Kitchen Tool Set - Ecorce/Essence
Ecorce/Essence est tout à la fois contondant et velouté. Avec ce nouvel album (le troisième en faisant abstraction des deux premiers CD-R), Kitchen Tool Set poursuit lentement son bonhomme de chemin. Toujours plus efficace, toujours plus équilibré. Grande classe.
1. Bug
2. James Brown
3. Underground
4. Super Sphincter
5. Catalog
6. Houria
7. Broken
Avec Ecorce/Essence, il faut prendre le temps de prendre son temps. Ne rien brusquer. Accepter une première écoute moribonde qui n’évoque pas grand chose et fait naître un sentiment bien flou et mollasson où l’ennui prédomine et se fait parfois gentiment battre en brèche par des choses un peu plus accaparantes. Des passages aussi massifs que fugaces (Super Sphincter), un violon élégant qui débarque par inadvertance (Broken), des lignes de chant étranglées qui se mêlent dans une spirale étouffée (Catalog). Et puis on range le bout de plastique noir dans sa (belle) pochette avec la vague intention de ne pas oublier de l’oublier, en se disant que le temps fera de toute façon son office, effacera l’écorce et diluera l’essence. Un peu plus tard, on se rend compte qu’au contraire le disque a fait son chemin dans la boîte crânienne. C’est que ces morceaux ont beau être discrets, arrivant là sans vouloir déranger, leur grande retenue et leur élégance intrinsèque les dotent paradoxalement d’une incontestable envergure. Et s’ils ne paient pas de mine de prime abord, ils se révèlent sacrément denses sur la longueur. Bien sûr, on les aimerait parfois plus hirsutes, plus renfrognés, qu’ils exposent leurs crocs mais ils ne seraient alors plus tout à fait les mêmes. Inutile d’en vouloir plus quand on en montre au final bien assez. La tension, par exemple, est bien réelle, irradie dès le Bug introductif et ne retombe jamais. L’urgence est également convoquée plus souvent qu’à son tour, habitant la voix, les riffs qui se fracturent sur les ondes de la basse et même les claviers qui s’emboîtent naturellement dans l’ossature pelée pour lui donner un supplément de chair. Ce que l’on veut dire par là, c’est que chaque chose est sa place et sonne comme elle doit sonner pour, avant tout, servir les morceaux et leur dynamique : point de surenchère ou de démonstration, ce que Kitchen Tool Set cherche avant tout, c’est à déployer sa musique dans toutes ses dimensions, n’existant que pour elle, ne communiquant que par elle. Une volonté d’effacement que l’on retrouve d’ailleurs dans la manière dont le groupe se présente : « We are a very confidential band from north of France. We are old and not very good looking, we sweat and some of us almost stink. » montrant par-là que l’essentiel se trouve ailleurs, circulez messieurs dames, rien à voir, tout à entendre. On suit le conseil et on n’est pas déçu.
La première écoute ne laissait entendre que la poussière monotone et les scories grisâtres. En-dessous se tient une écorce autrement plus noueuse et intéressante. Une essence subtile qui équilibre parfaitement tout un tas de choses : noise-rock, math-rock, pop-rock, heavy-rock, free-rock et autres éléments impétueux qui rappellent à quel point les musiques binaires, lorsqu’elles sont finement dosées, portent bien mal leur nom. Ainsi, les gros riffs introductifs de Bug ne permettent pas d’envisager un morceau si sec que James Brown par la suite. Tout comme cette même sécheresse ne laisse présager en rien les fulgurances de Super Sphincter ou l’élégance de Broken qui voit le groupe suspendre son vol et parcourir le chemin d’une americana bluesy et écorchée extrêmement personnelle. Touche-à-tout, doué mais aussi funambule, Kitchen Tool Set fait preuve d’une belle élégance et d’un indiscutable sens de l’équilibre qui lui permet d’aller voir ailleurs tout en restant lui-même. De quoi expliquer son côté de prime abord monotone lorsqu’on est plutôt habitué aux débordements et aux explosions tonitruantes. Pourtant, pour peu que l’on détaille les morceaux, on voit bien à quel point ils se montrent impétueux et disloqués. En revanche, pas de grandes démonstrations de violence, c’est vrai, mais plutôt un mouvement lent qui bouscule sans que l’on s’en rende bien compte, une dynamique que l’on pourrait croire patraque mais qui n’en reste pas moins une dynamique. Un peu comme un uppercut au ralenti. Les sept titres, pourtant, filent vite et, malgré leur trajectoire tortueuse, ne souffrent d’aucune digression inutile : direct à l’essentiel. L’écoute de leur excellent More de 2010, encore plus sec et calleux, montre que le groupe a également effectué un pas en avant : plus d’ampleur, dans le son (parfaitement enregistré et mixé par lui-même et Fabrice Pureur, masterisé par Carl Saff) et dans les morceaux dont l’écriture, indéniablement, s’est épaissie. Plus complexes, plus denses mais pas non plus une mue radicale. Simplement, Kitchen Tool Set a vieilli durant les quatre années qui ont suivi More. Des cernes élégantes ont fait leur apparition, l’écorce s’est burinée, l’essence s’est chargée d’effluves complexes. On ne parlera pas de supposée maturité, ça n’a rien à voir, mais plutôt d’expérience. Celle glanée au fil des concerts et des répétitions, celle qui rend désormais obsolète la dernière phrase de leur profession de foi : « We are really slow at composing music, and not so good musicians. »
Vous cherchez de l’amoncellement rutilant, de la fioriture, de la démonstration rageuse, ce disque et ce groupe ne sont pas pour vous. Subtil et authentique, avançant à son rythme, Ecorce/Essence a quelque chose qui tient de l’eau qui coule ou du feu qui crépite. On pourrait croire que rien ne se passe mais on est tout de même hypnotisé. Se déplaçant sur un segment compris entre un Torticoli resserré et les sorties estampillées Specific (Twin Pricks et Yellow King en tête), reliant entre eux Unwound et Don Caballero, Kitchen Tool Set n’a rien à voir avec les grandes enseignes commerciales, porte bien haut les couleurs de l’artisanat et relève bien plus du couteau suisse que des ustensiles en plastique.
Remarquable.
Ecorce/Essence sort conjointement chez Tandori Records, Gabu Asso, Amor Komma et W4R.
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