2015, un bilan par association
2015 s’en va, j’en profite pour dresser un petit bilan non exhaustif. Les disques ci-dessous sont regroupés par association - d’idées, de labels, de musiciens, de genres et j’en passe. C’est un peu flou et téléphoné, c’est surtout très subjectif mais c’est souvent comme cela que mes écoutes fonctionnent. Une belle année quoi qu’il en soit (concernant strictement la musique, parce que pour le reste...).
Une année riche en disques fureteurs, de moins en moins cloisonnés dans un genre. Mélangés, échantillonnés, amalgamés, puisant dans le passé pour mieux s’en affranchir. Le plus souvent à portée de clic mais aussi portés par des labels activistes et passionnés. L’industrie ne va pas mieux mais la musique se porte comme un charme. En voilà un minuscule échantillon là-dessous.
Hey Colossus - In Black And Gold / Henry Blacker - Summer Tombs / Workin’ Man Noise Unit - Play Loud
La connexion est simple : Hey Colossus et Henry Blacker se partagent Tim Farthing qui s’est également occupé de la pochette du premier album de Workin’ Man Noise Unit et tous appartiennent (ou ont appartenu) à la nébuleuse Riot Season. Après, musicalement, on ne peut pas vraiment dire que ces trois-là fraient dans les mêmes marécages poisseux même si leur musique exhale le même parfum de tourbe aqueuse et revêt un gros grain caractéristique qui la fait sonner toujours plus crade. N’empêche, on trouvera peu de points communs entre le psychédélisme plombé de plus en plus affirmé d’Hey Colossus, le stoner profondément anglais d’Henry Blacker et le noise-rock protéiforme gorgé de doom de Workin’ Man Noise Unit. On ne les mettra pas non plus tout à fait sur la même marche du supposé podium. Hey Colossus est très au-dessus et In Black And Gold devrait tenir la dragée haute à beaucoup d’autres albums pour un bout de temps encore (Radio Static High, bien qu’excellent, n’a d’ailleurs pas réussi à le détrôner un peu plus tard cette année) mais voilà, on trouve dans le Summer Tombs d’Henry Blacker au moins un grand morceau (parmi d’autres qui valent pourtant le détour) qui donne justement son nom à l’album et Play Loud a tout de même pas mal occupé la platine pour qu’il apparaisse ici.
Une chronique d’In Black And Gold est lisible ici, une autre de Summer Tombs là et une dernière de Play Loud par là-bas.
Le Chemin De La Honte - s/t / TELEDETENTE 666 - Karen / Balladur - Plage Noire, Plage Blanche
Post-punk minimaliste et accaparant. Dans des déclinaisons certes différentes mais d’où sourd plus ou moins la même colère larvée et contrite. Depuis qu’ils ont croisé mon empan auditif, ils repassent souvent. Le Chemin De La Honte s’exprime en français et ses textes, dits avec morgue et conviction, sont à l’origine de sacrés impacts dans la boîte crânienne. Le disque est tout simplement magistral. TELEDETENTE 666 fait de même mais le chant se détache un peu moins. Peu importe, l’ossature des morceaux suffit à comprendre le propos. Acteur en colère ou simple témoin d’un présent moribond, ces deux-là ne se laisseront pas faire. Balladur, excepté son nom à la con, est quant à lui légèrement plus ouaté et tinte son post-punk au cordeau de nuances shoegaze et synthétiques. Il s’exprime en anglais mais là aussi, la musique permet aisément de comprendre ce qu’elle porte si on n’est pas à l’aise avec le lexique de Shakespeare. Puisque tout est mort, planquons-nous dans les rêves biscornus. Trois disques extrêmement attachants qui vont nous accompagner longtemps.
USA Nails - No Pleasure / Great Falls - The Fever Shed
Pourquoi ces deux-là ensemble quand un océan les sépare ? Sans doute parce qu’on aura rarement entendu plus violent et désespéré cette année. Et puis, bien que labourant le même pré carré d’un album sur l’autre, les deux formations semblent faire toujours mieux. No Pleasure d’USA Nails est encore plus méchant que leur Sonic Moist inaugural et The Fever Shed, bien qu’un poil moins arraché, va plus loin qu’Accidents Grotesque en poussant tous les traits caractéristiques de Great Falls à leur paroxysme. Les deux sont répétitifs, drastiquement noise, claustrophobes et glauques et n’hésitent pas à diluer leur bestialité dans des enclaves presque apaisées (They’d Name An Age pour les premiers, And It Can’t Be Stopped pour les seconds par exemple) qui révèlent plus encore leur violence intrinsèque. Enfin, leur rapprochement ici tient surtout au fait que ces gens-là ont un pedigree, que leur parcours est déjà riche et qu’ils jouent comme si leur vie en dépendait. Deux grands disques (auquel on aurait pu rajouter le split magistral que Great Falls a partagé avec Thou un peu plus tôt dans l’année).
Une chronique de No Pleasure est lisible là.
Chaos Echœs - Transient / WHEELFALL - Glasrew Point
La connexion vient ici de Fabien W. Furter même s’il n’a pas participé au disque de Chaos Echoes mais, depuis, il a rejoint le formation. Pour le reste, excepté qu’il s’agit de metal, Transient et Glasrew Point ne se ressemblent pas. En revanche, ils sont tout aussi jusqu’au-boutistes l’un que l’autre et à leur encontre, on parlera de singularité. Chaos Echœs est le seul dans sa catégorie qu’il est donc également le seul à définir. Celle d’un metal transcendantal dont l’écoute amène irrémédiablement à l’intérieur de soi. Un grand disque, inutile d’en rajouter plus. Concernant WHEELFALL, on ne peut qu’être sidéré par sa propension à jouer avec la longueur et les concepts sans jamais perdre l’auditeur en cours de route. Quatre-vingts minutes d’un metal narratif et cinématographique qui montre autant d’accointances avec Neurosis ou Celtic Frost qu’avec les Swans. Le dark ambient jamais très loin quand le groupe n’y plonge pas tête la première. Une œuvre sombre et métamorphe qui s’accompagne d’un chouette roman dont la lecture, pourtant, n’amène pas grand-chose de plus tant le disque se suffit à lui-même. Magnifiques, ces deux-là aussi.
Une chronique de Transient par ici, un descriptif de Glasrew Point par là.
Judas Donneger - Tu Viendras Si Tu Existes / Xnoybis - Trust Fall
Il suffit de les placer l’un à coté de l’autre pour savoir pourquoi ils sont ensemble. Les œuvres de Jérôme Minard auront décidément orné beaucoup de beaux disques cette année. Encore une fois, musicalement, rien à voir. L’un enroule son post-punk autour d’une ossature industrielle et choisit ses mots pour qu’ils fassent aussi mal que la musique qui les porte. Depuis le début, Judas Donneger tire le même fil et n’en déviera sans doute jamais. L’autre aère considérablement son noise-rock disloqué pour laisser la tension se charger lentement d’anxiété. Depuis le début, Xnoybis ne cesse de muter, toujours plus loin de Godflesh, toujours plus près de ce qu’il est indépendamment de ses influences supposées. Trust Fall est son meilleur disque. Au final, ce que l’on retiendra des deux, c’est qu’ils n’ont par leur pareil pour communiquer les émotions qu’ils injectent à forte dose dans leur musique. C’est sans doute pour cela qu’ils touchent autant. Pas une once de calcul, rien pour paraître. Ici, on avance à poil, on pose sur la table ses tripes et ses entrailles. C’est à prendre ou à laisser. On prend.
Une chronique de Tu Viendras Si Tu Existes par là.
Girls Pissing On Girls Pissing / Looks Like Miaou - Split / Girls Pissing On Girls Pissing - Scrying In Infirmary Architecture
Le point commun n’aura échappé à personne. Ces deux-là se complètent. Le split met en évidence les racines dérangées et drastiquement post-punk de Girls Pissing On Girls Pissing. Looks Like Miaou est loin de faire de la figuration, une guitare sépulcrale et élégante associée à des claviers funestes, une voix fantomatique dont on ne peut se défaire, sa musique enveloppe tout autant et conduit irrémédiablement au même endroit : au sous-sol, là où les émotions finissent par se teinter d’une couleur uniforme, noire et abyssale. Scrying In Infirmary Architecture des seuls Girls Pissing On Girls Pissing est légèrement plus solaire et accorte mais pourtant, sous ses atours policés, la folie perdure. Ce qui en fait un objet sonore particulièrement retors. Un disque qui provoque des émotions contraires et qui conduit à être heureux de ne pas aller bien ou malheureux d’aller mieux. On y embrasse ses ecchymoses et on se roule en chien de fusil contre ses blessures. Deux grands disques encore.
Une chronique du split là, une autre de Scrying In Infirmary Architecture ici.
Filiamotsa - Like It Is / Cannibales & Vahinés - Songs For A Free Body
Bien sûr, ce sont la voix et les textes de G.W. Sok qui poussent à rapprocher ces deux-là même s’ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre. D’un côté, des violons agrafés à une guitare et une batterie dessinent des morceaux élégants et profonds. De l’autre, un saxophone en liberté s’acoquine à une batterie et une guitare et dessinent des morceaux profonds et élégants. Disons que les uns ont un pied dans la noise, les autres dans le free-jazz mais qu’ils se rejoignent dans leur authenticité. Pas vraiment guillerets mais pas non plus irrémédiablement sombres, on en vient à arpenter souvent ces deux enclaves racées, à la liberté communicative. Et puis, rien à faire, G.W. Sok pourrait lire le dictionnaire qu’il accrocherait tout de même. Deux disques essentiels qui vont compter longtemps.
Une chronique de Like It Is par ici, une de Songs For A Free Body par là.
Kill Your Boyfriend - The King Is Dead / Blacklisters - Adult
Pourquoi ces deux-là ensemble ? Post-punk d’un côté, noise-rock de l’autre. Des Italiens et des Anglais. On a beaucoup parlé des seconds, beaucoup moins des premiers. Tout les sépare. Si ce n’est que chacun représente, dans le genre où il évolue, une sorte de quintessence. Arc-boutés sur les tables de la loi, ils ne singent pas, ils sont. Originalité minimum pour impact maximum. On pardonne à Kill Your Boyfriend son nom un peu con-con (c’est un concept apparemment puisque chacun de ses morceaux porte un prénom masculin) et sa pochette hideuse (une référence pourtant au Septième Sceau de Bergman) pour ne garder que sa musique. Du post-punk canal historique, versant goth, ultra-efficace et recroquevillé sur sa noirceur atavique. Ils sont deux, Matteo Scarpa et Antonio Angeli accompagnés de quelques invités et manient les idées noires avec tellement de dextérité qu’on finit par les faire nôtres. BLKLSTRS continue quant à lui à gravir le noise-rock par son versant Jesus Lizard et commet un Adult qui reprend exactement les choses là où le précédent les avait laissées. Pas de grande surprise et si surprise il y a, elle est plutôt à chercher dans les interstices (un ralentissement plutôt inédit sur Downbeat le bien nommé par exemple). Ici, on ne se pose pas trop de questions et on se déplace d’un point à un autre en explosant les obstacles plutôt qu’en les contournant. Rien de nouveau peut-être, ni pour le noise-rock, ni pour BLKLSTRS mais la jubilation reste intacte et se voit même amplifiée.
Spray Paint - Punters On A Barge / Cuntz - Force The Zone
Le rapprochement vient du vénérable label (Homeless Records) qui sort ces deux-là et continue à expédier ses bombinettes fuselées sans faiblir (on leur doit déjà un bon paquet de belles découvertes, de Yes I’m Leaving aux Shovels en passant par les remarquables et déterrés Stickmen ou hMAS par exemple). Les premiers sont ultra-prolifiques et enquillent les disques à la vitesse d’un lapin Duracell dopé aux amphétamines (en plus de celui-ci, on pourra également se jeter sur Dopers). Post-punk un jour, post-punk toujours, bruitiste et remarquable, évoluant à peine d’un disque à l’autre mais toujours au minimum magistral. Spray Paint aura vraiment marqué 2015 de ses dislocations furibardes. Cuntz est plus punk, plus garage, plus tordu aussi eu égard à ce satané synthétiseur qui tapisse le moindre recoin d’un album magistral. Le groupe aime également prendre son temps au contraire des premiers et varier ses attaques. C’est rugueux mais aussi fuselé, ça tabasse mais c’est aussi étrangement sautillant et ça use d’une répétition maladive qui enfonce méchamment Force The Zone dans l’occipital jusqu’à ce qu’il inonde le corps tout entier. L’impact de ces deux-là demeure pourtant le même : bien qu’hirsutes, on a beaucoup de mal à s’en passer. Force The Zone et Punters On A Barge sont tout simplement immanquables.
Une chronique de Punters On A Barge là.
Lunatic Toys - Ka Nis Za / Polymorphie - Cellule
Du jazz, libre et inventif, tour à tour martelé, suggéré, suspendu, ardent et contenu. Strictement instrumental d’un côté, habité d’une prose choisie de l’autre. Les trois Lunatic Toys construisent un album frondeur à l’énergie communicative, aux couleurs douces-amères et aux pièces bigarrées, alternant morceaux agités et passages plus ténus. Ka Nis Za étonne par sa sophistication qui n’entame en rien le plaisir de jouer que montrent Alice Perret (claviers), Jean Joly (batterie) et Clément Edouard (saxophone alto) tout du long, un appétit qui inonde la moindre parcelle de leur musique, qui l’électrise et la rend tout simplement haletante. On retrouve d’ailleurs le cornet de ce dernier dans l’ossature sinueuse de Cellule, d’où la connexion entre ces deux-là. Polymorphie est un collectif (formé autour de l’alto de Romain Dugelay) qui a pour particularité de porter des mots qu’il emprunte à d’autres avec une musique qui, elle, n’appartient qu’à lui. Le titre ne trompe pas, le jazz polymorphe de Cellule suggère parfaitement l’enfermement et l’incarcération. Les textes de Wild, Zay ou encore Verlaine (entre autres) sont beaux mais la musique l’est tout autant. Tendue et variée, elle frappe par sa liberté qui s’oppose aux barreaux du concept. Le résultat est tout simplement magistral.
Une chronique de Cellule ici.
The Soviet Space Programme - Space Is Hell / Quttinirpaaq - Dead September
Derrière The Soviet Space Programme, on trouve le prolifique poète et musicien anglais Thomas Barclay Jude Morrison. Porté par un concept rigolo (« Vostok Zero, the first human spaceflight, was launched from Baikonur Cosmodrome in the Soviet Union on 1st April 1961, piloted by Colonel Ivan Ivanovich [...] During the launch, the Vostok-K carrier rocket [...] catastrophically malfunctioned, and instead sent Ivanovich hurtling off on a trajectory which would eventually carry him far beyond our solar system, into deep space, with no hope of return »), Space Is Hell propose soixante-quinze minutes de drone-doom-noise hantées par les chuchotements mystérieux de conversations radio glissant lentement dans l’abîme, s’effaçant de plus en plus au fur et à mesure que le bourdon grossit jusqu’à tout ensevelir. Le résultat aurait pu être abscons, il ne l’est pas et l’on prend plaisir à se perdre avec Ivanovitch dans l’infini sidéral. Il en va de même de Quttinirpaaq qui, avec des armes pourtant proprement dégueulasses (harsh noise à tous les étages, aux angles un peu plus arrondis qu’auparavant certes, mais aux échardes encore bien présentes), nous enferme irrémédiablement dans ses filets. Dead September se montre salement hypnotique et on se retrouve à l’écouter souvent alors que Matthew Turner ne s’est toujours pas décidé à nous caresser dans le sens du poil.
Une chronique de Dead September par là-bas.
Peter Kernel - Thrill Addict
Lui n’est associé à personne. Non pas qu’il ne ressemble à rien mais il trace une voie singulière et solitaire sans aucun équivalent à l’heure actuelle. Grand melting-pot où indie-rock et noise copulent avec la pop et le punk. Toujours au service d’une immédiateté de façade qui accroche et enferme. Une fois au cœur des morceaux, c’est le grand saut vers l’inconnu. D’une densité folle, bâti sur un parterre d’idées proprement géniales, Thrill Addict impressionne et s’installe durablement. Il a pourtant connu les écoutes répétées, dans tous les endroits possibles, toutes les situations, bonnes ou mauvaises et continue à receler des recoins toujours pas explorés. L’enchevêtrement des voix de Barbara Lehnoff et Aris Basseti, celui de la basse élégante et de la guitare inventive, les compositions-poupées gigognes, la mélancolie douce-amère et la colère sous-jacente concourent à l’édification d’un disque aux ramifications nombreuses, réseau riche où chaque embranchement se subdivise en embranchements qui eux-mêmes se subdivisent en embranchements dessinant une cartographie aussi simple que complexe. La musique est addictive, elle est également très dense. Le disque est magistral.
Herr Geisha & The Boobs - Book Of Mutations
Toute seule, elle aussi, la Geisha. Son unique morceau découpé en une multitude de mouvements se montre salement hypnotique et il s’avère difficile d’en faire le tour. Trio dont on ne sait pas grand-chose, Herr Geisha & The Boobs touche à tout avec une égale conviction et maîtrise parfaitement toutes les trajectoires qu’il dessine : noise, drone, post-rock et j’en passe, il nous perd complètement sans jamais se perdre lui-même et injecte dans sa musique une part d’indicible, un supplément d’âme qui fait toute la différence. Peu importe son cheminement, on le suit les yeux fermés. Lui aussi aura beaucoup usé la platine.
Une chronique de Book Of Mutations ici.
On s’arrêtera là en vous souhaitant de chouettes fêtes de fin d’année.
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