CHROMB ! - 1000
CHROMB ! reste fidèle à lui-même tout en ayant bien changé. Moins drôle, faussement, plus dense, assurément.
1. Des Francis En Quinconce
2. Bobby
3. Favrice
4. Le Tombeau Est Vide
5. Bonjoure
6. La Nuit Des Madames
7. Die Krabben Leben Noch
8. Il En Fallait
« Bonjoure »,
Bien sûr, comme à notre habitude, nous sommes légèrement à la bourre. Celui-là tournicote et tournicote encore d’environ à peu près partout (maison, voiture, maison → boulot, voiture → boulot, boulot → maison, voiture → maison) et depuis quasiment autant de temps, pour ne pas dire souvent. Il s’immisce et il s’insère puis finit par remplir quelques cases dont on ne savait pas qu’elles habitaient notre boite crânienne. Enfin, si, les précédents (I et II) s’étaient déjà chargés de les révéler mais comme 1000 se montre un peu différent, on n’est pas sûr du tout qu’il s’agisse des mêmes. Oh, ce n’est pas non plus un changement drastique ou une mutation radicale mais de prime abord, on se dit quand même que CHROMB ! a bien changé. Qu’il s’est assagi. Ou qu’il est moins frontalement loufoque. Qu’il a dilué son génotype fondamentalement surréaliste en y insérant de grosses doses de mélancolie. Mais bien sûr, rien n’est pas aussi simple. Ici, on ne se la joue pas clown triste parce qu’on n’est ni l’un ni l’autre et qu’on a peu faire des clichés.
Les clichés, on les tord, on les réduit en miettes et on les reconstruit comme on veut en n’oubliant pas d’oublier comment on a fait. En ça, on reconnaît immédiatement les Lyonnais. Des titres des morceaux à la pochette du disque - toujours superbe, toujours signée Benjamin Flao - il ne fait aucun doute qu’on tient « le corps de CHROMB ! » entre ses doigts. Et à l’écoute, c’est un peu pareil finalement. Des Francis En Quinconce à La Nuit Des Madames en passant par Le Tombeau Est Vide, on retrouve le goût prononcé du quartette pour la pataphysique et l’iconoclaste. D’ailleurs, on ne sait toujours pas très bien ce qu’on écoute : Jazz ? Muzak ? Prog ? RIO ? Souffle punk salvateur ? Équations mathématiques ? Orthographe zheul sciemment défaillante ? Sans doute tout cela en même temps, voire plus encore. Pourtant, encore une fois, un truc a changé. Peut-être est-ce l’absence d’un tube aussi irrésistiblement loufoque que Le Colis sur le précédent par exemple ou bien l’arrivée de l’ubiquiste Léo Dumont (Kouma, Polymorphie, Pixvae entre autres) en lieu et place de Guillaume Gestin derrière la batterie ? On n’en sait rien. En tout cas, c’est sûr, CHROMB ! n’est plus le même tout en n’étant pas non plus radicalement différent.
Mais bon, arrêtons de tourner autour du pot : et la musique dans tout ça ? Elle est toujours aussi irrésistible. Toujours aussi entraînante. Flippante. Savamment déconstruite. Clairement réfléchie. C’est toujours du grand n’importe quoi sans l’être le moins du monde. À son écoute, on rigole et on réfléchit. C’est aussi abstrait que spontané et on est toujours soufflé par la capacité phénoménale de CHROMB ! à sauter du coq à l’âne en réussissant in fine à retomber sur ses pieds. Les synthétiseurs sont en surchauffe permanente, tracent savamment un chemin que les autres instruments ont tôt fait d’effacer. La basse bégaie ses motifs, l’alto taille sa route parfois avec tous les autres, parfois esseulé et le piano élégant peuple nombre d’interstices. Et puis il y a la batterie, tantôt caressante tantôt bourrue. Et surtout les voix. Posées ou hystériques, elles participent pour beaucoup à la gestuelle saugrenue du quartette. Qu’elles soient Belles Des Champs sur Le Tombeau Est Vide ou plus ordinaires sur le merveilleux Bobby, on n’arrive pas à s’en détacher sans être non plus obnubilé par elles.
Tout a sa place et tout est à sa place et c’est bien en cela que l’entropie de CHROMB ! se montre paradoxalement très ordonnée. Pour preuve, le dantesque La Nuit Des Madames, remake chrombien de celle des Masques de Carpenter sur plus de dix minutes qui commence comme un hommage pour se transformer insidieusement en bloc de transe aux soubassements technoïdes parfaitement hypnotiques. Il faut entendre comment chacun, par petites touches, finit par monter sur les autres pour aboutir à l’acmé. Et puis il y aussi Die Krabben Leben Noch qui vient juste après, deux fois plus court, deux fois plus ténu et introspectif. Ou encore le merveilleux Il En Fallait, épopée de poche qui se déploie dans toutes les directions, multipliant les trajectoires tout en étant arc-bouté sur sa répétition, alternant moments pianistiques esseulés et très denses passages cinoques aux chœurs étranges. Le morceau s’arrête puis repart. Puis s’arrête et repart encore, répétant mille fois (je n’ai pas compté) « Il en fallait » pour atteindre la folie d’un MoHa ! pourtant à mille lieux de CHROMB ! Mais on pourrait ainsi citer et décrire tous les titres : certes, il n’y a pas de tube mais finalement, c’est bien tout l’album qui en est un.
Après deux disques gémellaires, le groupe a infléchi son paradigme tout en restant passionnant. On le savait déjà, maintenant on en est sûr : avec CHROMB ! on ne sera jamais déçu.
« Au Revoire » mais à très vite.
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