Destroyer - Kaputt
Tel un enfant à l’imagination sans limite et auquel on aurait offert une boîte de crayons de couleur flambant neufs, Dan Bejar n’en finit plus de réinventer le petit monde de Destroyer.
1. Chinatown
2. Blue Eyes
3. Savage Night At The Opera
4. Suicide Demo For Kara Walker
5. Poor In Love
6. Kaputt
7. Downtown
8. Song For America
9. Bay Of Pigs (Detail)
Dieu lui-même (Dan Bejar ?) vous dira qu’on ne savait pas à quoi s’attendre avec Kaputt. L’EP Archer On The Beach nous avait d’abord fait envisager la possibilité d’une direction plus ambient en novembre dernier, avant que les déclarations du Canadien ne viennent prétendre à la continuité d’inspiration glam rock des deux opus précédents avec l’influence de Bryan Ferry et de Roxy Music proclamée haut et clair sur le papier. Autant dire que l’on anticipait plus ou moins un retour au son de Destroyer’s Rubies, un soupçon de méditation instrumentale sur la fin avec l’intro du déjà fameux Bay Of Pigs révélé par l’EP du même nom en 2009 et le tour serait joué. Oui mais voilà... Dan Bejar n’est jamais vraiment où on l’attend, et peut-être encore moins que d’habitude avec ce neuvième album en tout juste 15 ans.
Ainsi Kaputt, loin de vouloir nous mettre KO, ambitionnerait plutôt de réenchanter le petit monde de la pop post 80’s. On se souvient des Pet Shop Boys et de la gueule de bois new wave d’un Behaviour aussi lumineux que mélancolique, des débuts de The Blue Nile au songwriting feutré et au sens de l’espace inédits pour l’époque dans la pop synthétique, ou encore du fabuleux And She Closed Her Eyes de la Suédoise Stina Nordenstam et de son idéal discret de dream-pop jazzy aux arrangements intangibles, trois monuments d’impressionnisme demeurés sans véritable suite... jusqu’à aujourd’hui.
Car si le glam du songwriting par nature flamboyant du co-leader de Swan Lake et des New Pornographers a forcément laissé des traces sur ces chansons sans complexe, les envies de luxuriance ambient du natif de Vancouver prennent quant à elles une direction tout à fait différente de celles que l’on avait entraperçues sur ses récentes collaborations avec Loscil (aka Scott Morgan, par ailleurs batteur, saxophoniste et auteur de l’instrumental final sur Rubies ) et Tim Hecker dont on ne retrouvera effectivement ici les drones résolument contemporains qu’en ouverture de Bay Of Pigs. Dès Chinatown, dont les accords acoustiques rêveurs s’éclairent au contact de nappes électro éthérées et d’un saxo aux errances délicieusement rétro, c’est de fait à la confluence des années 80 et 90 que s’ancre d’emblée l’album avant même l’entrée en scène de ces rythmiques métronomiques et dansantes chères à New Order (cf. Savage Night At The Opera).
Plus loin, avec le sublime Suicide Demo For Kara Walker (collaboration avec la plasticienne du même nom dont Bejar nous révèle la genèse ici), passée une intro particulièrement onirique, le beat se fait plus disco mais tout aussi propice au ballet easy listening et néanmoins parfaitement élégant de claviers nostalgiques, cuivres aux échos synthétiques et autres arrangements de flûte aux charmes désuets, tandis qu’au second plan une guitare façon Talking Heads impose peu à peu son groove discret pour venir dynamiter l’ensemble tout en douceur. Une guitare que l’on doit à Nic Bragg, seul musicien réchappé du line-up des albums précédents outre la paire historique David Carswell / John Collins à la production, avec également Ted Bois sur la version vinyle dont le claviériste à l’influence prépondérante sur le son du beau Trouble In Dreams signe les 20 minutes inédites insérées entre Song For America et Bay Of Pigs.
La recette est à peu près la même sur Kaputt, merveilleux single et véritable manifeste de cet hommage poétique et brumeux à un âge où la musique sous ses allures de cocon d’insouciance se contentait d’une atmosphère et de quelques touches discrètes pour évoquer en creux le spleen des âmes solitaires ou des amoureux délaissés, en témoigne notamment le chant plus mesuré que jamais du Canadien, toujours parfaitement à mi-chemin de la lassitude et de l’émerveillement. Qu’il s’agisse ici de choeurs et contrepoints féminins volontairement distants ou d’allusions politiques rapportées à la crise du couple, à l’image de cette épopée cotonneuse à tiroirs que constitue Bay Of Pigs en guise de morceau de bravoure final, tout relève ainsi sur Kaputt de la psychanalyse et du rêve, un terreau d’expression idéal pour l’écriture imagée de Bejar qui prend vie dans cette vidéo aux multiples possibilités d’interprétation, ultime métaphore d’une musique qui à l’unisson des mots qui l’habitent n’avait jamais été à ce point évidente et dans le même temps profondément insaisissable :
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