On pouvait difficilement imaginer écrin visuel plus approprié aux cascades de pizzicati poétiques de la harpiste Mary Lattimore et aux soubassements d’effets de synthés lancinants et autres drones de guitares angoissés de son collaborateur Jeff Zeigler, que cette échappée filmique austère et onirique signée Garrel. Datée de la fin des années 60, cette fable muette aux cadrages expressionnistes s’attache au point de vue d’un petit garçon dont la famille fuit une menace invisible - avec en toile de fond la répression que craignaient alors les soixante-huitards - et que son regard d’enfant isole tant bien que mal d’une réalité post-apocalyptique.

La harpe demeure ainsi au premier plan tout au long de cette longue suite serpentine dont les morceaux imbriqués évoquent un songe éveillé, tandis qu’aux abords de ce refuge d’arpèges enchanteurs, les reverbs de guitare assourdies évoquent un purgatoire qui vient parfois contaminer momentanément la pureté des cordes séraphiques, lesquelles se font alors dissonantes et hantées comme à la fin de Family Portrait, ou encore sur l’halluciné Running Chased qui voit les parois du cocon se gondoler sévèrement au contact des grouillements saturés de Zeigler. Les sentiments induits en creux par la caméra du cinéaste parisien sont ainsi magnifiés sans trop déborder pour autant du cadre abstrait voulu par ce dernier, puisque l’épure est définitivement le maître-mot de cette rêverie aux motifs minimalistes déclinés jusqu’à l’hypnagogie, alternant sans avertissement éther mélodique et atonalité glaciale.

Largement improvisée comme son modèle cinématographique - cette bande originale 48 ans après prenant racine dans une performance scénique pour l’espace culturel texan Ballroom Marfa en 2013 -, Le Révélateur s’inscrit donc parfaitement dans la continuité du très beau Slant Of Light d’il y a deux ans, dont on vantait ici collectivement les limbes romantiques et autres fantasmagories claustrophobiques. Autant dire qu’il nous faudra continuer à suivre de près ce duo désormais emblématique du label Thrill Jockey, qu’il nous mène au-delà de la matérialité ou de l’autre côté du miroir cinématographique.