Melamin & Wicked Sway - Metamorphosis
Nouvel effort du duo Melamin & Wicked Sway après quelques EP, Metamorphosis est à l’image de sa pochette et propose une musique électronique mutante qui rompt sa chrysalide pour laisser la place à un stupéfiant papillon.
1. Bullet (feat. Mark Instinct)
2. Dance With Me
3. Double Line
4. 49904
5. Contrast
6. Checkpoint
7. Metamorphosis
8. City of Angels (feat. AnnGree)
Kurt Gluck l’avait annoncé : Ohm Resistance, en ce milieu d’année, allait opérer un retour à l’électronique, c’est à dire un retour à ses racines puisque le label vient fondamentalement de ce monde-là. Metamorphosis est donc plus électronique et aussi plus mélodique que ses sorties récentes, proposant une sorte de dubstep à la fois industriel et animal, aride et foisonnant, fruit de la rencontre de Melamin et Wicked Sway, deux musiciens qu’un océan sépare et évidemment deux connaissances du big-boss puisqu’Ohm Resistance fonctionne comme ceci. Impossible de sortir les disques de personnes que Kurt Gluck ne connaît pas personnellement. Ainsi, il cotoie Wicked Sway, DJ de West Virginia, depuis au moins dix ans et a rencontré Melamin en Sibérie, à Novossibirsk, au cours de l’un de ses voyages. Il leur a demandé un disque, c’est celui-ci, leur premier long format et il est tout bonnement stupéfiant.
Le duo est séparé par le Pacifique, d’un côté le froid russe représenté par Melamin, de l’autre l’humidité de la Virginie Occidentale représentée par Wicked Sway, la collision de ces deux continents, de ces deux climats et de ces deux personnalités musicales a pour résultat un disque intransigeant, extrêmement technique mais loin d’être rebutant. Pourtant, l’entame laisse un peu froid de prime abord, la faute sans doute à ce sample un peu trop évident sur lequel elle repose (un grand orchestre débité en tranches qui rythment le morceau) mais ce sentiment s’estompe dès lors que l’on détaille les soubassements du morceau : l’enchevêtrement de beats, de basses, de sons et d’effets est franchement saisissant, une jungle inextricable où tout est lié, mélangé, emberlificoté en nœuds compliqués. Le morceau est incisif, contondant, massif et voit le jeune producteur canadien Mark Instinct prêter main forte au duo. Et puis que dire de ces chœurs qui ouvrent Dance With Me, légèrement trop complaisants peut-être mais là aussi, ils se trouvent être à tel point tabassés et passés à la moulinette qu’ils disparaissent très vite sous les coups de scalpel soniques des deux acolytes. Comme si la moindre velléité commerciale devait être impitoyablement et irrémédiablement scarifiée, découpée, transformée en charpie par le traitement tonitruant du duo. On dirait presque un Scorn converti aux joies du dancefloor. Dance With Me demande le titre du morceau, danse avec moi et montre-moi tes hématomes, danse avec moi et regarde bien à quel point tout ce qui nous entoure est désolé... C’est assez singulier, les changements de direction sont innombrables et les morceaux restent pourtant miraculeusement cohérents, Metamorpohosis souffle à la fois le chaud et le froid, donne à entendre un instant une belle mélodie et un déferlement d’effets tranchants l’instant d’après tout en se maintenant dans les 140 bpm.
Après ces deux premiers morceaux idéalement introductifs car montrant parfaitement à quel point le disque ne sera jamais simple, le duo nous précipite alors dans les tréfonds les plus noirs de son esprit et dévoile son âme. Le beat avance, imperturbable, et viennent se greffer à ses basques une myriades d’effets incisifs qui rendent le tout à la fois sombre et conquérant. Les bpm restent irrémédiablement downtempo (même s’ils savent également s’énerver quand il le faut) et conduisent l’auditeur au plus profond du disque, tout en bas, où les belles découvertes sont nombreuses. On pourrait ainsi passer pas mal de temps et écrire pas mal de mots sur un morceau comme Contrast le bien nommé, avec ses accents slaves et son atmosphère lourde et sombre, zébré d’effets angulaires qui laissent de profondes estafilades sur le cortex, ses chœurs magnifiques et bien placés qui apportent une dimension mystérieuse et particulière au climax déjà loin d’être guilleret. Un morceau pour danser dans les catacombes et qui ne laisse aucun répit à l’auditeur, basse en avant, beat lent et lourd, delays omniprésents qui le déchirent magnifiquement. C’est superbe. Plus loin, Checkpoint est impitoyablement technique, les deux compères se complétant parfaitement, balancent leurs beats et leurs effets dans le même mouvement et il en résulte une architecture dérangée, anguleuse et meurtrie. on risque plus d’une fois de se couper, littéralement, à son écoute. Et il en va ainsi de l’ensemble du disque jusqu’à ce City Of Angels final, complètement déstructuré et qui appelle l’Anglaise AnnGree en renfort, un morceau qui vient clore Metamorphosis d’une belle manière dans sa façon d’être, comme lui, efficace, extrêmement bien construit, lourd et vraiment mystérieux.
Dans son propos et dans ses intentions, Metamorphosis n’est pas si éloigné de l’univers d’Access To Arasaka et même si la musique de Melamin et Wicked Sway n’a rien à voir, on y retrouve quand même ce goût prononcé pour l’exploration des friches industrielles, les ambiances disloquées et majoritairement froides. Le disque n’œuvre pas dans l’IDM mais pourtant, à sa façon, c’est bien de l’IDM ou en tout cas, l’une de ses mutations, où l’on aurait accolé subrepticement une initiale supplémentaire au I de Intelligent, le P de Psychic par exemple. Car le disque est réellement aliénant à sa manière et une fois pris dans ses filets, il est bien difficile de s’en défaire. En sus, il résiste au test des écoutes répétées par son côté justement très technique qui fait que l’on a plus d’une fois l’impression que l’on n’en fera jamais le tour tout en restant, et c’est sans doute là l’une de ses plus grandes réussites, absolument accueillant. On pourrait parler de dubstep également même si évidemment, le vocable ne convient pas. Le duo avance quant à lui le terme de neurodub (soit un dérivé du neurofunk) pour qualifier sa musique, et finalement, oui, c’est vraiment bien vu.
Quoi qu’il en soit, Melamin et Wicked Sway apposent leurs noms, et de manière indélébile, sur une année 2011 pourtant déjà riche et à n’en point douter, cet opus-là nous accompagnera encore longtemps. Finalement, Ohm Resistance reste assez fidèle à son credo : un alliage, encore, et même si celui-ci est plus électronique, il n’en reste pas moins un amalgame peu évident de prime abord et constitue donc une nouvelle prise de risque.
Metamorphosis. Certes, oui, Metamorphosis. C’est évident ! Une créature fabriquée en laboratoire aseptisé avec pourtant quelques traces de crasse, une créature sculptée dans le silicone et la bakélite, au laser, montrant un enchevêtrement complexe, un écorché synthétique à la mue permanente, dont la métamorphose jamais ne s’arrête.
Surtout, une incontestable réussite.
Vous pouvez écouter de larges extraits de Metamorphosis sur le facebook, la page SoundCloud et enfin le site d’Ohm Resistance.
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