;background-color:#">Mike Shabb - Shabbvangogh

1. Breakadawn
2. Merry Go Round Voir la vidéo Mike Shabb - Merry Go Round
3. Underground Legend
4. Jank Voir la vidéo Mike Shabb - Jank
5. Krump Voir la vidéo Mike Shabb - Krump
6. A Brand New Sound (Interlude)
7. Cant Wait
8. Nothing Is The Same + Outro
9. Crews Pop (feat. Niontay)
10. Splash Bros (feat. Trapmat Savior)
11. Van Gogh
12. Disco Duck II + Outro
13. Rope

2025 - Autoproduction

Sortie le : 7 mars 2025

L’oreille cossue

Passé d’une trap planante assez générique et sans grand éclat durant ses premières années d’activité, abusant d’autotune et de 808 jusqu’à Life Is Short inclus qui flirtait en 2020 avec cette soi-disant "pop moderne" responsable de la bâtardisation la plus tiède et racoleuse qu’ait connu le rap depuis le G-funk, le Montréalais Mike Shabb, beatmaker récurrent entre autres pour le sympathique MC/producteur d’Atlanta Tha God Fahim s’en était allé depuis fureter du côté d’un boom bap soulful voire jazzy avec nettement plus de réussite, entre deux incursions beatless (notamment sur Bokleen World en 2023). Ainsi, l’an passé, le largement autoproduit Sewaside III avec en guests les copains Estee Nack et surtout ANKHLEJOHN (dont le nouvel opus rend la pareille à Shabb le temps d’un Halfway joliment tristounet) avait plutôt fait office d’heureuse surprise, un revirement n’ayant rien à envier à celui du désormais passionnant Bishop Nehru dont on touchait un mot ici. Et justement, comme pour ce dernier, c’est avant tout par le biais d’un sampling ludique et volontiers saccadé que s’effectue le passage à la vitesse supérieure pour le MC québécois, incarnation de cette poche de résistants anglophones dans le milieu très francophile du rap local qui choisit pour sa part la discrétion en termes de flow, ses courants de conscience borderline spoken word susurrés d’une voix éraillée faisant mouche par leur humilité, à rebours des démonstrations techniques un peu vaines qui continuent d’obnubiler le rap jeu.

Entièrement produit par ses soins avec l’appui ici et là de quelques fidèles collaborateurs et voisins heureusement restés discrets pour l’occasion (Avian et Nicholas Craven en particulier), l’autodistribué Shabbvangogh, en dépit de sa référence lourdement appuyée à qui vous savez jusque sur la pochette où le MC est représenté avec un bandage autour de la tête supposant une oreille coupée, ressemble moins au caprice boursoufflé d’un artiste atteint de folie des grandeurs (même si le bonhomme n’a pas l’air d’être le dernier à cultiver l’ego du rappeur) qu’à un terrain de jeu aussi moelleux qu’audacieux, véhicule de thématiques qu’on imagine très personnelles (cf. le suicide paternel derrière l’apparente douceur presque gospel du final Rope).

Alors bien sûr il reste quelques scories de l’influence Griselda (pas un hasard si l’on pouvait croiser Mike Shabb en 2022 parmi les producteurs pour la plupart nettement plus aguerris du 10 de Westside Gunn), ces onomatopées et youyous à n’en plus finir dans le background des morceaux (moins envahissants toutefois que sur le dernier ANKHLEJOHN mentionné plus haut), et on retrouve sans étonnement des éléments désormais récurrents chez l’Américain, qu’il s’agisse des atmosphères jazz rétro du Breakadawn introductif aux superbes cascades de piano, des samples soul beatless (Nothing Is The Same) ou des beats trap qui n’ont pas tout à fait disparu, qu’ils soient associés au meilleur (le piano délicat et les loops de clavier oniriques à la Joe Hisaishi sur Jank) ou au pire (Cant Wait, maillon faible du disque avec ses accents reggae tiédasses, son incursion techno binaire et le retour plus moche que jamais de l’autotune, le MC louvoyant par ailleurs sur ce titre aux abords du mumble rap). Mais l’album ne se complaît pas pour autant dans sa zone de confort et tente au contraire beaucoup de choses, avec autant de gourmandise que de maîtrise, à l’image du single Merry Go Round dont le sample haché et distordu, sur fond d’exclamations d’enfants et de trains qui passent dans le lointain, s’accommode scratches à l’appui d’une petite vibe old school façon Daisy Age déglingué du meilleur cru (le morceau se terminant d’ailleurs sur un clin d’œil au tube de Big Daddy Kane, Ain’t No Half-Steppin’).

On citera en vrac, pour se cantonner aux sommets de l’album, la loop vocale heurtée d’un Underground Legend qu’on jurerait produit par Ill Clinton ou même son mystérieux compère Bummed Owl, Krump et sa boucle capiteuse de chanson en Français, l’urgence du beat de Disco Duck II déjouée par un piano presque easy listening à la Vince Guaraldi, ou encore ce Crews Pop sonnant comme si le Flying Lotus de la belle époque s’était mis à la trap, psychédélisme rêveur et tension régressive aux élans tribaux y faisant particulièrement bon ménage. C’est vous dire si ça virevolte au pays imaginaire des tournesols flamboyants et des chaises aux perspectives écrasées...

"Personne ne s’émerveille, à croire que c’est mieux de se couper l’oreille" chantait Arnaud Michniak chez Diabologum, et avec ce nouvel opus, assurément l’une des très belles réussites de ce début d’année hip-hop, Mike Shabb entre définitivement dans le club pas si fermé de cet underground rap passionnant - canadien en particulier - invisibilisé chez nous pour lequel on regrette, sans jamais constater en la matière une once de progrès, que cette punchline soit devenue une réalité - car en France cela va sans dire, mieux vaudrait être sourd que devoir se fader les canons commerciaux du genre, festival de bêtise, de conformisme et de vulgarité.


( RabbitInYourHeadlights )







- 09.03.2025 par RabbitInYourHeadlights