One Lick Less - & We Could Be Quiet
Premier album du duo parisien One Lick Less, & We Could Be Quiet est une réussite totale et se balade quelque part aux confins du blues, de la folk et du math-rock sans être aucun des trois ni autre chose. Une belle personnalité qui frappe fort d’emblée et sans attendre. Monumental.
1. Alameda
2. Fuzzy Rats
3. Jail Unite Love
4. Wee Nasty
5. Mechanic Fever
6. Vastly Phial
One Lick Less est un duo, One Lick Less est original et One Lick Less vient de m’administrer une belle claque et je ne leur en veux même pas. Et quand, vous aussi, vous serez arrivés au terme de l’écoute de & We Could Be Quiet, il y a fort à parier que vous fassiez de même, pour peu que vous soyez ouverts à ce qui va suivre.
Comme déjà évoqué, One Lick Less est un duo, français, composé de Julien Bancilhon à la guitare et à la voix et de Basile Ferriot juste à la batterie. Enfin, juste, au regard du travail incroyable qu’il accomplit derrière ses peaux, ce mot-là est bien évidemment en trop. Leur musique est assez indéfinissable et représente un amalgame de choses a priori contradictoires puisque l’on y entend de la folk canal Americana (leur patronyme comme un hommage à As I Lay Dying de William Faulkner), du math-rock, du blues en plus d’éléments indéterminés et expérimentaux. À lire cette courte phrase descriptive, on peut déjà se demander comment les structures alambiquées et algorithmiques chères aux adorateurs des maths peuvent se fondre dans les courants d’air et la simplicité de façade de la folk ou encore dans les stigmates, les écorchures et les aspects évidemment viscéraux liés au blues et que dire alors de l’expérimentation, quand bien même celle-ci n’apparaît que par bribes, pourtant bien présentes ? Eh bien, à écouter, pour tout dire, on se demande plus d’une fois comment, effectivement, le duo réussit le tour de force de faire cohabiter tout cela dans ce court album inattendu et tendu, inquiet et franchement magnifique. Avec tant de simplicité. Pas une note, pas un passage, pas une intervention vocale qui ne soient justes, tout coule, le cerveau, les tympans et le corps entier happés par ces six morceaux au visage changeant, chacun refusant de choisir son camp camarade, au caractère pourtant bien trempé, entier et intransigeant.
Un beau disque sous une pochette élégante déclinant des nuances de gris avec quelques touches de noir et de blanc. Une pochette qui traduit parfaitement bien la musique du duo, à la fois géométrique et abstraite, figurative et indéfinie, simple et recherchée. Car derrière One Lick Less se cachent deux musiciens au parcours musical déjà riche mais aussi des plus intéressants. Basile Ferriot est impliqué dans une multitude de projets mais celui qui est peut-être le plus connu est sans nul doute Xnyobis, groupe influencé par Godflesh mais qui depuis Meanwhile explore les méandres sauvages et lourds d’une musique somme toute personnelle, arrachée et très fortement amplifiée. Un batteur qui maîtrise parfaitement ses baguettes, au toucher plastique, fin et protéiforme, capable d’épouser et d’épauler n’importe quelle structure ou combinaison, d’autant plus qu’il aime expérimenter les possibilités de son instrument. Un technicien mais pas seulement donc. Julien Bancilhon aime quant à lui les guitares, à tel point qu’il construit les siennes ainsi que ses pédales d’effets. Comme son partenaire de sécheresse, il est impliqué lui aussi dans nombre de projets et même s’il préfère ne partager la scène qu’avec ses guitares, parfois d’autres humains l’accompagnent, comme Benjamin Renard au sein de Red Horn Cannibals par exemple ou encore Olivier Brisson et Christophe Marais avec qui il forme les impétueux A.K. Studs, sans compter ses improvisations pour le cinéma et puis tout le reste. Et ces deux-là se sont parfaitement trouvés le temps de & We Could Be Quiet.
Le disque, très court, débute par un instrumental math-rock simple et revêche, très sec et qui, de prime abord, tranche avec le reste de par son aspect virevoltant bien que toujours sombre qui rappelle de loin Karate. En revanche, comme le reste, cette simplicité est assez curieuse, c’est même – et paradoxalement – une simplicité très sophistiquée. Autant dire que ces musiciens-là savent jouer, tout court d’abord et ensemble ensuite, les morceaux sont resserrés et sans fioritures excessives, exceptées ces bribes d’expérimentations qui les parsèment, ces plans que l’on n’attend pas, ces boucles, ces revirements jusqu’à ces envolées d’arpèges qui s’enchaînent sans rompre le canevas méthodique tissé par le duo. On retrouve plus loin cette même dynamique aride, âpre et inquiète, sur Jail Unite Love par exemple, un morceau magnifique qui change de visage toutes les trente secondes, avec les lames crues de la guitare slide qui s’élèvent en son milieu. Un titre très tendu, proche de la rupture. Wee Nasty qui le suit est presque identique si ce n’est ces cassures de rythme incessantes, cette pulsation changeante et mouvante qui évoque beaucoup et procure de belles sensations. Avant, il y aura eu Fuzzy Rats qui commence comme une ballade bluesy puis s’enroule sur lui-même avec force arpèges et toms profonds que surplombe une voix délavée, cette même voix qui supporte la slide à moins que ce ne soit l’inverse sur Mechanic Fever, un titre lui aussi incroyable dans sa précipitation et sa vélocité qui n’est pas sans rappeler Bill Orcutt avec moins de notes toutefois mais deux fois plus d’instruments. Sauvage et beau. Et puis c’est déjà la fin, Vastly Phial, son chant énervé mais toujours fragile, sa rage larvée qui clôt un album court mais spécial dont on attend la suite avec grande impatience. Toutefois, d’ici là et au regard des quelques compte-rendus de concert glanés sur la toile, leur présence vaut le déplacement et leur musique, déjà farouche sur disque, révèle encore bien d’autres facettes, ce que semble confirmer la vidéo ci-après.
Le disque est ainsi constitué pour moitié – un sur un puis deux sur deux – d’instrumentaux et de morceaux où le chant fragile et attachant de Julien Bancilhon se fait entendre, apportant un côté très humain à l’ensemble qui déjà, en soi, est extrêmement touchant. Une fêlure mise en musique, les compositions comme les doigts pointant les hématomes. Et à chaque fois ce côté sombre ou en tout cas inquiet. Il n’est finalement pas si facile d’expliquer ce qui fait l’originalité d’& We Could Be Quiet et plus généralement de la musique du duo, le fait peut-être que son écoute nous propulse aussi bien en terrain connu qu’inconnu. Dans une construction dont on connaît déjà les éléments qui la constituent mais sûrement pas agencés de la sorte. Il en résulte un triangle vaporeux aux contours flous, un territoire vierge, aussi ténu soit-il, incisif et sans une once de gras. Ce groupe a vraiment un truc bien à lui et n’en fait pas des tonnes. Il avance discret et concentré, avec une grâce particulière, écorchée, un peu à fleur de peau. Et beaucoup de talent. En injectant les viscères du blues dans la douceur de la folk, un chant frêle dans des arrangements tranchants, des progressions alambiquées au cœur de la simplicité et l’expérimentation dans les fondements on ne peut plus rationnels de leur musique, ces deux-là déplacent le cortex au fond du ventre et métamorphosent les tripes en neurones le temps d’une brillante demi-heure.
Avec One Lick Less, les équations deviennent simples et ont les larmes – de joie, de tristesse et de rage – aux yeux. Un coup de maître dont on ne peut que regretter la trop courte durée.
Chapeau bas.
One Lick Less au Rigoletto à Paris, interprétant le sauvage Mechanic Fever, en transe. Julien Bancilhon, griffu, un plectre sur chaque doigt et Basile Ferriot, physique, possédé par son instrument (et réciproquement ), martelant ses toms et tabassant sa caisse claire. Saisissant.
L’album est en écoute sur la page bandcamp du groupe, puis sur son myspace mais dans le désordre.
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