Drôle de truc, ce Radio Alice. Tout autant compilation de l’underground bruitiste transalpin qu’hommage à une station de radio très très libre qui commença à émettre le 9 février 1976 depuis un grenier de Bologne avant de s’éteindre (une première fois) le 12 mars 1977 lorsque les Carabinieri firent irruption dans ledit grenier, détruisant tout le matériel et arrêtant toutes les personnes présentes : la mort d’un étudiant, la veille, après de violents affrontements entre manifestants et la police, avait entraîné un climat protestataire extrêmement tendu dans la ville de Bologne. L’intervention de l’armée dans le centre de la ville déclencha de rudes émeutes et Radio Alice, en plus d’en rendre compte, se chargea de donner en direct des informations sur les déplacements des forces de police pendant les affrontements. Le ministère de l’Intérieur décida alors et sans surprise de réduire la station au silence.
Pour la petite histoire, elle recommencera à émettre dans les jours suivants grâce à l’aide des autres radios de Bologne mais cet épisode marquera la fin symbolique de cette expérience qui se poursuivra jusqu’en 1981 sans la spontanéité et l’innovation des débuts toutefois. En effet, créée à l’origine par les animateurs du groupe culturel A/traverso, le collectif de Radio Alice prônait la transformation du langage radiophonique traditionnel et se définissait comme une station « mao-dadaïste ». Influencée par les théories des avant-gardes artistiques et poétiques d’Antonin Artaud et de Vladimir Majakovskij, la radio cherchait à transformer les schémas conventionnels de la communication radiophonique afin de faire émerger « le langage de la vie quotidienne, de la vie vraie ».

Bref, une vraie tranche de vie politique de ces années-là par là-bas, Radio Alice ; d’où cet hommage initié par Andrea Stillacci, co-fondateur de l’agence de publicité Hérézie (comptant quelques mastodontes parmi ses clients, c’est cocasse) et passionné de musiques industrielles. Faisant appel à ses contacts, il convie Xabier Iriondo (guitariste d’Afterhours et Buñuel), Paolo L. Bandera (du trio milanais de ritual-ambient Sigillum S), Maurizio Iorio et Stefano Falcone (bassiste et batteur de Distorsonic), Stefania Pedretti (d’OvO), Anna Bolena (aka G.A.Z.A.) ou encore Giulia Parin Zecchin (aka Julinko, voix du groupe ambient-doom Bosco Sacro) à laisser libre court à ce que leur inspire l’histoire de Radio Alice.

Ça donne un très chouette album, certes aride et mystérieux, mais totalement envoutant. Parcourus de samples de voix d’époque (notamment celles entendues lors des malheureux événements de mars 1977), les morceaux se tendent et se rétractent, déploient un tapis grouillant parcouru de shrapnels industriels qui lacèrent une surface tantôt tranquille (la fin de Shattered Reality) tantôt sauvage (Il Crollo Del Cielo, comme du Buñuel tronqué) et tout le temps pénétrée et hantée (ACAB ou Fantasmi Interrotti).
Les approches sont diverses mais l’ensemble se révèle pourtant très homogène et on ressent bien, me semble-t-il, ce que pouvait être Radio Alice : terre à terre tout autant que fantasmagorique (l’ultime Alice E Le Onde Eterne Delle Fine), ironique, poétique, politique et philosophique (et tout un tas d’autres trucs en -ique).

Derrière le rouge de la pochette se cache une belle tranche de musique fureteuse que je ne me lasse pas d’explorer.