2021 par le bon bout - 100 albums, part 8 : #30 à #21
En 2021, bien des routes menaient à la médiocrité et à l’uniformisation, mais évidemment pas sur IRM ! Riche en chemins de traverse et en bifurcations inattendues, cette sélection de 100 LPs chroniqués pour moitié seulement dans nos pages cette année devrait rassurer les blasés de la prescription calibrée sur la vitalité de la création musicale dans les recoins les plus féconds et trop souvent inexplorés du labyrinthe des sorties.
30. Watine - Errances Fractales
Suite du superbe Intrications Quantiques de 2020, Errances Fractales épure radicalement les beats et incursions électroniques mais ne perd pas en densité pour autant, ses réquiems aux accents gothiques étendant leur linceul malaisant sur un lit de field recordings organiques, des suintements de l’eau au cliquetis des idiophones en passant par les craquements du bois et autres crépitement indéterminés, faisant la part belle aux atmosphères hantées et surtout au piano dans un entrelacs mouvant de mélodies endeuillées et de drones entêtants. Lorsque la voix s’autorise à entrer dans la danse, l’espoir renaît timidement : dans les affleurements de nostalgie acoustique d’un Childhood’s Attic aux souvenirs embués qui menacent néanmoins à tout moment de basculer dans le cauchemar éveillé, ou dans ce refrain caressant qui apparaît sans prévenir au second plan du spoken work solennel de Catherine Watine sur le lancinant Sad Lies, avant que la luxuriance des arrangements de l’opus précédent ne vienne doucement reprendre ses droits, sur A Praying Sky, cristallin et inquiétant à la fois, puis sur le final Gently Missing, morceau de résilience amère mais résolue, qui permet enfin à la tendresse de reprendre le dessus.
29. Parallel Action - Parallel Action
"La grande et belle découverte de l’été sur IRM c’est ce premier long format du musicien électronique londonien Jude Greenaway sous son nouvel alias Parallel Action, qui lui permet au passage d’inaugurer le label C7NEMA100 dédié aux soundtracks imaginaires hybrides et mélangeurs. Et autant dire d’emblée que ce LP en est un beau, revisitant l’héritage du son de Bristol dès l’inaugural Waiting On You marchant sur les traces du Massive Attack d’Unfinished Sympathy, le crescendo d’intensité et l’affliction du chant aidant. De l’abstract hip-hop équilibriste de Rawk au rap féminin urbain et ténébreux de Connect The Dots, du future jazz virtuose et texturé d’un Colours & Chords lorgnant sur l’inimitable Funki Porcini au trip-hop orchestré d’Always Future en passant par le dubstep évocateur et insidieux de 10/10, le hip-hop irradié aux drums organiques de The Racket ou la tension lourde de Blazing, le musicien épaulé de plusieurs rappeurs et vocalistes réinsuffle de la vibration instrumentale et des atmosphère intrigantes dans un genre aujourd’hui trop délaissé ou devenu à tort synonyme d’easy listening pour bobos, privilégiant les instrumentaux pour inventer le chaînon manquant entre DJ Shadow, Monk & Canatella ou Red Snapper et les productions capiteuses des Heliocentrics ou du Hidden Orchestra. Merveilleux."
28. Jam Baxter - Obscure Liqueurs
"Conséquence logique d’une collaboration avec Lee Scott (Happy Hour at the Super Fun Time Party Dome Megamix 3000), Jam Baxter semble avoir transité pour de bon de High Focus à Blah Records, l’autre grand label hip-hop à l’exigence décontractée d’outre-Manche. Pour autant, il conserve et affine sa ligne toute en basses profondes, mélodies inquiétantes et storytelling sombre et dépressif dont les accents gothiques se reflètent plus que jamais sur la pochette de cet Obscure Liqueurs. La production, confiée cette fois à un certain Sumgii, est un écrin sans fioritures au flow désabusé du Britannique, intégrant avec la subtilité d’un minimalisme classieux la substantifique moelle des tendances enfumées du hip-hop anglais, tout en apportant cette touche d’étrangeté urbaine des heures indues sous influence psychotropique, qui culmine sur les polyrythmies bricolées d’un Feek flirtant avec l’esthétique de la grande époque de Brainfeeder."
27. Funki Porcini - Drift To This
A force de livraisons quasi annuelles toute plus formidables les unes que les autres depuis le sommet Conservative Apocalypse, on aurait presque tendance à vouloir qualifier ce dernier album en date du Britannique de "mineur", un peu à l’image de son prédécesseur, 47e tout de même de mon classement de 2020. Pourtant, dans un cas comme dans l’autre, sous son apparence easy listening, l’ambient stratosphérique à laquelle revient régulièrement Funki Porcini, qu’elle soit mâtinée de percurssions délicates et d’incursions jazzy sur ce sus-mentionné Boredom Never Looked So Good ou de pulsations plus électroniques et de field recordings maritimes sur le Drift To This qui nous occupe ici, s’avère toujours assez merveilleuse de finesse et d’impressionnisme, développant au gré de longs morceaux sans cesse en mouvement le genre de variations immersives au spleen éthéré capables de nous faire voyager loin à l’intérieur de nous-mêmes, entraînés par les courants du rêve et du subconscient.
26. Moongazing Hare - The Middle Distance
Premier album studio en solo depuis Wild Nothing pour le Danois, qui 5 ans après renoue avec le songwriting psych-folk au romantisme malmené qu’on lui connaît, des chansons toujours vrillées de drones dissonants et autres larsens plus ou moins discrets mais empreintes d’une douceur inédite et qui cheminent au fil du disque vers une certaine clarté, une épure nouvelle qui prend les rênes de l’album entre la ballade To Make You Stay et un morceau-titre aux faux-airs de shoegaze débranché. Moongazing Hare, que l’on a beaucoup comparé à Current 93 du temps du sommet The Sunderland Valves aux atmosphères particulièrement fantasmagoriques, n’en finit pas moins par replonger dans l’expérimentation la plus singulière avec l’instrumental Before the Smoke Clears, sorte de rêverie déstructurée pleine d’interférences électroniques hallucinées, avant de rétablir l’équilibre sur Between the Calm Remains, final brumeux et lancinant aux arrangements de flûte évocateurs d’un certain mysticisme séculaire qui a toujours sous-tendu ces chansons d’un autre temps.
25. Nadja - Seemannsgarn
Règle implicite de ce classement : un seul album par projet... sinon le shoegaze doomesque et sursaturé (celui qui me fera écrire "metalgaze" n’est pas encore né, désolé) de Luminous Rot s’y serait probablement fait une place de choix. Le problème avec Aidan Baker, c’est que la concurrence est rude au sein-même de sa discographie, en témoigne également la présence juste en-dessous du superbe Seeing Past What Things Seem, et pour Nadja, duo qu’il forme depuis déjà près de 20 ans avec sa compagne bassiste Leah Buckareff, la place ne pouvait revenir qu’à ce Seemannsgarn au crescendo doom ambient silencieusement terrassant, sorte d’antithèse contemplative de leur génial Sv qui épure à l’extrême leur drone-doom liquéfié des origines tout en emportant l’auditeur dans son flot d’harmonies évanescentes et saturées aux dissonances discrètes, non sans flirter ici et là avec quelques-unes des nombreuses inspirations récurrentes du Canadien, du jazz à la musique industrielle (cf. ce final en suspension) en passant par le shoegaze et l’électronique.
24. DJ Format - Devil’s Workshop
Le beatmaker de Brighton s’était fait rare ces dernières années, à l’exception d’une paire de collaborations avec des rappeurs, dont Abdominal, fidèle intervenant depuis Music For The Mature B-Boy en 2003. Pour ce premier album quasi entièrement instrumental en 22 ans de carrière, Matt Ford reprend les choses en main et devient narrateur par samples interposés d’un bijou de trip-hop clair-obscur aux influences tantôt psychédéliques, tantôt ouvertement cinématographiques, oscillant entre tension et décontraction et flirtant avec la puissance d’évocation d’un Gaslamp Killer, du séminal David Axelrod ou du UNKLE de la grande époque. Les rares incursions vocales sont chantées, certaines sont samplées et si une certaine esthétique 70s domine, des choeurs mystiques de Time to Listen au groove électroacoustique opiacé et finement orchestré de Strange Sensations en passant par la soul bristolienne de Brainstorm ou les allures de blaxploitation droguée de Mountains of Madness, on est toujours plus proche de la vibe originelle d’un Lalo Schifrin (cf. Peace, notamment) que d’une énième resucée de copycat nostalgique, les compositions libertaires et instinctives du Britannique se doublant d’un travail de producteur d’une grande authenticité, à base de matériaux et de sonorités purement analogiques.
23. Aidan Baker - Seeing Past What Things Seem
"L’une des deux très belles sorties du mois d’octobre pour le Canadien, avec celle-ci, publiée par le tout jeune label italien Dissipatio, aux méditations claires-obscures joliment liquéfiées, entre ambient ésotérique et drone éthéré. C’est toutefois celle offerte aux Allemands Karlrecords qui s’avère pour moi la plus remarquable, quatre morceaux-fleuves radiants et capiteux qui reposent avant tout sur leurs harmonies aussi lumineuses qu’inquiétantes et auxquels des digressions mélodiques sous-jacentes à la flûte ou à la guitare à effets impriment leur dynamique mouvante, comme un océan de rayonnements électromagnétiques où grouillerait sous la surface la menace insidieuse d’un danger presque métaphysique."
22. Ochre - An Eye to Windward
On commence à bien connaître Christopher Scott Leary et ses "fictions mélodiques" aux fortes connotations rétro-futuristes (dont on retrouvait un bel échantillon sur notre compil hommage à Twin Peaks il y a quelques années), assez pour savoir qu’en dépit de la très forte identité de son univers, il n’est jamais tout à fait là où on l’attend. Après un Understory plus décadent et emphatique qu’à l’accoutumée, le Britannique désormais basé aux Pays-Bas livrait ainsi avec An Eye to Windward un album bien plus introspectif, mettant la pédale douce sur les beats au profit d’une ambient stellaire et onirique aux synthés ascensionnels, sorte de féérie extra-dimensionnelle qui trouverait pourtant sa source dans notre imaginaire le plus intime. Soit l’un des albums de musique électronique les plus chaleureux entendus de mémoire récente, non pas qu’il soit le plus confortable, au contraire, car l’étrangeté caractéristique de Ochre est toujours là, dans les arpeggiators de First Builders aussi atypiques en terme de rythmique que d’harmonies, dans les circonvolutions mélodiques insidieuses de Rising Tide, dans les textures en déréliction d’Evacuation ou dans les drones atonals et inquiétants de Starshade, mais la seconde moitié de disque s’avère particulièrement solaire et a tôt fait de brûler à la racine toute l’angoisse qu’il pouvait nous rester au sortir de ces 5 premiers titres plus ardus et intrigants.
21. Vitor Joaquim - Quietude
Toujours accompagné, comme sur le précédent opus The Construction of Time, de João Silva à la trompette (des improvisations impressionnistes qui ne sont pas sans évoquer le jeu magnétique d’Arve Henriksen, trompettiste de Supersilent et figure de l’ambient-jazz scandinave), le Portugais Vitor Joaquim troque ici la densité des drones pour une approche plus épurée mais pas apaisée pour autant, contrairement à ce que laisse imaginer l’intitulé de ce 11e album studio en 18 ans. Ambient de boîte à musique, glitch cristallin, jazz ténébreux, piano néo-classique manipulé ou field recordings noyés sous les harmonies de nappes digitales s’y frottent tous en effet à des stridences quelque peu malaisantes, des basses fréquences aux contours menaçants et autres affleurements de bourdons numériques rampants, comme pour incarner l’impossibilité, pour l’esprit créatif, de cette Quietude du titre, conçue lors d’une résidence à Vila Meã, dans un lieu qui inspira à l’écrivaine Agustina Bessa-Luís certains de ses romans.
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- IRM Expr6ss #14 - ces disques de l’automne qu’on n’a même pas glissés dans l’agenda tellement on s’en foutait : Primal Scream ; Caribou ; Tyler, The Creator ; Amyl and the Sniffers ; Flying Lotus ; The Voidz