Le streaming du jour #1543 : Valgeir Sigurðsson - ’Dissonance’
A l’image d’un Christopher Tignor ou encore d’un Colin Stetson, dont l’excellent All This I Do For Glory est également sorti ce mois-ci, Valgeir Sigurðsson est de ces musiciens dont le background "pop" (une dénomination toute relative dans leur cas à tous trois) a laissé place au gré des albums à des compositions de plus en plus ardues, marquées par l’ambient expérimentale et surtout la musique classique contemporaine, inspiration évidente de ce Dissonance "fait pour reconnaître et pour confronter notre époque apocalyptique".
Que de chemin parcouru en effet par le producteur islandais entre l’électronica de son Ekvílibríum initial où mélodie et chant (via les invités Bonnie ’Prince’ Billy, Greg James Walker ou la divine Dawn McCarthy de Faun Fables) occupaient encore une place prépondérante, et les 22 minutes de crescendo massif et incandescent du morceau-titre - et pièce maîtresse - ouvrant ce Dissonance, tourbillon de lignes de viole de gambe frottée, frappée, malmenée, brûlée au chalumeau qui sait, dont les harmonies tourmentées et autres drones orageux au second plan pulvérisent tout sur leur passage, à commencer par nos tympans sidérés par tant d’intensité.
Plus aérées mais pas moins habitées, les deux suites qui en prennent la continuation, qu’elles soient éclairées à la bougie par un piano aux interventions disparates et des arpèges piqués de violon et de harpe (No Nights Dark Enough, dont les titres s’inspirent des vers de Flow My Tears, chanson du luthiste anglais John Dowland, adepte en son temps de la viole de gambe justement) ou envoyées dans des cieux peu cléments par des trémolos fiévreux et autres cuivres majestueux (1875), explorent avec la même puissance le frisson que peuvent provoquer les dissonances de cordes et de vents dans le contexte de compositions au pouvoir d’évocation de véritables odyssées mentales sans images.
Tout comme Colin Stetson donc, le patron du label Bedroom Community a l’art de faire surgir d’une austérité presque abstraite des traits de lyrisme dévastateur, certainement sous l’influence du background sus-mentionné, comme producteur et ingé son de Maps sur le génial We Can Create, de múm sur Finally We Are No One ou même de Björk à l’époque bénie de Vespertine. Depuis, le pressbook du bonhomme s’est étoffé en lorgnant régulièrement sur des musiciens qui, de Ben Frost à Hildur Guðnadóttir en passant par Nico Muhly, ont eu autant à cœur que lui de transcender l’héritage de la musique savante par une approche émotionnelle et cinématographique à l’impact sonique presque physique.
Dans la continuité dramaturgique d’un morceau tel que Helter Smelter sur la bande originale Draumalandið, on pense toujours ici, beaucoup, aux harmonies troublantes et ambiguës d’Howard Shore du temps des plus beaux scores de ce dernier pour Cronenberg, l’Islandais délaissant les secousses digitales plus avant-gardistes de l’impressionniste et impressionnant Architecture of Loss pour se concentrer sur le travail d’orchestration. Découpant les sessions instrumentales de l’ensemble Reykjavik Sinfonia pour en réorganiser les sections en couches démultipliées, Valgeir Sigurðsson invente en quelque sorte l’orchestre virtuel pour démontrer, comme le font également à leur façon des artistes tels que Sarah Kirkland Snider ou Daníel Bjarnason - lui même pensionnaire de Bedroom Community - que l’on n’a pas forcément besoin d’incursions électroniques marquées (ou si peu, cf. le hachuré No Nights Dark Enough III. Fear and Grief and Pain) pour signer une symphonie saisissante sans verser dans le passéisme au 21e siècle.
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