Tir groupé : ils sont passés sur nos platines (28/10 - 3/11/2019)
Chaque dimanche, une sélection d’albums récents écoutés dans la semaine par un ou plusieurs membres de l’équipe, avec du son et quelques impressions à chaud. Car si l’on a jamais assez de temps ou de motivation pour chroniquer à proprement parler toutes les sorties qu’on ingurgite quotidiennement, nombre d’entre elles n’en méritent pas moins un avis succinct ou une petite mise en avant.
Yuko Araki - II (17/10/2019 - Commando Vanessa)
Riton : Du synthé par une amatrice de punk bien velu, c’est l’assurance de verser dans l’abstraction bruitiste bien primaire (et bien moins rythmique que son préquel de début d’année) où les oscillateurs grondent et crépitent en une odyssée futuriste qui résonne plus en scénario catastrophe que comme manifeste rétro.
Rabbit : Ce 2e opus du diptyque de la Japonaise dont l’excellent prédécesseur avait fait l’objet d’un de nos Tirs Groupés de cet été inaugure le label italien Commando Vanessa qui promet de nous abreuver en expérimentations singulières. Effectivement moins percussif et mystique, peut-être aussi moins abrasif et lo-fi que le premier volet dont il prend plus ou moins la suite du morceau final Quintuplets, II est d’autant plus magnétique, mettant en avant synthés futuristes (Marooned on Mars) et autres arpeggiators stellaires (Taklamakan) pour nous emmener loin, en un crescendo dystopique qui n’hésite pas pour autant à convoquer bruit blanc en flux anxiogènes et lancinants (Vermilion Bullets), crépitements harsh (The Lathe of Eden) ou stridences névrotiques au potentiel claustrophobe malaisant (Blind Temple).
Club Sieste - Club Sieste (12/10/2019 - Coax)
Rabbit : Régressif et aventureux, Club Sieste c’est le terrain de jeu de Simon Henocq (la géniale électro-noise dystopique de We Use Cookies, c’est lui) et de ses compères jazzeux du collectif Coax. Au programme de cette excellente première sortie du quintette dadaïste et noisy, des hymnes cacophoniques de lounge déstructurée passée à la moulinette zornienne (Local Ou Escape Game ?), du punk-jazz qui larsène et bourdonne à foison (Une Salle Une Ambiance) et autres joyeusetés harsh aussi ardues qu’inclassables (le bien-nommé Team Apocalypse dont s’extrait tout juste le sax furieux de Basile Naudet). Autant dire que c’est Bcp Trop Mignon pour les oreilles sensibles auxquelles on conseillera de vite remettre leur petits bouchons vert fluo.
SCVTTERBRVIN - The Acid Atheist (25/10/2019 - Red Lotus Klan)
Rabbit : Ça commence par un sample ultra évident de l’indépassable David Axelrod, fallait oser. Mais voilà, le patron du Red Lotus Klan a le talent, et bien qu’il ne soit pas lui même derrière tous les instrus de The Acid Atheist (on reconnaît ainsi son pseudo Infinity Gauntlet sur le jazzy Rick Sanchez - hommage au fameux scientifique misanthrope et alcoolo de la comédie noire d’animation Rick & Morty que les fans de SF décalée connaissent bien - mais aussi l’excellent Aki Kharmicel sur le Dr.Octagon-esque et fabuleusement insidieux Luxury Ambulance), le flow nasal, les lyrics horriques émaillés de références pop goguenardes et le psychédélisme halluciné du producteur/rappeur de San Diego assurent le liant de ces morceaux tiraillés entre futurisme à la Cannibal Ox (Subliminal Projection), soundtracks bis aux visions cauchemardées (Cutting Room, Nolan Ryan vs. Robin Ventura) et tension lo-fi du caveau (Gator Rogowski, Epilogue Editor). Podium hip-hop de l’année assurément.
Mariuk - If You Ever Get Lost (23/10/2019 - autoproduction)
Rabbit : On avait découvert la Londonienne l’an passé avec le magnifique I de son duo Northwest dont la pop électro/orchestrale jouant sur les silences et les atmosphères claires-obscures s’imposait en chaînon manquant entre les fantasmagories des derniers Broadcast et la dream-pop hantée du label 4AD du tournant des 90s. Mais si son compère Ignacio Simón fait ici une apparition aux guitares du dansant Catch Me If You Can, c’est bien à la seule Mariuca García-Lomas que l’on doit ce labyrinthe pop moderne évoquant le génie électro-pop de Lali Puna ou des débuts de The Bird and the Bee (Famous), où subsiste un goût pour les grands espaces romantiques et feutrés (Echo, If You Ever Get Lost Again) mais dans lequel les beats et manipulations vocales les plus distordus prennent souvent le dessus (Vilña), pour flirter avec le post-dubstep ténébreux du vénéneux éponyme d’Emika (Sunglasses, The Sword ou surtout Here Lies My Old Self) entre deux morceaux plus efficaces et calibrés pour le dancefloor dont les productions ne perdent rien pour autant de leur singularité (The Sound I Was Looking For, Simon). Une bien belle confirmation !
Rank-O - Rank-O EP (27/09/2019 - Another Record)
Rabbit : En formule trois guitares + batterie, le quatuor tourangeau accroche d’emblée par son côté foutraque, gentiment dérangé au chant sans garde-fou qui doit autant aux Talking Heads (Cheetah) qu’à Deerhoof. Musicalement, on navigue entre raideur post-punk et arpèges tropicalistes, art-rock en liberté et régression synth-rock façon Devo (Boom Boom Lady), mélodies vocales accrocheuses et déstructuration riffesque ouvertement noise. A chaque morceau son approche vocale, du murmure au miaulement glam sur l’azimuté Penkt qui donne envie de faire le derviche tourneur au milieu d’un pogo, jusqu’à la douce mélodie du final Mor contrastant avec ses frappes martiales et hachurées, en passant par les vociférations haut-perchées et les refrains à la Kim Deal d’un Fall aux accents indus et hawaïens. Un drôle d’EP récréatif et singulier qui électrise, charme et déstabilise sans se prendre trop au sérieux.
La Féline - Vie Future (11/10/2019 - Kwaidan Records)
Elnorton : Cet album ne me laisse pas indifférent. Clairement. Il est doté d’un pouvoir hypnotique qui conduit à l’écouter jusqu’au bout. Et pourtant, tout ne me convient pas sur ce disque. Mais est-ce la fonction de la musique - et de l’art en général - que d’apporter au public ce qu’il attend ? La Féline propose quelque chose d’inconfortable, à la fois ouvertement pop dans la lignée, par exemple, de Bat For Lashes (Effet De Nuit ou l’évident Tant Que Tu Respires) ou plus expérimental (le crescendo minimaliste de La Terre Entière). Les guitares, pédales d’effets et synthétiseurs sont habités et s’enroulent autour de la voix d’Agnès Gayraud qui parvient à parler de sentiments forts en Français sans jamais paraître impudique. Parfois astrale, souvent étrange, cette pop synthétique est à la fois ambitieuse et singulière. L’équilibre se perd parfois - déroutant ainsi l’auditeur - mais l’essentiel ici n’est pas de rester droit dans ses bottes. La chute fait partie du processus, et l’on se relève sans mal, avec toujours autant, voire plus, d’intérêt pour ce que l’on entend. Avec ce troisième album, La Féline clôt une trilogie générationnelle sans se répéter. Vivement la suite.
Rabbit : De mon côté j’admets avoir eu un peu de mal à vraiment me passionner pour ce nouvel album, qui avait pourtant tout pour me plaire sur le papier, comme le virage pop d’une Laetitia Sadier en marge de Stereolab. Rien à faire, je préférais La Féline moins "chansonnière", la voix moins en avant, plus hypnotique, pulsée, minimaliste (un peu comme sur le chouette Fusée ou l’excellent Visions de Dieu), d’autant plus quand jouaient les charmes bricolés des débuts... plus Stereolab que Laetitia, en somme. Il y a pourtant en effet de jolies choses sur Vie Future, de charmantes mélodies (le bonus track Lucifer qui m’évoque joliment le mysticisme du premier EP) et de grands espaces silencieux (Depuis le ciel, ou Voyage à Cythère et ses faux-airs de Air), mais aussi des choses qui flirtent de trop près avec mes allergies personnelles, de cette nouvelle scène pop à synthés à la Française sur Effet de Nuit à cet autotune pas forcément indispensable sur La Terre entière. Suis-je donc le seul à avoir eu une petite pensée pour Christine and the Queens en écoutant Où est passée ton âme ? La chanson est évidemment plus classieuse mais voilà, penser à Christine ça me fait du mal, je préfère autant éviter...
Valance Drakes - An Angel In Alliance With Falsehood (28/10/2019 - Amek Collective)
Rabbit : Collectionneur de labels électro underground pointus et défricheurs, de Detroit Underground à Schematic en passant par nos gloires nationales Bedroom Research et M-Tronic ou encore nos chouchous ricains I Had An Accident pour la dimension presque hip-hop, Valance Drakes n’a plus rien à prouver. Comme toujours avec le mystérieux producteur, de retour dans le giron du collectif bulgare Amek un an après sa collaboration avec Ivan Shopov, on est emporté par des flots d’irréalité au gré de textures aquatiques, de cliquetis organiques et de beats syncopés où surnagent field recordings nostalgiques et nappes éthérées. D’une cohérence à toute épreuve, An Angel In Alliance With Falsehood sonne comme un même songe introspectif et séraphique de 32 minutes avec ses mouvements plus ou moins langoureux (The Hardest Battles Are Fought In The Mind avec Richard Devine en invité de luxe), hypnotiques (Roses Are Not Armour) ou déstructurés (When A Forgotten Memory Returns), une ode évanescente et métamorphe aux blessures, aux frustrations et autres tromperies qui pervertissent notre psyché et avec lesquelles on s’arrange un peu plus chaque jour pour continuer de rêver (Torn Off Feathers From An Angel). Magique.
DIIV - Deceiver (4/10/2019 - Captured Tracks)
Elnorton : Certes, DIIV apparaît comme un groupe de suiveurs pour tous ceux qui ont été bercés sur du Ride. Et après un Is The Is Are salué comme une tentative d’émancipation des influences shoegaze du combo, Deceiver constitue un retour aux sources, pourtant pas dénué d’intérêt. Rien de nouveau sous le soleil, sauf à considérer le fait que le shoegaze américain ne se limite donc plus à Swirlies, mais des compositions solides où les voix se noient dans des pédales d’effets enrobant des riffs de guitare tranchants. Tantôt langoureux (Taker, Lorelei), lorgnant avec efficacité sur les plate-bandes de Ride (Skin Game), celles des Smashing Pumpkins (Like Before You Were Born) ou célébrant une forme d’urgence (Blankenship), DIIV recycle les méthodes ayant fait leurs preuves dans les années 90 sans pour autant décevoir...
Rabbit : Un peu comme tous ces groupes qui savent composer de chouettes mélodies mais vivent un peu trop dans le passé (on pourra citer Cloud Nothings au hasard), le premier album de DIIV m’avait bien plu sur le moment sans me laisser de grand souvenir, au point de faire l’impasse sur le second par faute d’avoir su me rappeler avoir déjà croisé les New-Yorkais au détour d’une écoute. Il en sera probablement de même pour Deceiver, pas désagréable du tout et même assez bien fait mais manquant cruellement d’ambition créative et d’originalité dans un genre, le shoegaze, qui avait pourtant vu le jour dans un déluge d’expérimentations il y a 30 ans déjà. Un esprit que perpétuent aujourd’hui des musiciens en marge du courant (des noisy APTBS au touche-à-tout Aidan Baker en passant par les mélangeurs The Oscillation ou les iconoclastes Red Space Cyrod chez nous) plutôt que ceux qui s’en réclament ouvertement et n’en retiennent pour la plupart que la dimension pop assez inoffensive.
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