Tempétueuse 2013 : vingt disques pour un bilan
2013 arrive à terme. L’heure du sempiternel bilan. Une année où j’ai eu envie, entre autres, de rock, de noise, de jazz et de hip-hop mais tout ça en même temps et si possible au sein du même disque.
D’où cette sélection forcément incomplète mais qui reprend quelques-uns d’entre eux ayant pour point commun l’ouverture aux quatre vents. Tout s’y mêle dans un grand tourbillon souvent intransigeant. 2013 était une sacrée belle année musicale, riche en disques denses et sauvages.
Le classement n’a strictement aucune importance mais comme il en fallait un, ça sera par ordre alphabétique.
ÆVANGELIST – Omen Ex Simulacra
Hasard imposé par l’alphabet, commençons ce bilan par le terrifiant Omen Ex Simulacra à la pochette terriblement moche mais ô combien représentative de ce qu’on y entend. Une métastase composée à 50% de Black et 50% de Death, soit 100 % de metal intransigeant, pas drôle et malsain. Chaotique, dense et méchamment glauque, ÆVANGELIST peut se targuer d’avoir sorti l’un des disques les plus malfaisants de 2013. À ce niveau de noirceur brutale, il n’y a bien que Terra Tenebrosa (détaillé un peu plus bas) qui puisse rivaliser. Monolithique et dense, on serait bien en peine de détailler le moindre titre puisque tous se ressemblent. Construits sur le même moule, ils attaquent sur tous les fronts en même temps et, portés par une batterie en plastique particulièrement retorse et des voix alternant entre growl préhistorique et cri d’hyène hystérique, gravent le nombre de la Bête en chiffres de sang sur l’encéphale. Ça sent mauvais, ça crisse et ça racle, ça javellise les neurones et ça rend tout ce qui vous entoure particulièrement angoissant. L’Enfer existe, on y trouve des sirènes hirsutes, ÆVANGELIST est de celles-là. Brrr !
En écoute intégrale sur la page bandcamp de Debemur Morti.
Agarttha – A Water Which Does Not Wet Hands
Il s’agit ici d’une combinaison quelque peu obscure. Pour faire vite, une folk de sabbat mêlée à des drones éthérés sous l’égide de percussions pelées. Par-dessus, une voix diaphane et lointaine, des incantations presque. Et cette guitare distordue qui déclame plus qu’elle n’assène s’appuyant sur des claviers intrigants. L’ensemble dessine les contours d’un disque flou et extrêmement accrocheur. Mystérieux et solennel, A Water Which Does Not Wet Hands flanque la chair de poule même si l’on ne sait jamais très bien si c’est parce qu’il inquiète ou qu’il touche en profondeur. Son psychédélisme ésotérique extrêmement noir provoque bien ces deux sensations simultanément et donne l’impression à l’auditeur d’avoir foulé aux pieds un continent jusqu’ici dissimulé, une terre obscure qu’il serait le premier à explorer. Fragile, délicate et lunaire, la musique d’Agarttha (c’est-à-dire Francesca Marongiu, moitié des excellents et transalpins Architeuthis Rex) s’insinue en nous comme un poison et prouve qu’en 2013, fort heureusement, toutes les sorcières n’ont pas encore été brûlées. Envoûtant.
En écoute intégrale sur la page bandcamp d’Agarttha. Chronique plus détaillée là.
Autechre – Exai
J’ai acheté Exai en vinyle et je m’en mords un peu les doigts. Obligé de subir les changements de faces quand le disque n’est qu’un long labyrinthe synthétique ininterrompu où chaque micro-accident est un carrefour aux multiples bifurcations. Vient un moment où l’on ne veut plus trop que ça s’arrête. On a beaucoup reproché à Exai sa longueur excessive et pourtant, me concernant, c’est bien ce que j’en retiendrais en tout premier. Les passages les plus moribonds mettent en exergue la luminosité de ceux plus accaparants. Les baisses de régime, pas si nombreuses, permettent de pointer l’excellence de l’ensemble. Une fois encore, il semble bien que le duo ait accouché d’un monument. Un disque gargantuesque, drôle et détraqué, toujours abstrait mais aussi, et c’est assez nouveau, plus accessible par le truchement de samples plutôt simples s’opposant aux amoncellements complexes qui ont fait sa renommé. Poursuivant le mouvement entamé sur Oversteps et Quaristice, le duo tend-t-il à se rapprocher de sphères beaucoup plus humaines ? Ce n’est en tout cas pas encore avec celui-ci qu’Autechre se frottera à l’anecdotique.
Un avis-express ici.
Ceramic Dog – Your Turn
Bourré d’humour et de colère, le deuxième Ceramic Dog montre une nouvelle facette du trio fureteur mené par le toujours prolixe Marc Ribot. Rien à voir avec leur Party Intellectuals inaugural si ce n’est que l’on retrouve ici ce côté janséniste, sec et répétitif qui fournit aux titres de Your Turn leur grande dynamique. Maelstrom qui emprunte autant aux musiques traditionnelles qu’au jazz, au rock qu’à la noise, au hip-hop qu’à la musette, écouter ce disque promet de grands éclats de rire mais aussi pas mal de réflexion. Tour à tour furibard et apaisé, qu’il soit d’humeur maussade ou plus joyeuse, le trio ose tout, ne respecte rien et s’empare de tout ce qui lui tombe sous la main pour lui faire subir mille outrages. Ce que l’on retient surtout, c’est sa grande tendresse qui l’amène à ne pas complètement casser ses jouets, à ne pas tomber dans l’ironie facile, dans le cynisme mesquin. Et quoi qu’il fasse, Ceramic Dog le fait avec maestria et se sort même d’un exercice hip-hop franchement casse-gueule sans trop de dégâts. Sa colère communicative et sa jubilation qui ne l’est pas moins contribuent tout simplement à faire de Your Turn un incontournable.
Quelques titres en écoute sur la page bandcamp de Northern Spy Records. Une chronique plus détaillée par-là.
Dead Neanderthals – ... And It Ended Badly
En s’adjoignant le saxophone de l’Anglais Colin Webster, Dead Neanderthals s’éloigne toujours un peu plus de ses racines grind qui avaient déjà plus ou moins disparues de Polaris et accentue considérablement le caractère free jazz de son génotype. Le duo néerlandais devenu trio international pour l’occasion garde toutefois son goût pour le jusqu’au-boutisme et l’intransigeance et délivre son lot de pièces crues et décapantes qui frappent surtout par leur grande liberté. Catalogue de stridences fuselées, la belle sauvagerie d’... And It Ended Badly n’en reste pas moins parfaitement maîtrisée ce qui l’empêche de trop déborder du cadre et permet aux Dead Neanderthals de bien négocier les nombreuses circonvolutions et les multiples virages en tête d’épingle que leur imposent leurs explorations tous azimuts. Les deux saxophones s’en donnent à cœur joie, s’épaulent, se tancent ou se bagarrent sous l’égide d’une batterie qui, elle, fait ce qu’elle veut. Le tout apporte une épaisseur supplémentaire à la musique du duo originel, que ce soit au niveau des mélodies ou de l’architecture des morceaux. Sorti sur le toujours parfait Gaffer Records, ... And It Ended Badly est à la fois sismique et contrôlé. L’équation parfaite qui le rend de bout en bout passionnant.
En écoute intégrale sur la page bandcamp des Dead Neanderthals.
Dethscalator – Racial Golf Course, No Bitches
Une pochette dégueulasse, un vinyle rose-bonbon, peu d’informations : de prime abord, pour qui ne sait pas vraiment, il est bien difficile de savoir à quoi s’attendre quand on pose le bout de plastique sur la platine. En tout cas, sûrement pas à ça. Du noise-rock déviant, sale et méchant qui fut peut-être un jour facile à étiqueter mais qui n’a plus rien d’orthodoxe aujourd’hui. Tout y déborde de partout, excepté peut-être la batterie qui laboure inlassablement chaque sillon de ce disque glauque et déviant. Pour le reste, la mixture de Racial Golf Course, No Bitches amalgame dans un même élan du Motörhead, du hardcore, de la noise et tout ce que le binaire peut avoir de plus lourd et énervé. Un disque uppercut qui balance des bourre-pifs à qui mieux mieux et laisse pantois. Qu’a-t-on fait pour mériter cela ? Personne n’a la réponse même pas Dethscalator lui-même en décidant semble-t-il de se saborder quelques semaines seulement après la sortie de ce monument. Quand on sait qu’il leur aura fallu cinq années pour accoucher d’un tel monstre, difficile de ne pas être amer devant une telle ironie. Vie de merde.
En écoute intégrale sur la page bandcamp du fabuleux Riot Season. Un « streaming du jour » à peine plus détaillé là.
Great Falls – Accidents Grostesque
Un crochet du droit, une série d’uppercuts dans le bide et une fois à terre, des grand coups de pieds dans les dents : Great Falls fait mal, très mal et pratique un hardcore métallique particulièrement féroce et sans pitié. D’un autre côté, que pouvait-on attendre de la part de deux anciens Playing Enemy acoquinés à un batteur incisif si ce n’est Accidents Grotesque ? Une collection de morceaux brutaux s’étalant de deux à onze minutes et variant les attaques : même lorsque celles-ci sont moins frontales, le trio demeure inflexible et balance des riffs-massues saisissants à même de détruire n’importe quelle place fortifiée. Il se dégage de ce disque une espèce de groove froid et janséniste, une précision chirurgicale qui non seulement décuple sa violence mais montre à quel point ces trois-là maîtrisent leur musique et leurs instruments. Du talent à revendre, beaucoup d’idées qui plus est emballées sous une chouette pochette, Accidents Grotesque n’appelle qu’un seul geste, le remettre au début dès qu’il est achevé.
En écoute intégrale sur la page bandcamp d’Hell Comes Home.
Gunslingers – Massacre-Rock Deviant Inquisitors
Oui, c’est un EP qui ne contient que deux morceaux mais voilà, pas de top 2013 sans Gunslingers. Trio réunissant deux Aluk Todolo et le prolifique GR, Gunslingers permet de rappeler certaines vérités. En premier lieu que la qualité prévaudra toujours sur la quantité. Peu importe qu’il n’y ait que deux titres quand ces deux-là sont de cette trempe : Massacre-Rock Deviant Inquisitors, quatre petits mots qui correspondent parfaitement à ce que l’on y entend. Du rock canal-historique mais déviant impitoyablement massacré par trois inquisiteurs qui savent ce qu’ils font, d’où ils viennent et où ils veulent aller. Droit dans le mur à grands coups de basse caoutchouteuse, de batterie poulpe et de guitares bavardes. Et puis ce yaya obnubilant et obnubilé qui ne s’arrête jamais, dont on ne saisit pas un traître mot mais qui permet de remplir les rares vides que les instruments veulent bien laisser. Les Gunslingers ont beaucoup à dire et le disent fort dans une langue certes incompréhensible mais que l’on comprend pourtant tant leur message est universel : de la passion, de l’énergie, une mission et une seule. Réveiller le cadavre du binaire à grands coups d’électrochocs.
En écoute intégrale une nouvelle fois sur la page bandcamp de Riot Season. Une chronique plus détaillée ici.
Hey Colossus – Cuckoo Live Life Like Cuckoo
Fut un temps où Hey Colossus et Dethscalator partagèrent un split en plus du même label. Gagné ! Il y a beaucoup de similitudes entre les deux formations, à commencer par leur esprit torturé et une voix réellement aliénée. Pour le reste, rien à voir surtout concernant ce Cuckoo Live Life Like Cuckoo qui s’éloigne quelque peu des rivages massifs de l’indéboulonnable RRR pour en explorer d’autres beaucoup plus flous et incertains : du psychédélisme le temps des 10 minutes jubilatoires du parfait et très kosmiche How To Tell Time With Jesus, complètement cramé et sans doute rendu tout mou par une trop longue exposition aux photons, une ballade bien perverse - Pit And Hope - qui démarre pourtant joliment, rappelant de loin les errances récentes de Earth mais très vite totalement ruinée par des vociférations de viande saoule et des claviers franchement incongrus. C’est pitoyable mais qu’est-ce que c’est bon. Il y a aussi des passages très lourds, Hot Grave ou Leather Lake en témoignent mais acoquinés à des claviers de l’espace qui donnent plus d’une fois l’impression d’entendre Pink Floyd copuler avec Motörhead. Le disque très curieux mais surtout magnifique d’un grand groupe.
En écoute intégrale sur la page soundcloud de Mie Music.
jamesreindeer – ستة ستة سبعة
Difficile de ne pas voir de réminiscences entre ce projet et Iron Filings And Sellotape : le même goût pour l’exploration, le même cheminement le long des frontières, le même esprit nomade. Si ce n’est qu’ici Jamesreindeer préfère explorer l’immensité du Sahara plutôt que celle de la planète entière. On retrouve avec grand plaisir son flow si singulier, tout à la fois ample et contrit, et des arrangements superbes qui font la part belle à une section de cuivres et un oud totalement classes. Entre orient et occident, entre hip-hop et jazz, Murmur Breeze et Ornette Colman, tension et apaisement, plus d’une fois cet album touche en plein cœur. Il rappelle tout ce qui fait de Decorative Stamp un label si précieux (bien que celui-ci soit sorti ailleurs, chez le tout aussi passionnant Mism Records) : la mélancolie, l’artisanat, la mise à nu écorchée au service de grands morceaux qui nous accompagneront longtemps. Du premier au dernier morceau, on reste ruban-adhésivé à ce disque, on en partage l’errance et bien que cimenté à son fauteuil, on voyage très loin et longtemps. Totalement absorbé, on ouvre en grand les volets qui encombraient nos yeux jusqu’à sentir un sable virtuel nous fouetter le visage. Grand.
En écoute intégrale sur la page bandcamp de jamesreindeer. Un autre point de vue dans l’excellent « bilan hip-hop » de Rabbit ici.
Locrian – Return To Annihilation
Souvent mal aimé et incompris, Locrian décoche pourtant avec Return To Annihilation son meilleur disque : moins inflexible que ses prédécesseurs, il sonne presque invertébré de prime abord. Mais ce n’est qu’une impression trompeuse car lorsqu’on se prend à détailler les morceaux, ses arrangements époustouflants sautent au visage. Amalgamant poussières d’ambient, expérimentations tous azimuts et souffle progressif jamais lourdingue, Return To Annihilation montre une belle variété planquée derrière l’utilisation flamboyante d’un moog bavard mais jamais saoulant. Ainsi, son côté lourd et monolithique n’est qu’une façade et l’on comprend bien vite que les guitares plombées cachent une forêt autrement foisonnante et qu’il nous faudra du temps pour l’explorer. À l’image d’un saisissant Obsolete Elegies qui vient clore le disque et qui cristallise tout l’ADN de Locrian en quinze minutes, Return To Annihilation est épique, texturé, éthéré et manie le changement de rythme et d’ambiance avec maestria. Autant d’armes au service de mélodies prenantes et d’un métal de plus en plus tangentiel.
En écoute intégrale sur la page bandcamp de Locrian.
Master Musicians Of Bukkake – Far West
La trilogie Totem maintenant achevée, on se demandait où les Masters Musicians Of Bukkake allaient pouvoir puiser leur inspiration fragmentée. Délaissant l’hommage aux Sun City Girls, le collectif bariolé s’est lancé dans la conquête du Far West et a, pour l’occasion, porté l’accent sur l’écriture de vrais morceaux. Terminés les passages du coq à l’âne, remisés au placard les sauts intempestifs dans l’espace bien qu’ils aient conservés ceux dans le temps, leur musique par nature protéiforme a incontestablement gagné en homogénéité. Mais ne nous y trompons pas, elle n’en reste pas moins labyrinthique et bienheureux celles et ceux qui anticiperont les destinations multiples par lesquelles ce voyage plus que jamais psychotrope fait passer. Peut-être plus resserré mais toujours aussi fragmenté, le patchwork d’influences, d’emprunts, d’odeurs, de saveurs que constitue Far West s’avère parfaitement sidérant et prend appui qui plus sur des mélodies à se damner. Bien plus qu’une réussite, on se trouve-là face à un grand disque qui n’est pas seulement un bel objet. Étincelant.
Une chronique plus détaillée là.
Oikos – Solve & Coagvla
Tout dans ce disque transpire le paradoxe. Il ne s’agit pas de nouveaux morceaux mais plutôt d’anciens toutefois rendus méconnaissables par le traitement qui leur est infligé. Ils ont pour point commun leur grande délicatesse et leurs superbes mélodies mais aussi leur grande âpreté. Ils ont été écrits à deux mais n’arrivent aujourd’hui à nos oreilles que par la force d’un seul. C’est que la plupart d’entre eux ont été imaginés au moment d’Ecotono, le précédent opus d’Oikos qui était sorti en 2011 sur le toujours passionnant Utech Records. Depuis, David San Martin est parti sur un autre continent laissant à Rafael Femiano le soin de les retravailler. Dès lors, on retrouve des accents familiers mais aussi d’autres plus inédits, à commencer par la masse sonore sale et menaçante qui recouvre la plupart des morceaux. Elle était certes déjà présente dès les débuts d’Oikos mais pas à ce point lourde et définitive. En revanche, en-dessous se trouve encore l’évidence mélodique écorchée qui fait de Solve & Coagvla un bréviaire mélancolique donnant plus d’une fois l’impression qu’il a été écrit par nous et pour nous. C’est bien pourquoi il touche à ce point.
En écoute intégrale sur la page bandcamp d’Oikos. Une chronique plus détaillée là.
One Lick Less – Spirits Of Marine Terrace
Difficile de poser d’autres mots sur ce magnifique album dont on a déjà beaucoup parlé. Dans le même temps, on ne le répètera sans doute jamais assez, la musique de One Lick Less se suffit à elle-même. Elle est sensible, touchante, amalgame dans un même mouvement noise et americana, folk et blues et, extrêmement anguleuse, sait trouver le chemin le plus court qui amène des tympans aux tripes pour y faire naître une jolie ribambelle de papillons bariolés qui à force d’effleurer l’intérieur de votre épiderme mettront tous vos poils au garde-à-vous. Mais il est temps de se taire et de simplement écouter l’élégance naturelle et écorchée de ces morceaux tout à la fois fragiles et conquérants.
En écoute intégrale sur la page bandcamp de One Lick Less. Une chronique plus détaillée ici. Une interview là.
Quttinirpaaq – Let’s Hang Out
Au dernier moment, c’est celui-ci qui est venu coiffer au poteau No Visitors. Pourquoi ? Aucune idée tant les deux montrent nombre de points communs. La même folie pure, le même son dégueulasse et approximatif, le même éventail de coups tordus assénés le plus souvent par derrière, le même catalogue d’attaques aiguës allant du harsh à la noise, du doom au sludge en passant par la case ambient crade et malsaine et tout un tas de trucs pas nets encore. Tout cela pourrait s’avérer épuisant sur la longueur mais, bizarrement, il n’en est rien. D’une part parce que Quttinirpaaq sait merveilleusement bien varier ses tortures et dessine un relief en dents de scie à même de dissiper l’ennui mais aussi parce que la violence de ce disque sidère tout du long. Parfaitement hypnotique, le vortex méchant qui nait à la sortie des enceintes s’enroule autour de nous puis sur lui-même emportant absolument tout sur son passage, les neurones, ce qu’on aime, ce qui nous heurte, ce qui définit le goût-même, bon ou mauvais peu importe, l’espace, le temps pour ne laisser qu’un paysage désolé. En cela, on avancera prudemment que Let’s Hang Out est un poil encore plus monstrueux que son pourtant difficile prédécesseur et qu’il administre une telle claque (littéralement) qu’il fallait absolument parler de son intensité jusqu’au-boutiste ici.
En écoute intégrale sur la page bandcamp de Quttinirpaaq.
Terra Tenebrosa – The Purging
Terra Tenebrosa est fascinant et The Purging, deuxième long format du mystérieux trio masqué l’est tout autant. Pourtant, à la sortie de The Tunnels, on s’était dit de suite qu’il avait forcément tout donné étant donné le jusqu’au-boutisme forcené de cette collection de pièces terrifiantes et plombées. The Tunnels faisait peur et on doutait fortement de la santé mentale des protagonistes. On se disait qu’après une telle débauche, ils allaient lever le pied. Pourtant The Purging, n’ayons pas peur des mots, va encore plus loin. Loin d’être une réplique du séisme originel, cet album est une nouvelle manifestation de l’activité intérieure de The Cuckoo, leur mystérieux leader. Il dépasse allègrement tous les degrés de l’échelle de Richter et culmine à un niveau stratosphérique : on n’a pas entendu plus noir, plus dégénéré, plus torturé, plus furieux que The Purging en 2013. Expérimental, post-tout un tas de choses (métal, punk, doom, etc.) et tout le temps malaisé, Terra Tenebrosa s’insinue dans notre cerveau pour communiquer sournoisement sa haine, non seulement de lui-même mais des autres aussi, et ses visions forcément cauchemardesques. Loin d’être du métal qui tache, c’est plutôt du métal qui éclabousse et torture. No future.
En écoute sur la page bandcamp de Trust No One. L’avis-express de Nono là.
Ventura – Ultima Necat
Troisième album des Suisses soniques de Ventura, Ultima Necat est à l’image de sa pochette : sidérant. Toujours fortement ancrée dans les ’90s, leur mixture noisy devient de plus en plus triste et ombrageuse. Elle l’était pourtant déjà sur We Recruit mais pas à ce point et cela permet de mettre en exergue l’une des particularités de leur musique : sa grande finesse. On n’écrit pas des morceaux de la trempe d’About To Despair, Nothing Else Mattered ou Amputee par hasard. Si on le fait, c’est qu’on a des trucs à communiquer, à faire sortir et qu’ils sont à tel point universels qu’ils feront facilement leur trou dans n’importe quelle paire d’oreilles. Du premier au dernier titre, Ultima Necat provoque nombre de frissons sur l’épiderme et scotche littéralement l’auditeur qui a plus d’une fois l’impression d’entendre la bande originale de sa propre vie. C’est bien là le secret de ce grand disque : il nous ressemble et nous tend sans complaisance un miroir on ne peut plus réaliste. De fait, il est de ceux qui nous accompagneront longtemps. Jusqu’au prochain très probablement.
En écoute intégrale sur la page bandcamp d’Africantape.
Year Of No Light – Tocsin
Prolifique, le collectif bordelais. Non content de nous administrer une belle claque avec le très chouette Vampyr, score accompagnant idéalement le film du même nom (on peut toutefois l’écouter pour lui-même sans les images, ça marche très bien aussi), il récidive quelques mois plus tard avec Tocsin, amalgame de tout ce que l’on aime chez Year Of No Light : le côté à la fois lourd et introspectif de sa musique. On a même l’impression qu’il repasse les contours au feutre noir sur ce nouvel album qui sonne un peu comme un aboutissement. Ayant probablement atteint le parfait équilibre lui permettant d’exploiter au mieux les possibilités que lui apportent sa basse, ses deux batteries et ses trois guitares, Year Of No Light se lâche le temps de morceaux tout à tour épiques, solennels, apaisés et rageurs. Son post-métal aux entournures doom n’a jamais si bien sonné et c’est bien pourquoi l’on revient régulièrement se perdre dans les méandres flous de Tocsin. Une nouvelle réussite à mettre à leur actif qui n’a connu jusqu’ici aucune baisse de régime, où s’arrêteront-ils ?
En écoute intégrale sur la page bandcamp de Debemur Morti. Une chronique plus détaillée là.
YRSEL – Abraxas
Bien sûr, au regard des disques mis en avant ici, ça ne se voit pas vraiment, mais en 2013, j’ai écouté énormément d’ambient. Et à l’heure de cet agaçant bilan, c’est d’Abraxas dont j’ai eu envie de parler. D’abord parce que ses auteurs n’ont pas voulu faire beaucoup de bruit lors de la sortie de cet époustouflant album et qu’on a très envie d’en faire à leur place, ensuite parce qu’on retrouve parmi eux Julien Louvet aka Austrasian Goat et que tout ce qu’il fait est invariablement marquant. De l’ambient donc, mais aussi du drone, de l’expérimental, du sombre et de l’enveloppant. On a tôt fait de se laisser cerner par les deux cercles blancs de sa très belle pochette et on a bien du mal à s’en échapper. Deux morceaux purement rêveurs pour commencer, un troisième plus inquiet aux oripeaux métalliques pour clore la première face et un Asat de dix-sept minutes de l’autre côté, menaçant et glacé. Il s’en dégage une sorte de psychédélisme noir et suffocant qui ne relâche jamais son étreinte. Le deuxième disque reprend le même climax, une longue chute vers l’obscurité débutant par un The Origin Of The Evil pourtant presque solaire et se clôturant par les seize minutes pelées et impressionnantes de l’incantatoire Sat. Un disque qui absorbe la lumière pour ne plus jamais la restituer. Exceptionnel.
En écoute intégrale sur la page bandcamp de YRSEL.
Zerfallmensch – Lotcrashers
Pas de bilan sans Ohm Resistance. D’autant plus que Zerfallmensch reprend les choses là où le précédent opus de la série Space Jazz les avait laissées : dans le magma. Le Ducks : Live In NYC de Merzbow et Balázs Pándi était déjà impressionnant et Lotcrashers l’est tout autant. La même envie d’envoyer valdinguer les conventions même si les armes diffèrent quelque peu. Ici, c’est Submerged et haZmat qui s’y collent. À l’heure où la musique électronique est extrêmement populaire, il semble bien que Kurt Gluck n’y trouve pas son compte et ait eu envie de nous faire parvenir sa vision de la chose : intransigeante et sans compromis. Les particules harsh qui viennent grêler les fondations nucléaires de chacun des titres de ce chef-d’œuvre indomptable traversent la boite crânienne et provoquent d’irréversibles dégâts. Et si l’on a bien du mal à qualifier ce qui se trame ici, la musique exigeante de Lotcrashers reste une expérience auditive et plus généralement sensorielle dont on ne ressort pas complètement indemne. Pour une sortie Ohm Resistance, c’est le moins que l’on puisse attendre. Zerfallmensch s’en sort bien plus qu’avec les honneurs. Grand.
En écoute intégrale sur la page bandcamp d’Ohm Resistance. Un streaming du jour là.
On s’arrêtera là concernant ce bilan forcément non exhaustif. Quelques regrets, quelques absences, à commencer par celle de Brou De Noix mais on reviendra sur son impétueux 000 sans aucun doute ailleurs, celle aussi de nombre de sorties Denovali, peut-être le label que j’ai le plus écouté cette année et qui mériterait presque un top à lui tout seul, ça se fera aussi probablement ailleurs.
Quoi qu’il en soit, je profite de cet article pour souhaiter à tout le monde - mes partenaires d’IRM, les artistes, les labels, les lecteurs - de belles fêtes de fin d’année.
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