U.S. Christmas - Run Thick In The Night
Run Thick In The Night marque le retour d’U.S. Christmas après deux années d’absence. Toujours mystique. Toujours cosmique. Cartographie de ce cinquième album à la grande mixture psychédélique plus que jamais addictive.
1. In The Night
2. Wolf On Anareta
3. Fire Is Sleeping
4. Fonta Flora
5. Ephraim In The Stars
6. The Leonids
7. Suzerain
8. Maran
9. The Quena
10. Deep Green
11. Devil’s Flower In Mother Winter
12. Mirror Glass
13. The Moon In Flesh And Bone
Le moins que l’on puisse dire, c’est que U.S. Christmas – formation un brin neurasthénique originaire des Appalaches qui tire son patronyme d’une réplique du superbe et désanchanté Pat Garrett & Billy The Kid de Sam Peckinpah – a de la suite dans les idées. Run Thick In The Night est quand même leur cinquième album, le second à sortir chez le passionnant bien que légèrement mystérieux (on dira de leur communication qu’elle est sensiblement laconique) label Neurot Recordings. Avant cette entrée dans le giron de Neurot, qui leur a sans nul doute permis une exposition plus large, U.S. Christmas avait sorti trois albums ( Prayer Meeting en 2003, Bad Heart Bull en 2004 et Salt The Wound en 2005, repéré par un certain Scott Kelly) difficilement trouvables car édités sur CD-R, voire réédités sur des micro labels plus qu’underground. Mais voilà, en 2008, Eat The Low Dogs va chambouler la donne et U.S. Christmas va pouvoir faire partager son americana psychédélique franchement heavy au plus grand nombre. Et c’est largement mérité. C’est que cet opus vient encore très souvent hanter la platine, ses ténébreuses errances aux rythmiques plombées relevées d’un thérémine omniprésent s’insinuent insidieusement dans le cerveau qui, du coup, réclame régulièrement sa dose. Dès lors, avant de débuter l’écoute de Run Thick In The Night, on sent une légère appréhension poindre. Aucune envie d’être déçu. Alors ?
D’abord, exit les ondes du thérémine qui tapissaient chaque recoins de Eat The Low Dogs. Oh, bien sûr, elles sont encore présentes, mais un peu plus discrètes. U.S. Christmas a-t-il pour autant perdu son pouvoir hypnotique ? Loin de là. L’écho si caractéristique qui enveloppait chacun de leurs morceaux est toujours bel et bien présent et avec lui, l’impression tenace de surprendre le groupe – peau sur les os, cheveux hirsutes et yeux mi-clos – en train d’enregistrer au plus profond d’une sombre caverne lors d’un rite chamanique dédié aux éléments. Et toujours cette voix, comme un cri étranglé, désespérée, épique mais sans emphase. Ces soli impeccables qui fuient toute démonstration technique pour mieux souligner le propos. Dans la droite continuité de Eat The Low Dogs, donc, et de l’époustouflant Hawkwind Triad qui voyait le groupe s’en sortir haut la main parmi ses petits camarades de bruit et de fureur Minsk et Harvestman.
S’agit-il pour autant du frère jumeau de leur précédent opus ? Non, pas tout à fait, le changement dans la continuité en quelque sorte. Le précédent était un pavé monolithique bien noir, complètement cramé par le soleil et la consommation abusive de peyotl. Ici, encore ce soleil corrosif, encore ces substances hallucinogènes mais aussi une plus grande variété rythmique, la formule révèle de multiples facettes. Pour preuve, les riffs très heavy rock’n’roll qui débutent Wolf On Anareta n’ont que peu à voir avec ceux, beaucoup plus languides, réhaussés d’ailleurs d’un violon mélancolique, d’Ephraim In The Stars. La tonalité générale a également gagné en nuances et même si le propos demeure irrémédiablement noir, il sait aussi se faire rêveur, voire presque tranquille sur certains titres.
Dès que le disque est posé sur la platine, on part pour une longue fresque hallucinée qui nous emmène loin, au cœur du désert, au milieu des cactus et des vautours (In The Night) , puis haut, au sommet des Rocheuses, de la neige jusqu’au genou (The Leonids), voire en dessous, dans l’arrière boutique d’un gang de motards défoncés et retors (Wolf Of Anareta). On voyage beaucoup, mais on voyage dans sa tête, le casque bien vissé sur les oreilles. Psychédélique. Un disque naturaliste qui connecte directement l’auditeur aux forces telluriques qui se cachent sous ses pieds. Les sommets sont nombreux, et même, il n’y a strictement aucun faux pas tout au long de ce Run Thick In The Night exceptionnel. On retiendra toutefois le magnifique Suzerain tout en pédale wah-wah et à l’ossature rythmique patraque, qui prend le temps de développer le climax sur presque neuf minutes. Ou encore le bien nommé Deep Green qui présente un traitement un peu différent de la voix, utilisée ici comme n’importe quel instrument, se fondant complètement dans la distorsion de la guitare. Et puis ce The Moon In Flesh And Bone final qui vient clore idéalement le disque et en résume les multiples facettes, au départ simple voix suivie de son écho avant que violon et guitares n’entrent dans la danse, d’abord tranquilles puis développant de concert une stridence qui enveloppe le morceau puis s’arrête progressivement, laissant la place à quelques larsens et bruits divers deux minutes durant avant que le silence ne se fasse, définitivement. Pas de gras, rien à jeter, pas un solo qui déborde et flirte avec le mauvais goût, pas un refrain à côté ou hors propos, aucun temps mort malgré la longueur des morceaux, pas de violons dégoulinants, aucun déséquilibre enfin jusque dans le tracklisting qui alterne déflagrations véloces – U.S. Christmas demeurant un groupe heavy – et passages bien plus calmes, à tel point qu’à certains moments sa musique navigue non loin des rivages folk. Non, le muscle est fin, voire décharné, les nerfs apparents et la graisse, absente. Parfait !
La musique d’U.S. Christmas reste terriblement addictive. Toujours ces mêmes guitares sales, ces claviers nombreux, toujours ce violon discret et néanmoins indispensable, et puis le thérémine qui apparait par intermittence. Incontestablement, U.S. Christmas reste U.S. Christmas mais Run Thick In The Night présente le groupe à son meilleur, montrant une variété nouvelle et salutaire qui rompt avec l’aspect de prime abord trop monolithique de leurs morceaux. Cette musique inquiète, parfois hirsute mais capable aussi d’une grande délicatesse est le plus souvent formidable, voire tout simplement belle à en pleurer. Et l’on sait déjà que cette pochette (signée Hush) et le contenu qu’elle renferme, cette voix et ce blues si singuliers, reviendront nous hanter encore longtemps pendant nos nuits d’insomnie.
Une merveille.
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