2024 à la loupe (par Rabbit) - 24 chansons
La "pop" dans son acceptation la plus large étant souvent un peu en retrait dans mes bilans annuels depuis une quinzaine d’années, le top chansons est parfois l’occasion de mettre en avant quelques albums et EPs passés à l’as et néanmoins précieux ne serait-ce que pour un titre en particulier. 2024 toutefois fut un cru plus que décent en la matière, et force est de constater qu’en comptant les quelques petites claques hip-hop qui se sont fait une place dans l’affaire, une moitié des artistes mentionnés ici le seront également dans mes classements à venir.
L’album de Jim Noir ayant été repoussé à début 2025, je n’attendais plus pour mettre un point final à cette sélection que The Innocence Mission, pour lesquels une place était réservée d’office et à raison. En effet, face à des morceaux qui m’ont accompagné toute l’année pour certains, une sortie surprise ou autre rattrapage de dernière minute (il y en aura forcément) n’aurait de toute façon pas le bagage émotionnel nécessaire pour que son inclusion fasse sens.
1. Laura Marling - The Shadows
Difficile de sortir une chanson de ce chef-d’oeuvre absolu (avec Patterns In Repeat, Lullaby, No One’s Gonna Love You et Child of Mine, la Britannique aurait pu occuper les 5 premières places à vrai dire, si ce n’est plus). Disons que pour The Shadows, la quantité de larmes versées au gré des écoutes répétées a tranché.
2. Arrested Development - It Couldn’ Be (A Beautiful Night)
Comme pour Laura Marling, l’émotion a parlé avec cette boucle crève-cœur au sampling un peu facile certes mais magnifié par le storytelling humaniste et le flow mélancolique de Speech (seul aux manettes sur ce titre), ce retour au sommet du crew d’Atlanta par ailleurs produit par le Britannique Configa ne manquant pas de classiques instantanés malgré quelques fautes de goût qui le verront échapper de peu à mon top ten hip-hop de l’année.
3. Elysian Fields - Must Have Meant
Retour en très belle forme pour Jennifer Charles et sa bande, où culmine de la même manière que Karen 25 en 2018 pour Pink Air le genre de merveille à la fois rugueuse et capiteuse dont les New-Yorkais (désormais accompagnés par Garciaphone à la batterie, cf. plus bas) ont le secret lorsqu’ils sont à leur meilleur, ce qu’est venue confirmer une version live feutrée tout aussi splendide en concert privé à Châtillon.
4. The Smile - Friend Of A Friend
L’impressionnant Bending Hectic extrait du même album ayant initialement été dévoilé en 2023, je me "contenterai" ici de Friend Of A Friend et de son rollercoaster mélodique et harmonique néanmoins à tomber, en particulier pour ses contrastes entre crescendos de densité et retours à l’épure lorsque les montées d’arrangements irradiés ou hantés se taisent soudain.
5. Godfather Don - Full Court Press
Symptomatique d’un début d’album tellement imposant qu’il en écrase presque la suite du disque, ce morceau d’intro de l’excellent Thesis dont on reparlera dans le bilan idoine voit le vétéran new-yorkais Godfather Don, compère de Kool Keith dans la première moitié des années 90 (remember The Cenobites) sampler les cordes de Melody Nelson sans le moindre complexe, pour accoucher d’un titre au souffle épique sur lequel son flow paradoxalement posé fait merveille.
6. Beth Gibbons - Rewind
Le morceau le plus intense et écorché du très beau Lives Outgrown est aussi son sommet, sorte de western crépusculaire auquel des cordes capiteuses insufflent ici et là un soupçon de luminosité et de lyrisme mesuré, entre deux incursions tourmentées et autre cascades de percussions déstructurées.
7. The Innocence Mission - A Different Day
L’album vient de sortir, pas évident de se prononcer, sachant déjà que certaines chansons vont une fois de plus s’imposer sur le durée grâce à la qualité profondément intimiste de ce Midwinter Swimmers et à la mélancolie fragile charriée par le chant toujours aussi désarmant de Karen Peris. La magnifique coda lyrique et enluminée de This Thread Is a Green Street contrastant avec la folk à nu de sa première partie aurait ainsi très bien pu emporter le morceau, de même que The Camera Divides the Coast of Maine ou surtout ce Sisters and Brothers qu’on jurerait sorti tout droit des sessions du faramineux We Walked in Song, ce sera finalement la toute dernière chanson du disque, A Different Day, avec son spleen romantique d’une délicatesse à faire chialer des cailloux.
8. Japandroids - Positively 34th Street
Mélodie vocale enflammée par-delà ses excès, riff irrésistible, urgence fébrile et reverb généreuse... un tube pop-punk comme on les aime pour célébrer le baroud d’honneur des Japandroids, dont le très bon Fate & Alcohol, taillé pour les fans des Thermals de la grande époque, restera le chant du cygne.
9. Spice Programmers - 150424 (feat. Days & Mike Ladd)
Blindé de micro-tubes et de collaborations prestigieuses avec la crème du hip-hop underground, Transatlantic Shit 2 tutoie les cimes d’Anticon et Def Jux sur cet inquiétant 150424 au sample de soundtrack horrifique inspiré, le légendaire Mike Ladd se chargeant d’enfoncer le clou de sa plume acérée avec un refrain désabusé sur la fin de l’humanité.
10. Loma - Pink Sky
Morceau légèrement atypique pour le projet de Jonathan Meiburg (Shearwater), Emily Cross et Dan Duszynski (Cross Record), le syncopé Pink Sky chasse ouvertement sur les terres du trip-hop de la seconde moitié des 90s avec sa mélodie insidieuse et sa basse à la Portishead, sans perdre de vue pour autant les atours pop baroques et autres arrangements jazzy chers au groupe.
11. Metronomy x Miki x Faux Real - Contact High
Le Metronomy post-The English Riviera, c’est un peu à prendre ou à laisser. Comme pour of Montreal avec Innocence Reaches, certains y verront du racolage radiophonique pur sucre, d’autres une inspiration décadente juste ce qu’il faut pour accoucher de petits hits tordus. Il y en a plusieurs sur cet EP de collaborations sorti chez Ninja Tune et dont on parlait par ici, à commencer par cette comptine barrée dont les incursions dans la langue de Gainsbourg par la chanteuse franco-coréenne Miki collent au cerveau comme pas permis.
12. Field Music - Six Weeks, Nine Wells
Si le groupe des frères Brewis déçoit relativement depuis quelques albums par des influences 80s trop marquées et une inspiration moins baroque et débridée qu’à la grande époque de Measure ou Plumb, il leur arrive encore de composer de très grandes chansons. Ce Six Weeks, Nine Wells en fait partie, et le festival de synthés et de boîte à rythme laisse rapidement place à un refrain de toute beauté, la batterie prenant les devants du chant incandescent de mélancolie de David Brewis.
13. Envy - January’s Dusk
Les Japonais ne sont jamais meilleurs que lorsque le lyrisme du songwriting matche l’intensité de leur "screamo" (où les beuglantes ceci dit se font désormais rares) sensible et incandescent. Sur l’excellent Eunoia publié cet automne, c’est ce long titre final aux élans post-rock plus marqués qui sort du lot, la mélodie de guitare collant peu à peu le frisson à mesure que le spoken word de Tetsuya Fukagawa doublé de roulements de batterie martiaux gagne en intensité.
14. Jim Noir - Frightened Of Flying
"Le merveilleux Frightened Of Flying avec ses breaks aux rondeurs jazzy, entre deux passages techno-pop à synthés aux rythmiques plus rigides", j’avais déjà tout dit dans cet article sur les EPs Patreon finalement lâchés par le Mancunien sur Bandcamp cette année. Pour Jimmy’s Show 2 par contre, d’abord annoncé pour novembre puis décembre, il faudra attendre l’an prochain à cause des délais de fabrication du vinyle, un EP de chutes de l’album étant proposé dans le même format pour faire patienter les fans.
15. Your Old Droog - What Else ?
Quand Your Old Droog, petit cousin de Nas que certains confondirent même avec l’auteur d’Illmatic à ses débuts il y a une dizaine d’années, diss l’ensemble du rap jeu et en particulier les wannabe gangstas dont les fantasmes mafieux volent aussi bas que leurs lyrics, ça donne What Else ?, paradoxalement un petit bijou de mélancolie instrumentale alors que la plume du "jeune entrepreneur" de Brooklyn, elle, ne fait pas de quartier, avec autant d’humeur et de finesse que de lassitude palpable face à cette culture du fric et du paraître.
16. Cyrod Iceberg - As Long as the Blood
D’accord, on a sorti Dark Days sur notre IRM Netlabel, mais le copinage c’est pas le genre de la maison quand on en arrive aux bilans et d’ailleurs ça n’est même pas mon Cyrod préféré cette année (affection toute particulière pour le rugueux et noisy It’s a conversation between me and myself). Toujours est-il que l’habité As Long as the Blood s’est imposé d’emblée comme l’un de mes morceaux favoris du musicien, d’abord caverneux et feutré à la Nick Cave (de quand c’était bien) puis de plus en plus incandescent et désespéré au gré d’un crescendo presque post-rock qui vous prend aux tripes pour ne plus vous lâcher.
17. Being Dead - Blanket of my Bone
De très belles choses dans le fourre-tout EELS, 2e long-format en 2 ans des Américains, et un coup de coeur tout particulier me concernant pour ce Blanket in my Bone aux changements de tempo incessants, télescopant pop-punk branleuse, surf music, breaks baroques shootés aux anti-dépresseurs et refrains ciselés dont le spleen rêveur semble sortir de nulle part.
18. Garciaphone - Better and Better
Seconde mention dans ce classement pour Olivier Perez, désormais batteur d’Elysian Fields donc, mais cette fois avec son projet solo Garciaphone dont la folk baroque façon Andy Shauf ou même Elliott Smith en plus arrangé du très beau Ghost Fire nous offre, avec Better and Better, un instantané mélodique désarmant de délicatesse et d’évidence.
19. Tindersticks - Don’t Walk, Run
Sommet de l’inégal Soft Tissue marqué par des incursions soul plus décomplexées qu’à l’accoutumée, Don’t Walk, Run évoque la blaxploitation jusque dans son titre et en a aussi bien la tension cinématographique tous cuivres dehors que le groove à la fois cool et inquiétant, les orchestrations de cordes capiteuses réminiscentes du Second Album faisant le reste.
20. Kim Deal - Nobody Loves You More
Étonnant de retrouver une Kim Deal presque chamber pop sur ce single et morceau d’ouverture du premier album solo de l’ex bassiste des Pixies. Si le chouette album du même nom, alternant morceaux plus ou moins rêches ou arrangés, est loin de toujours atteindre les mêmes sommets, ce petit bijou rappelant Sondre Lerche ou les productions de Jon Brion pour Aimee Mann ou Fiona Apple aurait amplement suffi à notre bonheur, avec sa mélodie vocale caressante et son break tout en cuivres rétro de big band enflammé.
21. Oisin Leech - Colour Of The Rain
October Sun mon premier choix datant de 2023, la tâche incombera au serein Colour Of The Rain de faire honneur ici au superbe Cold Sea, l’un des sommets folk de l’année avec ses ballades éthérées et enluminées de synthés évoquant pêle-mêle Lambchop, Bill Callahan, Nick Drake ou encore M. Ward (qui justement participe à l’album, au même titre que Steve Gunn notamment).
22. Ghost Low - In Chains (feat. Empuls)
L’abrasif Dead Bird Fly des Britanniques Ghost Low a laissé des traces toutes particulières avec ce morceau final d’une mélodicité d’abord insoupçonnée sous les larsens, les distos et autres drums pleins d’échardes et de clous rouillés. L’avoir remixé pour un projet de relectures à venir a forcément joué dans mon obsession pour In Chains, mais le flow et l’écriture d’Empuls tout autant.
23. Laetitia Sadier - The Inner Smile
Rooting For Love fut à n’en pas douter l’un des grands albums pop de l’année, et comme avec son groupe Stereolab, Laetitia Sadier ne brille jamais tant que lorsque son idée de la pop est alambiquée et éprise de chemins de traverse. En témoigne The Inner Smile, improbable grand écart entre folk sud-américaine, disco, électro-pop rondelette et onirique façon Air et même motorik dans une seconde moitié de track tendue à souhait, sur fond de spoken word new age et de flutiau psyché en liberté.
24. Sameer Ahmad - Salade de fruits
Le rappeur montpelliérain fait à mon avis encore mieux en format resserré sur l’EP Ras El Hanout qu’avec le pourtant très quali La vie est bien faite de mars dernier. Mention spéciale à cette Salade de fruits jazzy et cristalline dont la mélodie vocale et les rimes élégantes collent aux cortex autant que son spleen et sa basse au groove bien balancé s’accrochent à l’épiderme.
Bonus de dernière minute :
Sparkz & Pitch 92 - Got This
Un micro-tube jazzy-hip-hop qui fait du bien !
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