Agnes Obel - Citizen of Glass
Pour son troisième album, Agnes Obel a choisi de se remettre profondément en question. Une bénédiction pour l’auditeur qui découvre avec Citizen of Glass le prolongement de ses deux chefs-d’œuvre initiaux.
1. Stretch Your Eyes
2. Familiar
3. Red Virgin Soil
4. It’s Happening Again
5. Stone
6. Trojan Horses
7. Citizen Of Glass
8. Golden Green
9. Grasshopper
10. Mary
Un prolongement, certes, qui permet d’éviter toute redondance dans la discographie de la Danoise. Philarmonics, emmené par quelques singles aussi inoubliables que Riverside ou Just So, nous avait surpris et charmés à la fois, la découverte d’une telle voix et d’une telle douceur au piano ressemblant à autant à un uppercut qu’à une caresse permanente, tandis qu‘Aventine sonnait comme la confirmation d’un talent loin d’être éphémère. Surtout, ce disque voyait l’artiste attribuer une place plus large aux cordes.
Une direction assumée et renforcée sur Citizen of Glass, le violoncelle y tenant un rôle au moins aussi indispensable que le piano. Assurées par Kristina Koropecki (ponctuellement assistée de Charlotte Danhier ou Frederique Labbow), ces parties s’imposent comme la pierre angulaire de ce redoutable édifice. Trois morceaux seulement s’affranchissent du violoncelle.
A l’instar de Stone ou Mary, ceux-ci sonnent d’ailleurs comme les plus conventionnels de ce troisième opus. Nous pourrions même être tentés de les considérer comme les plus mineurs. Non que la Danoise n’ait plus rien à dire lorsqu’elle se centre exclusivement sur ce qu’elle sait faire – un piano-voix enrichi par une production impeccable qu’elle assure elle-même – mais la profusion et la justesse des cordes donnent à ce recueil une telle profondeur qu’une certaine fadeur évidemment toute relative s’empare des pièces qui n’en comportent pas.
Du trautonium de Daniel Matz au violon de John Corban en passant par les parties que la pianiste assure elle-même (mellotron, épinette, celesta, percussions et, évidemment, le chant), l’ensemble des éléments s’intègre dans une fusion harmonique à la grâce difficilement égalable. Citizen of Glass est sans doute le plus dense et le plus profond des disques d’Agnes Obel. C’est aussi assurément le plus véhément dans son propos, celui-ci traitant de l’absence de filtre requis par la société actuelle.
« Aujourd’hui, nous attendons de chacun qu’il révèle son autobiographie. C’est comme si une caméra était en permanence dans une pièce. Ça nous transforme énormément en tant qu’êtres humains » indique ainsi la danoise, avant d’enchaîner : « Ces jours-ci, tout ce qui concerne nos vies semble aller dans le sens de la révélation de l’intime, de notre moi dans chaque petit détail. Je ressens ça dans mon travail. On attend de moi que je sois en verre, mais aussi dans ma vie privée ». Citizen of Glass est autant un disque actuel que conscient, et parfois même contestataire. L’immédiateté, la transparence généralisée, la perte de l’intime et de pas mal de pudeur sont autant de fléaux sociétaux 2.0.
Sans avoir l’air d’y toucher, la douceur d’Agnes Obel se fait parfois plus acérée. Telle la glace qui peut parfois être tranchante. Des subtils arrangements de cordes en crescendo d’It’s Happening Again au duo autocentré (l’artiste se répond à elle-même, non sans avoir modifié sa voix qui ressemble pour le coup étrangement à celle d’Antony & The Johnsons) de Familiar, sommets de l’album, sans occulter la grâce d’un éponyme touchant ou le relatif entrain du préambule Stretch Your Eyes, les grands moments ne manquent pas sur cet album.
Cela a toujours été le cas dans l’œuvre d’Agnes Obel mais, peut-être plus que jamais, cette défricheuse à la curiosité rare (elle a été aussi bien bercée sur du Debussy qu’avec Lou Reed en fond sonore, ce qui laisse forcément quelques traces) n’admet aucun temps faible. Faites l’expérience, et écoutez Citizen of Glass d’une traite. Les morceaux dénués de cordes vous happeront peut-être moins immédiatement.
Réécoutez-les isolément de l’ensemble : la majesté est au rendez-vous.
Comment l’expliquer ? Citizen of Glass est-il mal conçu ? Que nenni. Simplement, l’humain est ainsi fait qu’il ne peut pas maintenir un niveau de concentration identique pendant quarante-cinq minutes. Forcément, dans un impeccable océan de majesté, ce qui n’est « que » sublime paraît légèrement moins marquant. Il est pourtant indispensable, car qui vole trop près du soleil de manière prolongée risque de périr tel Icare.
Sa voix singulière à la majesté difficilement comparable et la discographie exigeante qu’elle établit et dont chacun des volets semble se distinguer de ses prédécesseurs semblent faire d’Agnes Obel la véritable descendante d’une autre scandinave, en admettant l’acceptation large de ce territoire, dont nous ne vous ferons pas l’injure de citer l’identité. A ceci près que la Danoise n’annule pas (encore) ses concerts pour des motifs discutables. La grâce sans les caprices de star, Agnes est rare, profitons-en.
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