Comité d’écoute IRM - session #11 : Sylvan Esso, The Proper Ornaments, DJ QBert, Radiator Hospital & Teebs
Ça n’est pas parce qu’on n’en avait pas encore parlé qu’on n’a rien à en dire : chaque semaine, les rédacteurs d’IRM confrontent leurs points de vue sur une sélection d’albums de l’actualité récente.
Bouchons des retours de vacances obligent, il y a eu quelques ralentissements sur la route du Comité d’écoute en cette fin d’été. Néanmoins cette timide reprise à 5 albums pour autant de rédacteurs devrait aider à vous faire patienter jusqu’aux grosses sorties de la rentrée, avec une poignée de coups de cœur légers comme les bulles des cocktails sirotés sur les plages au mois d’août par les plus chanceux d’entre nous !
Guismo : Découverts lorsqu’ils faisaient la première partie de I Am Oak, ce duo composé d’Amelia Meath et Nicholas Sanborn (ex-Megafaun) a clairement surclassé le concert qui suivait. Nick pose ses beats comme de solides fondations sur lesquelles Amelia ajoute une ou plusieurs couches vocales (Hey Miami avec sa loop qui rappelle tUnE-yArDs dont ils ont justement fait les premières parties) pour avoir comme résultat une musique dansante et chaleureuse à la fois. Ajoutez à cela une incroyable énergie et un plaisir de jouer qui se transmettent dans le public…vous avez là une toute belle claque, qui s’est - à mon grand bonheur - confirmée sur leur première galette éponyme. Avec en tête de liste les Coffee, Play It Right et Could I Be, Sylvan Esso affiche chanson après chanson un sens mélodique pop qui ne faiblit presque pas (petit bémol sur H.S.K.T. qui m’emballe moins) ainsi que des sons électroniques tour à tour syncopés, basseux, aériens,.. mais toujours en parfaite harmonie avec le beau chant clair d’Amelia, pas très loin d’une Feist dont elle a fait les backup vocals en tournée.
Elnorton : Si, initialement, leur collaboration ne devait concerner qu’un morceau (la chanteuse officiait au sein du trio Mountain Man et c’est parce qu’elle ne trouvait pas l’arrangement idéal pour ce morceau qu’elle collabora alors avec Nick Sanborn), les Nord-Caroliniens ont eu le nez fin en étendant leur partenariat.
Sur ce premier opus éponyme, Sylvan Esso propose une électro-pop aux rythmiques downtempo mais acérées qui tranchent avec la voix d’Amelia Meath, impeccable de justesse et évoquant, la retenue en plus, celle de Bat For Lashes.
Rabbit : Avec des influences allant du gospel à la future bass en passant par le glitch-hop sur le merveilleux Coffee ou le lyrisme plus mainstream de Florence + The Machine (du temps où c’était bien...) sur l’irrésistible Play It Right, un chouette album d’électro-pop dont la mixture de paganisme et de sensualité rappelle un peu l’univers des Français d’Erotic Market, mais sans les minauderies décalées et autres influences r’n’b parfois envahissantes, ce qui n’est finalement pas plus mal.
Elnorton : Cerveaux de The Proper Ornaments, l’Argentin Max Claps et l’Anglais James Hoare se sont rencontrés dans des circonstances particulières. Le premier faisait en effet le guet pendant que celle qui était alors sa petite amie tentait de voler des bottes en cuir dans la friperie où exerçait le second. Comment les deux individus en sont-ils venus à dialoguer ? Échec de la tentative de vol ? Même pas, bien que la petite histoire ne nous donne pas davantage d’éléments à ce sujet. James Hoare était tout simplement en train de lire un ouvrage sur Lou Reed, ce qui attira immédiatement l’attention de son futur compère.
Autour de ce point commun, les deux hommes entameront quelques répétitions puis enregistreront ensemble leur premier disque intitulé Wooden Head. Disque sous influences, particulièrement celles des années 60 et 70, on imagine sans mal que le spectre du Velvet Underground veille sur les compositions de The Proper Ornaments, mais on pense également aux Doors ou même aux Beatles (What Am I To Do). Wooden Head n’est pourtant pas un album dont les sonorités sont datées et, au détour de quelques accords, les références se font plus contemporaines, et l’on pense volontiers à Stereolab sur le titre, clin d’œil évident, portant le nom de la formation menée par Laetitia Sadier. Au détour de quelques accords tout en rupture sur Summer’s Gone, c’est même le spectre des Tindersticks qui pourra se dessiner au loin. En bref, The Proper Ornaments nous proposent un bon disque de rock nonchalant à tendance psychédélique dont il serait dommage de se priver.
Spoutnik : Le schéma peut paraître suranné depuis les années 60, ça fait quand même 50 ans que la pop essaie de faire du neuf avec du vieux, oui mais mis à part Ruby qui m’a fait penser à un mauvais Led Zeppelin, encore une fois ça marche ! Titres courts, naïveté, nonchalance, j’ai passé un chouette moment (mention spéciale à Now I Understand et Step Into The Cold) mais il manque un peu de cohérence au milieu de toutes ces influences pour que j’y revienne...
Rabbit : Âge tendre et tête de bois, une époque que les Londoniens n’ont pas connue et pourtant les clins d’œil aux sixties sont nombreux sur ce disque qui fonctionne néanmoins bien mieux dans l’indie pop minimaliste et langoureuse de Gone ou Sun. Autant dire qu’après un début d’album classieux et malgré la belle évidence mélodique d’un Magazine sonnant la rencontre des Byrds et des Doves à 35 ans d’intervalle, d’un Stereolab dont la référence joliment psyché parle d’elle même ou encore du lo-fi Time Me Out qui n’aurait pas dépareillé chez Flying Nun, j’ai malheureusement fini par me lasser.
UnderTheScum : Aucune lassitude de mon côté. Au contraire Wooden Head est album qui a fait son effet (sucré) dès la première écoute et qui continue à agir sans rien perdre de sa saveur après plus d’une quinzaine d’écoutes. La recette est aussi simple qu’efficace. Dès les premières secondes de l’album (qui s’ouvre sur le titre Gone, sans introduction) on est happé par cette douceur, mélodique, vocale, dont on ressort 36 agréables minutes plus tard, pleinement satisfait du voyage réalisé dans tout un pan de l’univers pop.
Spoutnik : 16 ans après Wave Twisters, c’est donc le retour de Q-Bert, on ne l’espérait plus, on y croyait même pas trop et pourtant avec le double Extraterrestria / GalaXXXian, le légendaire DJ californien vient peut-être bien de signer une des meilleures sorties hip-hop de l’année.
Nous avons déjà encensé l’extraordinaire Extraterrestria lors d’une précédente chronique, place donc à GalaXXXian. . Cette face est la seule rappée du double album, peut-être trop, le risque étant que Q-Bert passe presque "inaperçu" alors que sur Extraterrestria il était l’élément central. On pourrait avoir la sensation bizarre que Q soit l’invité alors que c’est lui qui invite ! Car question featurings, GalaXXXian est lourdement armé : Kool Keith, Del The Funkyhomosapien, Mr.Lif, El-P, P.E.A.C.E., que des gens qui tiennent de la place sur un disque... Oui mais Q-Bert par son art du scratch rehausse chaque track, il devient le fil conducteur qui rend l’album cohérent. On sent que Q-Bert a essayé de réaliser des titres sur mesure pour chaque rappeur convié à la fête en mettant leurs caractères propres en avant. Q c’est un peu la cerise sur le gâteau qu’est GalaXXXian. Ainsi certaines pistes sont fabuleuses (le vaporeux Back Suspension ou le lo-fi Mud Wrestler), d’autres fatalement moins (Generals ou Kooty Kat) et puis il y a l’acrobatique Liquifly et le puissant OG BBOY, deux putains de titres où l’accord entre les emcees (Del pour le premier, Lif/El-P pour l’autre) et Q-Bert frise la perfection !
Au final, GalaXXXian souffre certainement de la comparaison avec Extraterrestria, mais l’ensemble des deux montre toute l’étendue du talent de Q qui est aussi bien capable d’être le maestro d’un album instrumental, comme de se fondre dans un collectif de rappers et c’est bien là que réside le génie d’un DJ, une individualité dans une équipe, un vrai n°10 quoi !
Rabbit : Après un début d’album légèrement trop ethno-hip-hop pour moi et manquant peut-être du recul décalé d’un Cut Chemist en la matière, je me prends à adhérer à l’univers des instrus d’Extraterrestria perdus entre orbite martienne et forêt tropicale bien plus qu’aux collaborations parfois brillantes mais inégales de ce versant rappé. Kudos tout de même à l’épique Pie Fighters ainsi qu’aux excellentes interventions de Kool Keith (qui retrouve le bonhomme 18 ans après Dr. Octagonecologyst) sur l’inquiétant Back Suspension, Mr. Lif et El-P sur le Def-Juxien (comprendre dark, pesant et ironique) OG BBOY, Soul Khan sur Mud Wrestler tout en percus vaudou et Del (côtoyé sur un titre du projet N.A.S.A. il y a quelques années) sur un Liquifly aussi cool que déliquescent, le milieu d’album me parlant nettement moins avec ses sonorités de dancehall tribal toutes basses racoleuses en avant.
Guismo : Il faut reconnaître à GalaXXXian une certaine diversité dans les genres. Rien de pire qu’un album de rap où toutes les chansons se ressemblent. Mais malgré cela, je n’ai pas vraiment adhéré à cet album. Il faut dire que je ne suis certainement pas le meilleur public en ce qui concerne le rap. En simplifiant un peu, ce qui m’y attire : soit le côté hypnotique et mélodique qu’on retrouve principalement sur des instrumentaux, soit le côté brut qui donne juste envie de pousser le volume à fond. On retrouve cette dernière composante sur les deux titres que j’ai préférés : OG BBOY (titre qui aurait pu se retrouver sur un album de El-P….El-P qui y est - tiens donc - en featuring) et Pie Fighters qui sont de vraies réussites (le 2e n’étant pas très loin des Jedi Mind Tricks / Snowgoons / AOTP dont je suis particulièrement friand). Le reste m’a semblé un peu poussif et terriblement lassant sur la longueur. Sur ce, vais attaquer Extraterrestria, le lapin m’a donné envie en parlant d’ethno-hip-hop…
UnderTheScum : Je dois bien reconnaître que les albums pop punk, lorsqu’ils sont réalisés avec subtilité, me font littéralement fondre. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce Torch Song a visé en plein cœur. Toute cette énergie, certes désenchantée mais sans abandonner tout espoir, ne peut pas laisser insensible. La sensibilité est d’ailleurs certainement ce qui caractérise le mieux cet album, superbement rendue par les voix désabusées et les sonorités lo-fi.
Spoutnik : En écoutant Radiator Hospital, je me suis souvenu que fut un temps j’ai été fan de chansonnettes pop-punk bien lo-fi comme il faut ! Je me suis souvenu que je pensais que ça n’était pas si compliqué de faire de la bonne musique, qu’il suffisait d’y mettre ses tripes et que le reste viendrait naturellement. Je n’avais peut-être pas tort, en attendant Torch Song est un superbe album au fort contenu émotionnel et mélodique, je me suis régalé d’un bout à l’autre, résultat je me suis remis Let’s Wrestle, Bearsuit et je vais peut-être me faire un Weezer derrière.
Rabbit : Émaillée d’éclats punk mélodique et de vignettes dépouillées à l’américaine, la pop lo-fi des Philadelphiens a quelque chose de désarmant, ne serait-ce que dans le songwriting et le chant traînant, légèrement hors des rails, de son leader Sam Cook-Parrott sur des morceaux tels que Cut Your Bangs, Venus Of The Avenue (les Beach Boys meet Elephant 6 ?) ou Fireworks, son spleen fiévreux rivalisant alors avec la douce neurasthénie de Maryn Jones qui illuminait la première version du titre quelques pistes plus tôt. Irrésistible (et disponible à prix libre ce qui ne gâte rien) !
Rabbit : Croisant le fer (ou plutôt le coton) avec ses homologues et compères Prefuse 73 (dans la foulée d’un EP dont on vous disait grand bien l’an passé) et Jonti (aux chœurs réconfortants sur le stratosphérique Holiday), le magicien du label Brainfeeder saupoudre de scintillements acoustiques, de field recordings impressionnistes et de percus célestes ses rêveries embrumées élevant le glitch-hop au rang d’art sacré. Bien qu’on puisse regretter les nébuleuses abstraites d’un premier opus dont les morceaux télescopaient leurs textures séraphiques en un véritable vortex organique de micro-symphonies rythmiques, la mixture extatique de beats alanguis et d’effluves psyché concoctée par Mtendre Mandowa sur cette suite plus cadrée s’avère tout aussi enivrante et n’en réserve pas moins de jolis moments d’abandon à l’image de SOTM, Piano Months ou Gratitude.
Elnorton : A l’écoute d’E S T A R A, on sent rapidement que la collaboration avec Prefuse 73 à l’occasion du projet Sons Of The Morning n’a pas été sans conséquence sur le rapport de Teebs aux rythmiques. Pour autant loin de renier son univers de prédilection, Mtendre Mandowa met en place des ambiances oniriques sur lesquelles les nappes syncopées rencontrent ici et là quelques accords au piano, à la guitare ou même à la harpe. Ces constructions kaléidoscopiques raviront forcément les fans d’ambient aérée.
Guismo : Après un Ardour qui nous avait embarqués dans un fameux voyage au pays du glitch-hop riche en sons (à écouter au casque svp !) et beats fracturés, et après une belle confirmation live de ce touche à tout de Mtendere Mandowa, 2e album un poil décevant pour ma part. Les ingrédients sont pourtant là mais insuffisants. Le début d’album a du mal à décoller : il faudra attendre Shoouss Lullaby pour commencer à éveiller mon envie avec ses cliquetis oniriques et sa petite mélodie simple mais efficace. SOTM maintiendra mon intérêt sur la même lancée. La suite du voyage reprend avec un Mondaze un poil tribal et un Wavxxes qui nous offre une progression lente mais prenante jusqu’à arriver au saxophone de Lars Horntveth (Jaga Jazzist) auquel on aurait bien encore donné quelques minutes voire un nouveau chapitre.
A part ça, rien de réellement mauvais mais pas assez pour que je sois emporté… l’album a pour moi du mal à tenir la comparaison face au premier LP.
Spoutnik : De Teebs je ne connaissais rien, c’est vierge que j’ai abordé E S T A R A et j’ai été carrément conquis ! Chose rare, la construction de l’album est impeccable, l’affaire est d’une quasi-symétrie dans la rêverie avec un vrai début et une vraie fin. L’invitation au voyage cérébral commence dès l’oxymore Endless, puis tout y passe avec la finesse et la justesse qui font les grands albums, le féerique (Shoouss Lullaby et Piano Days), le bucolique (Holyday et Mondaze), l’alambiqué, domaine dans lequel Teebs excelle (SOTM, Hi Hat et NY Part.2) et puis il y a Waxxes, un morceau qui rejoue toute la progression de l’album en 5 minutes. Du grand art !
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