Chromb ! - II
Les temps sont durs et les raisons de se réjouir, rares. Mais dans ce contexte, le deuxième album de CHROMB !, justement intitulé II, se montre particulièrement pertinent en balançant des giclées rose fuchsia sur les mornes façades de la vie quotidienne.
1. Monsieur Costume
2. Le Colis
3. Il Dansait La Chance
4. La Saulce
5. Au Milieu Des Décombres Fumantes, Un Bâton Planté Dans Le Sol Qui Semblait Vouloir Dire "Pourquoi ?"
6. À Fond De Chien
Attention, cet album formidable est constitué d’ingrédients proprement suspects : un piano bavard, un chant emphatique et suraigu, un saxophone qui ne l’est pas moins, des compositions fofolles qui peine à maintenir une unité en passant inlassablement du coq à l’âne et un vernis vaguement positif qui n’appelle de prime abord qu’une seule (et saine) réaction : méfiance. D’autant plus que tout cela se met en branle dès le premier morceau, Monsieur Costume : d’abord petite musique de chambre pour piano enlevé et percussions discrètes, très vite dynamitée en son milieu par l’irruption d’un bloc massif où basse et saxophone hystériques disloquent les motifs patiemment construits. Un morceau au relief cabossé qui oppose un couple d’instruments à un autre puis finit par les faire jouer tous ensemble dans une débauche que l’entame ne laissait en rien présager. Un truc que l’on pourrait croire grandiloquent si tout n’y était pas si sec et ténu. C’est que l’on sent bien que les quatre CHROMB ! maîtrisent leur sujet et dans ces conditions, étant donné ce qu’ils jouent (on serait tenté de parler de rock in opposition, voire de rock progressif), il serait bien facile pour eux d’en mettre partout dans une surenchère nauséabonde qui nous ferait bien vite lâcher l’affaire. Or ce n’est pas du tout le cas. On se surprend même à refréner une ébauche de sourire qui apparaît bien malgré nous à la commissure des lèvres. Et alors que l’on se demande par quel miracle notre cortex accepte d’adhérer à un truc pareil, le sourire timide que l’on pouvait jusqu’ici encore cacher se dévoile entièrement à l’écoute du second morceau : Le Colis. Inutile de lutter, II est proprement jubilatoire. Et tous ces éléments suspects cités plus haut, on finit évidemment par les adorer. Le piano n’est plus bavard mais au contraire parfaitement dosé. Le saxophone n’est pas emphatique, il est plutôt sauvage et balance des lignes hystériques pour simplement exister au milieu d’autres instruments qui, comme lui, veulent être placés devant. La voix est suraiguë peut-être mais force est de constater qu’elle s’accorde parfaitement à l’ensemble. Y compris sur le bien nommé À Fond De Chien où elle se pare d’une scansion hardcore saugrenue et d’un habillage yaya proprement ridicule sans pour autant l’être le moins du monde. Les quatre CHROMB ! sont sans doute tarés ou schizophrènes mais possèdent suffisamment de talent pour nous faire ingurgiter leurs couleuvres perturbées les yeux fermés.
Qui sont-ils d’ailleurs ? Camille Durieux s’occupe des nombreux claviers et des chœurs, Lucas Hercberg s’évertue à faire sonner sa basse comme une guitare quand il n’en concasse pas les lignes et assure également les chœurs à l’occasion, Antoine Mermet partage son souffle entre un saxophone alto féroce et une voix sous amphétamine et Léo Dumont martèle inlassablement ses fûts (bien qu’il n’aie pas participé à l’enregistrement de II au cours duquel on trouvait encore Guillaume Gestin derrière la batterie). Tous sont également impliqués ailleurs - pêle-mêle dans Kouma et Polymorphie pour Léo Dumont, dans 1000francsdanslagorge et The Very Big Experimental Toubifri Orchestra pour Lucas Hercberg et Antoine Mermet que l’on retrouve également seul aux commandes de Saint Sadrill ou sous son propre nom ou encore au sein Des Fourmis Dans Les Mains pour Camille Durieux, CHROMB ! gravitant également plus ou moins autour du Grolektif - et bien que ce name dropping soit un tantinet lourdingue, il explique sans nulle doute d’où leur vient leur goût prononcé pour l’échantillonnage, l’emprunt à tout-va et la prise de risque. Aguerris, ces Lyonnais peuvent bien tout se permettre avec l’assurance de retomber toujours sur leurs pieds. Du coup, l’iconoclaste côtoie l’agressif, le perché se confronte au pragmatisme, l’aridité empêche le pompier et le ronflant de prendre racine et le groupe n’a pas son pareil pour mettre en permanence nos goûts et certitudes à rude épreuve. Pourtant, il y a trop d’élégance là-dedans pour tomber dans les affres du grossier. Ensuite c’est facile, les morceaux étant parfaitement écrits et construits, ils habillent tout naturellement quelques cases de notre cortex dont on n’imaginait pas qu’elles le fussent un jour et en se logeant ainsi entre « John Zorn, King Crimson, Pierre la Police ou Melt-Banana » (on pourrait rajouter Zappa, Pink Floyd, Jacques Tati et Massacre que l’on ne serait pas plus exhaustif), ils construisent des connexions nouvelles entre des axones et des axiomes assez éloignés. D’où la jubilation à entendre des morceaux totalement inédits renfermant nombre d’éléments pourtant familiers. Beaucoup d’humour mais pas de rires gras, beaucoup de légèreté mais pas d’optimisme forcené, beaucoup de bifurcations mais pas d’égarement, beaucoup d’esprit progressif mais des fondements trop secs et puristes pour se laisser aller à la surenchère. On rigole mais on sent bien qu’en face, ça ne rigole pas.
Dès lors, on devient très vite captif de II. Le Colis et ses cinglants « Je me suis déguisé en madame pour aller chercher le colis avec ta carte d’identité », le primesautier Il Dansait La Chance et sa démarche goguenarde d’ivrogne flegmatique, La Saulce et sa mélodie disloquée mais bien réelle, ses huit minutes solaires et graves à la fois, le haïku musical résumant parfaitement le haïku tout court Au Milieu Des Décombres Fumantes, Un Bâton Planté Dans Le Sol Qui Semblait Vouloir Dire "Pourquoi ?" entre autres morceaux formidables recelant chacun un bon milliard d’idées. Le tout parfaitement emballé sous une très belle pochette encore une fois imaginée par Benjamin Flao (à qui l’on devait déjà la précédente) et mixé/enregistré par Jérôme Rio (ça ne s’invente pas). Sur l’un des stickers qui accompagnent le disque, un Claude François grossièrement détouré fait des gros doigts au spectateur, on n’en attendait pas moins de CHROMB !, qui lorsqu’il dépose son costume de super-héros cosmique et azimuté, reprend sa vie de Christiane pour courir à la Poste manger des colis qui ne lui sont pas destinés. Simple et loufoque. L’équation idéale en quelque sorte.
Incontournable.
3ème partie de ce bilan et peut-être bien la tranche idéale pour jeter une oreille ailleurs qu’en direction des tâcherons sempiternellement mis en avant par ceux qui n’écoutent de la musique électronique "expérimentale" qu’une fois l’an, les Arca, OPN et autres Actress dont les dossiers de presse sont plus riches en concepts philosophico-fumeux que les (...)
CHROMB ! reste fidèle à lui-même tout en ayant bien changé. Moins drôle, faussement, plus dense, assurément.
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