Hey Colossus - Danses/Curses
Nouvel album d’Hey Colossus, Danses/Curses est aussi un double. Il aurait été facile d’y trouver quelques baisses de régime... Bien sûr, il y en a mais en fait, même pas. L’alchimie particulière qui nous lie au groupe persiste.
1. The Eyeball Dance
2. Donkey Jaw
3. Medal
4. Dreamer Is Lying In State
5. Nine Is Nine
6. A Trembling Rose
7. A Trembling Rose (Reprise)
8. The Mirror
9. Revelation Day
10. Stylites In Reverse
11. U Cowboy
12. Dead Songs For Dead Sires
13. Blood Red Madrigal
14. Tied In A Firing Line
Bien sûr, cette chronique arrive trop vite. Mais bon voilà, c’est Hey Colossus et en plus, c’est un double. Immédiatement commandé dès l’annonce de sa sortie, alors même que les premiers signes avant-coureurs ne permettaient pas d’en anticiper la teneur. Le single introductif, The Mirror - hanté par la voix d’outre-tombe travaillée au sable calciné et à la clope et au malt de Mark Lanegan - est bien foutu mais ne m’a pas laissé de souvenir impérissable de prime abord. Il met en avant le côté psycho-stratosphérique du sextette Anglais, largement entraperçu sur beaucoup de ses disques précédents. Ensuite, c’est au tour d’U Cowboy d’avoir été dévoilé. La même vibration western introspectif exténuée qui m’a pourtant inexplicablement beaucoup plus accroché. Le côté spleenique en bandoulière, les « Ahouuuuu » du refrain et le côté léger/charpenté m’ont fait impatiemment attendre la suite. D’autant plus que je sais bien qu’avec Hey Colossus il faut laisser le temps au temps, que les supposés ratages finissent toujours par s’immiscer et creuser leur trou.
Et puis voilà, reçues la semaine dernière, quatre faces transparentes, les paroles dans la pochette intérieure, un « It suddenly felt important not to over think things » prophétique (dans The Mirror) parce qu’avec Dances/Curses, il faut clairement débrancher l’encéphale et laisser le disque advenir. Les repères sont flous et d’ailleurs, pour tout dire, de repères il n’y a point. Les morceaux et les faces se succèdent et, au tout début, on n’en retient pas grand chose. En revanche, qu’est-ce qu’on l’écoute. Non pas pour tenter de le cerner mais parce qu’on s’y sent bien. Vraiment bien. Il n’a ni les fulgurances d’ In Black And Gold , ni les voies exploratoires et droguées de RRR, ni le spleen exacerbé mais imparfait de The Guillotine , encore moins le mouvement motorik au gros grain de Cuckoo Live Life Like Cuckoo, l’habillage caréné de Four Bibles ou la platitude de façade de Radio Static High mais bien un peu de tout ça en même temps et... c’est très prenant.
On peut l’écouter en sourdine, l’écouter fort, le caviarder, l’engloutir d’une traite, commencer par le face B, la C ou dans l’ordre, il exhale une onde indéfinissable qui n’appartient qu’à lui et qu’à Hey Colossus. Ce sont soixante-dix minutes de spleen insulaire parcourues de sauvagerie patraque ; les lignes de fuite cosmiques transpercent le fog massif, l’étrangeté se heurte à des refrains carrés qui à leur tour s’évaporent ou sont tout simplement oubliés, la lourdeur est bien là mais on ne la ressent pas et quand point la légèreté, elle marque par son poids extrême, le tout parfaitement bien résumé par son titre : Dances/Curses.
Ça commence prototypique via la face A. Cinq titres quasiment gémellaires, un peu patauds de prime abord dont un que l’on connait déjà (mais dans une version néanmoins différente ici) puisqu’il était acoquiné au redoutable Carcass, tube certifié de Four Bibles, le temps d’un single en 2019 : Medal. Prototypique parce qu’on identifie le désormais paradigme de l’arrachage au service de morceaux accrocheurs. Le matraquage arrondi par la douceur de la voix et des mélodies.
La face B s’en va déjà ailleurs. Deux morceaux seulement... mais il faut voir lesquels. A Trembling Rose, c’est un peu plus de seize minutes tendues où les strates se superposent et rappellent qu’Hey Colossus compte trois guitares. Répétitif, très mélodique, un brin kosmische, répétant inlassablement le même riff-gimmick mais parfois à l’envers, lâchant les chiens vers la fin tout en préservant sa grande évidence : un truc pour toutes les danses mais pour tous les malheurs aussi. Ce que semble suggérer sa très affligée Reprise que l’on reconnait à peine voire pas du tout. Un couple magnifique.
La face C, c’est Hey Colossus majoritairement au bout du rouleau, excepté peut-être sur Revelation Day où il montre les muscles (la ligne de basse est d’ailleurs très Lungfishienne). Stylites In Reverse et U Cowboy sont plutôt rêveurs et exploratoires et surtout parfaitement magnétiques et c’est vrai que Mark Lanegan habille plutôt bien le très Heartien The Mirror.
La face D renvoie à Four Bibles, le très chouette Dead Songs For Dead Sirs rappelle d’ailleurs fortement Babes Of The Plague mais on va s’arrêter là concerant cette description fastidiueuse et inutile, non sans dire tout de même que Tied In A Firing Line clôt joliment Danses/Curses en sonnant exactement tout à la fois comme l’épilogue exténué qu’il est et un truc sautillant et fuselé qui s’intègre parfaitement au reste, preuve qu’il n’y a pas vraiment d’ordre préétabli là-dedans.
Je me suis fait violence pour tenter de trouver une unité à chaque face mais pour tout dire, Danses/Curses ne fonctionne pas du tout comme cela. Sa dynamique se trouve ailleurs, dans la succession d’idées, dans la mutation imperceptible qui fait que tout s’y ressemble sans être du tout pareil, dans l’altérité stylistique devenant style à son tour. C’est un disque tout à la fois indivisible et échantillonné, grossier mais finement ciselé, accorte mais renfrogné. Une formule qui n’appartient décidément qu’au groupe, capable de viser l’hymne tout en mettant trop de personnalité pour tomber dans le bêtement vulgaire. Bien sûr, il y a des moments en-dessous, des morceaux qui convainquent un peu moins mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a aucun remplissage, rien qui fasse tâche ou entame la belle densité de l’ensemble.
Danses/Curses doit être quelque chose comme le treizième album d’Hey Colossus et, comme à l’habitude, il touche en plein cœur. Qui d’autre qu’eux pour oser un truc aussi casse-gueule : un album de quatorze titres, plus de soixante-dix minutes de musique incandescente et patraque, même pas un disque-somme puisque poursuivant la mue ininterrompue. Non, simplement un album qui ne ressemble qu’à lui-même. On l’écoute et on le réécoute encore (encore une fois, la chronique arrive certainement bien trop vite), d’une part parce qu’on est pas près d’en avoir fait le tour - et on a surtout pas envie de le faire - et parce qu’on sait très bien qu’il recèle nombre d’angles encore inexplorés. Un disque qui va durer comme dure le groupe qui en est à l’origine, un disque qui - comme le montre sa pochette - semble atomiser tout ce qui se tient devant même si je ne suis pas très sûr qu’il s’y soit tenu quoi que ce soit.
Passionnant. Toujours.
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