Hey Colossus - In Blood
Hey Colossus a-t-il encore des choses à dire ? La réponse est oui et elle est toute entière contenue dans In Blood.
1. My Name In Blood
2. I Could Almost Care
3. Perle
4. Can’t Feel Around Us
5. Curved In The Air
6. Avalon
7. TV Alone
8. Over Cedar Limb
Hey Colossus quaterdecies et toujours rien de véritablement fixé. On reconnait pourtant aisément la voix de Paul Sykes, le mélange exténué/volontaire, la tristesse floue qui s’immisce partout mais voilà, In Blood se démarque de Dances/Curses comme celui-ci se démarquait de Four Bibles qui n’avait lui-même rien à voir avec The Guillotine et ainsi de suite même s’il ne fait aucun doute que c’est bien Hey Colossus. Il y a ce côté indéboulonnable mais il côtoie une grande versatilité et si j’ai souvent l’impression d’écouter toujours le même disque, j’ai aussi la certitude que c’est à chaque fois différent. Une étrange continuité, rectiligne mais laissant la part belle aux changements de cap et aux revirements.
Si je m’en tenais à mes premières impressions, je dirais qu’In Blood se rapproche de loin d’un Four Bibles : comme lui, il ne s’est pas révélé tout de suite et je suis resté légèrement interdit à l’issue de la première écoute. Les accidents et le gros grain reculent, supplantés par l’emphase et l’évidence de morceaux très carrés. Mais bon, comme je me suis déjà fait avoir, je sais bien qu’il ne faut pas en rester là. Et petit à petit, le côté carré susmentionné s’est érodé jusqu’à disparaître complètement. Qu’il s’agisse des divagations de l’une des guitares, du parterre hérissé, des circonvolutions nouvelles de la voix, des compositions en tiroir, des lignes moribondes de la basse, finalement, je vois bien que tout ça louvoie. Et s’insinue.
Les écoutes espacées sont ainsi devenues très régulières au fur et à mesure que le constat prenait corps : In Blood et Hey Colossus demeurent passionnants. Parce que 1., le disque n’est pas parfait et 2. que c’est précisément pour ça qu’il l’est. Le groupe (on pourrait presque parler de collectif tant il est à géométrie variable, les anciens membres et quelques invités rejoignant les nouveaux) se contente d’être ce qu’il est, de faire du Hey Colossus et plus il le fait, plus il mute. C’est à la fois presque imperceptible et complètement évident : il mute. Envolées les couleurs cartoonesques de Dances/Curses, ici, tout est gris. Mais pas sans nuances. C’est parfois très proche du blanc (Can’t Feel Around Us, volontaire) pour frôler le très noir en un instant (le proto-gothique Perle) et c’est toujours, au minimum, triste. Et toujours sans esbroufe (même son emphase n’a rien de démonstratif).
Alors voilà, les My Name In Blood, Perle ou Avalon envahissent la boite crânienne et avec eux, tous les autres si bien qu’à la fin, on retourne souvent se frotter à l’infra-zone d’In Blood. Et s’il ne payait pas de mine au départ, il finit par se révéler par petites touches successives avec ses fulgurances et ses moments plus en-deça (Sykes en fait par exemple un poil trop sur TV Alone me semble-t-il mais qu’importe, le parterre hérissé tout en bas contrebalance les élans de la voix). Le disque n’est pas une autoroute rectiligne et parfaite où tout file et rien ne se passe, c’est bien dans le contraste que se niche une grande part de son intérêt.
Et puis, il y a aussi ce Over Cedar Limb final à arracher des larmes (qui s’en va rejoindre illico les grands morceaux du groupe), un requiem de plus de sept minutes qui explore toutes les facettes du trauma sans jamais sonner résigné. Hey Colossus devient alors cette machine sensible avec laquelle il est facile d’entrer en résonance, ce truc qui n’a l’air de rien mais qui sait comment s’y prendre pour exprimer le complexe et le pas clair.
Bref, à la fois dans l’exacte continuité de sa trajectoire et à côté, le groupe commet une nouvelle fois un très beau disque tout aussi délicat que plombé. Il y cache ses crocs (mais est loin de les abandonner) pour laisser sa noirceur atavique remplir la surface. Presque folk, les oripeaux noise bien planqués dans l’arrière plan, il laisse parler sa normalité, donne l’impression de vouloir s’effacer, de devenir transparent et pourtant, quelle que soit l’occurrence sur laquelle on s’arrête, on voit très vite les remous parcourir l’ossature. La tranquillité n’est que de façade, les courants contraires sont toujours là, en-dessous. Ils nourrissent la densité, rendent l’intérieur plus grand que l’extérieur et expliquent pourquoi il ne faut pas s’arrêter à quelques écoutes.
Je ne m’attendais à rien d’autre et pourtant, je suis surpris. Quatorze disques, vingt années d’existence et Hey Colossus reste vital et pertinent. Je sais bien que je n’ai pas encore fini de faire le tour d’In Blood ni d’en décrypter la pochette, sans doute une coupe de la moelle épinière, seule image à même de représenter une matière si enfouie et écorchée.
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