John Zorn - The Crucible
Le quatrième épisode du happening hystérico-sorcier de John Zorn, Mike Patton, Trevor Dunn et Joey Baron fait surgir des mélodies du chaos et convie Led Zep à un boeuf en enfer.
1. Almadel
2. Shapeshifting
3. Maleficia
4. 9 x 9
5. Hobgoblin
6. Incubi
7. Witchfinder
8. The Initiate
Histoire de bien faire comprendre au fan distrait de Keane qu’il s’est trompé de disque, The Crucible commence par un hurlement strident. Rectification : deux hurlements stridents, car la voix de Mike Patton se double des couinements saxophoniques de son mentor John Zorn. Le tout soutenu par la basse grondante de Trevor Dunn (ex-complice de Patton au sein de Mr. Bungle), qui monte et descend comme un pénitent multipliant les génuflexions devant l’autel de Baal-Moloch, tandis que Joey Baron maltraite consciencieusement ses cymbales.
C’est clair : on n’est a priori pas ici pour se faire du bien. Comme ses prédécesseurs Moonchild, Astronome et Six Litanies for Heliogabalus, The Crucible se veut expérience mystique, rite initiatique. Ce qui est en jeu ici, c’est un peu la mort symbolique de vos oreilles, en espérant qu’elles renaissent à de nouvelles expériences. Il faut tenir jusqu’au bout, se laisser fasciner par les grognements, halètements, hurlements de bête assassinée de ce cinglé de Patton. Il faut s’accrocher à ce sax qui semble laisser échapper le dernier souffle du sacrifié, puis explose dans une invocation démoniaque qui réveillera bien quelque démon perversement mélomane.
Pourtant, si l’oeuvre commence dans un hurlement, elle bifurque ensuite. La suite évoque une bande de punks avinés qui brailleraient du Masada à 4 h du mat’ dans un rade de New York ou d’Anvers. Masada, c’est le quartet jazz de Zorn qui retravaille la tradition juive. De belles mélodies chantournées aux subtils parfums d’Orient. L’écho qu’on en entend ici est déformé par la folie, le délire mystique. La mélodie est bien là, mais tellement malmenée qu’on la plaindrait presque.
D’ailleurs, le sabbat hystérique reprend bientôt ses droits, puis s’efface à nouveau, laissant place à un hommage à... Led Zeppelin. Pour officier sur ce 9 x 9 hautement référentiel, Zorn a invité un cinquième sorcier : le guitariste Marc Ribot, qui s’adapte étonnamment bien à un style auquel on l’imaginait complètement étranger. On jurerait même qu’il prend plaisir à l’exercice. Patton balance quelques hurlements et nous fait sa petite crise de glossolalie, mais pas d’erreur, cet interlude jouissif est l’affaire d’un power trio.
Ce sont ensuite des accents free-jazz qui nous attendent sur Hobgoblin (Baron à la manoeuvre), tandis qu’Incubi semble d’abord renouer avec les moments les plus flippants de Moonchild : lent, lourd, tissé de basse saturée et de toms menaçants. Mais bientôt s’élève une mélodie de charmeur de serpents : eh oui m’sieurs-dames, quand Zorn s’amuse à faire geindre son sax comme un coussin péteur agonisant, il le fait exprès, et il est tout à fait capable de faire surgir des mélodies envoûtantes au milieu de ce cirque - la preuve est là.
Certes, la joyeuse bande s’en voudrait de nous laisser sur une note si civilisée et préfère conclure dans la sauvagerie avec The Initiate. Mais au final, The Crucible mérite particulièrement bien son titre : creuset où se mêlent les différentes influences d’un Zorn qui prend un malin plaisir à n’être jamais là où on l’attend et à jouer à saute-mouton avec les genres. Même s’il recèle encore bien des passage qui feront saigner les oreilles délicates, le disque est au bout du compte moins extrême et moins effrayant que Moonchild et consorts. En s’autorisant des respirations mélodiques, le compositeur new-yorkais livre ici l’album le plus accessible de cette étonnante série.
Photo : Mike Patton et Trevor Dunn interprètent Moonchild à Londres en 2007 (© Andy Newcombe)
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