A Tribe Called Quest - People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm
Je vous parle d’un temps où le groove cosmique d’un hip-hop débonnaire flirtait avec la coolitude du jazz lounge, des musiques latines et des bandes originales de films d’exploitation des années 70. Un temps que les moins de vingt ans peuvent toujours apprendre à connaître si l’envie leur en prend en découvrant la trilogie inaugurale des New-yorkais A Tribe Called Quest récemment reformés, initiée en 1990 avec le fabuleux People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm, et habitée par la personnalité et la voix uniques de leur leader Q-Tip.
1. Push It Along
2. Luck Of Lucien (feat. Lucien Revolucien)
3. After Hours
4. Footprints
5. I Left My Wallet In El Segundo
6. Pubic Enemy (feat. DJ Red Alert)
7. Bonita Applebum
8. Can I Kick It ?
9. Youthful Expression
10. Rhythm (Devoted To The Art Of Moving Butts)
11. Mr. Muhammad
12. Ham’N’Eggs
13. Go Ahead In The Rain
14. Description Of A Fool
1990, le Queens, New-York. Alors que le gangsta rap bat son plein, le hip-hop perdant peu à peu sa signification contestataire, les MC’s Q-Tip et Phife Dawg, le producteur DJ Ali Shaheed Muhammad et leur ami Jarobi White déclenchent une petite révolution philosophique, humoristique et pacifiste. Avec People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm, exit en effet les montagnes de dollars et les grosses bagnoles pleines de "bitches", les histoires de deals et de règlements de comptes. Non, ici on cause plutôt nature humaine et amour des femmes, problèmes sociétaux et chroniques de la vie quotidienne, avec sérieux ou dérision, mais sans jamais se départir de cet esprit de réunion amicale intimiste et doucement festive que l’on retrouvera l’année suivante sur certains morceaux du Blue Lines de Massive Attack.
Et alors que Public Enemy invente de son côté la musique du futur en ouvrant Fear Of A Black Planet à des couches finement ciselées de guitares funky, de samples abstraits, de drones et d’électronica impressionniste, A Tribe Called Quest s’amuse à sampler George Clinton et Lou Reed (l’ouverture acoustique de Walk On The Wild Side sur l’emballant Can I Kick It ?), les Beatles et les Isley Brothers, Stevie Wonder et Jimi Hendrix avec ce premier album gargantuesque et d’une richesse inouïe qui, dans la continuité des chefs-d’œuvre inauguraux de leurs compatriotes De La Soul - membres comme eux des Native Tongues, collectif new-yorkais de hip-hop jazzy pacifiste et afro-centriste proche de la Universal Zulu Nation et comptant également dans ses rangs les Jungle Brothers ou encore Lucien Revolucien, rappeur français qui pose ici sa voix sur le bien-nommé Luck Of Lucien - et des Londoniens Stereo MC’s, tous deux parus l’année précédente, termine de faire entrer groove et pop dans un hip-hop ouvert aux quatre vents, mais surtout fait renouer le genre avec des racines jazz, soul et funk qu’il avait parfois mises de côté pour le meilleur, mais bien trop souvent oubliées pour le pire. Avec son kaléidoscope de dessins naïfs aux couleurs chaudes, la pochette de l’album symbolise d’ailleurs à la perfection cet esprit d’expérimentation candide, sans autre prétention que le plaisir des oreilles et au passage un peu d’éducation des masses, après tout ça peut pas faire de mal.
People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm, encensé par la critique à sa sortie, ne connaîtra pourtant pas un succès immédiat. Il faudra attendre l’année suivante et le deuxième album du groupe, The Low End Theory, pour qu’A Tribe Called Quest commence véritablement à susciter l’intérêt des amateurs de hip-hop, et quelques années encore pour que cet engouement laisse place à la passion d’une nouvelle génération de fans, conscients de l’influence qu’eurent les new-yorkais dès leurs débuts sur des musiciens divers et variés, de Massive Attack donc (qui n’a jamais caché son admiration pour le groupe et lui piquera même la rythmique d’I Left My Wallet In El Segundo pour le Daydreaming de Blue Lines ) aux Chemical Brothers (qui convieront Q-Tip à chanter sur l’ouverture éponyme de leur cinquième album sorti en 2005, Push The Button ) en passant par toute une nouvelle scène hip-hop américaine nourrie à l’abstract, au jazz et à la pop (Blackalicious, Jurassic 5...).
Dès ce deuxième album, avec le départ de Jarobi White - qui sur le précédent faisait office de Monsieur Loyal en animant les transitions et que l’on ne retrouvera pas moins régulièrement aux côtés de ses collègues en tournée -, le groupe se resserrera autour de Q-Tip, Phife Dawg et DJ Ali Shaheed Muhammad pour se diriger vers une fusion entre hip-hop et abstract jazz, plus minimaliste mais particulièrement ample et aboutie dans sa production, ouvrant la voix au label Mo’Wax de James Lavelle qui lancera notamment, quelques années plus tard, le grand DJ Shadow. Une abstraction métaphysique que l’on sent poindre dès l’ouverture baroque de People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm avec ses cris de nouveau-né sur fond d’envolée électro cosmique - symbole de l’importance d’une vie dans l’univers, cadeau improbable du hasard, fragile et précieux - et que l’on retrouvera d’une manière différente dans la construction de Midnight Marauders avec ses messages de transition annoncés par une voix féminine robotisée. Sorti en 1993, ce troisième opus également de haute volée verra le groupe aborder plus ouvertement les thèmes de la violence sociale et de l’éducation, avec davantage de sobriété mais sans se départir de l’inspiration funky des débuts.
Ayant révélé au passage avec ces deux albums l’agaçant Busta Rhymes, néanmoins supportable dans ses featurings réguliers pour le groupe qui continueront jusqu’à sa dissolution, A Tribe Called Quest signera trois ans plus tard une nouvelle réussite dans l’esprit de People’s Instinctive Travels And The Paths Of Rhythm avec le sous-estimé Beats, Rhymes And Life, certes moins inventif mais superbement produit, avant de terminer sa carrière en 1998 sur The Love Movement, album-concept sans prétention abordant avec humour et trivialité l’amour, le sexe et leur représentation dans le hip-hop, lequel par manque général de relief et d’originalité malgré quelques sommets nourris à la soul et au r’n’b demeurera tout de même largement en retrait dans la discographie des New-yorkais. Toutefois, suite à la reformation du trio pour une série de concerts l’an dernier, Phife Dawg annonçait tout récemment qu’un nouvel opus était bel et bien prévu pour honorer leur contrat de six albums avec Jive Records, mais qu’évidemment les trois compères, partis en solo dans l’intervalle avec plus ou moins de réussite, prendraient tout leur temps, soucieux de ne surtout pas démériter au regard de leur discographie passée. Espoir, quand tu nous tiens...
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