussi l’apport des gens qui viennent se greffer au Collectif, ils m’ont apporté d’autres univers, d’autres approches tout en restant cohérents avec ce que l’on peut entendre sur TESC. Je ne peux pas ne pas citer Tanner Olson, Ivonne Van Cleef et les amis de l’Orchestra. Le Collectif en est là aussi grâce à eux, à leurs capacités musicales et techniques bien plus grandes que les miennes. Ils m’ont apporté tellement dans ma façon de faire, dans des détails, j’ai beaucoup appris d’eux, et je les en remercierai toujours.


Tu évoques Steinbeck et c’est une référence à laquelle je n’avais pas pensé, mais qui, maintenant que tu l’as formulée, apparaît comme une évidence. Je trouvais qu’il y avait presque une dimension sociale dans la musique de The Eagle Stone Collective sans parvenir vraiment à mettre le doigt dessus : les grincements qui évoquent des fermes abandonnées, les grands espaces dans lesquels résonnent quelques notes de banjo ; tout cela a un côté Grande Dépression. Si l’on a ton positionnement particulier au sein de la scène musicale, peut-on dire qu’il y a une forme d’engagement dans ta musique ?

C’est intéressant, je ne définirais pas moi-même ma musique avec une dimension sociale, en tout cas là aussi si ça y est, ce n’est pas « voulu » ou alors oui mais de temps en temps, avec un titre très ciblé, ou un sujet d’album qui est venu se greffer. Le processus créatif général ne va pas dans ce sens. Ma vie a cette résonance d’engagement, même si je ne suis pas un militant, mes choix de vie, de consommation, vont vers - je pense, et j’espère - une forme d’engagement pour de meilleures choses, plus d’égalité. Après c’est peut-être l’enrobage qui fait penser à ça, une note de banjo qui résonne, le visuel de l’album et hop on pense à Woody Guthrie, le dust bowl etc etc... C’est aussi peut-être parce que toi tu as ces références, donc tu y fais un parallèle. Je trouve ça génial, c’est ça aussi le ressenti de chacun, le pouvoir de l’art. Pour rester sur Steinbeck, il y a aussi un pouvoir émotionnel dans ses descriptions, ses personnages, ses lieux, j’y vois plus qu’une dimension sociale. Par contre je pense que ma musique est un engagement dans ma vie, elle fait écho à des idées du monde, que certaines choses doivent changer, que les gens peuvent faire aussi de la musique leur métier si ils le souhaitent, et pas dans un sens mainstream ou même dans une vision ultra réductrice, le business de la musique c’est comme ça, pas autrement. Non il y a beaucoup de formes, de façons de faire, rien n’est figé, et surtout sortons de ces visions centrées sur la « réussite » (mauvais mot, mais je n’ai pas mieux, car pour moi, personne ne peut juger la réussite d’une autre personne, on est le seul à pouvoir le faire), le plus de vues, d’écoutes, la course médiatique etc etc... Je pense que tout le monde peu faire de la musique, pas besoin de savoir jouer comme un dieu, d’avoir fait 50 crédits pour avoir un studio haute technologie. Je ne dis pas que je gagne bien ma vie, mais je me sens libre, même si il faut toujours avancer et proposer tous les mois des choses pour pouvoir apporter ma part au foyer, mais j’ai fait ce choix et j’en suis très heureux.

Merci pour ton temps.

Merci à toi pour ta passion, ton temps pour parler du Collectif et de ma musique, nos échanges même hors interview ont été enrichissants et naturels, et bien entendu merci pour ton soutien !


Si vous voulez découvrir les autres projets de Caleb R.K. Williams, rendez-vous sur Bandcamp :

https://wydraddear.bandcamp.com/
https://baddoar.bandcamp.com/
https://legris.bandcamp.com/
https://cauldron80.bandcamp.com/
https://mondessonores.bandcamp.com/
https://cavern.bandcamp.com/
https://heroicviking.bandcamp.com/
https://bruine.bandcamp.com/album/bruine-i
https://shetaurus.bandcamp.com/album/altar-e-p
https://blwbck.bandcamp.com/album/meute
https://fodboldklub.bandcamp.com/


Interviews - 23.02.2025 par Ben