À une entrée près, l’autodistribution aurait pu constituer un autre thème commun à cette sélection, mais non, il s’agit bien, avant toute autre chose, de beat tapes. Tout particulièrement à l’honneur ici et parce qu’ils le valent bien, le collectif provençal Spice Programmers avec pas moins de 3 sorties sur les 6 pépites choisies pour illustrer cette facette instrumentale du hip-hop, trop peu mise en avant d’une manière générale par les publications musicales.

 Brycon - The Shape of Things That Went (Autoproduction, 14/06)

Alors que se profile pour mi août un album entier avec son compère des There’s No More Room in Hell (cf. le #9 ici par exemple), The Architect, il était grand temps de vous toucher un mot du dernier opus en date de l’excellent Brycon, d’autant que le Californien est peut-être bien ici à son sommet de sampling épuré, déroulant avec autant de classe que d’inventivité - et presque sans beats - ses ambiances cinématographiques, entre tension rétro aux contrepieds baroques (B-Temple, Knives/Guns), groove cuivré (Palm Bay, FL), pop psyché (Please, Don’t U Ever) et lyrisme anachronique désarmant comme du Crookram (le merveilleux Love U Like). Un album qui joue autant sur ses qualités texturées et une répétition de motifs hypnotiques parfois presque ambient (Corporate Holiday, Murkya, Rain’ll Fall U) que sur la légèreté des choeurs célestes et autres arrangements à la Burt Bacharach pour mieux nous happer dans son irrésistible imaginaire plunderphonics.

 Spice Programmers - E131 (Autoproduction, 26/03)

On vous en avait touché un mot à l’occasion de la sortie de la superbe beat tape Unexpected Dig Pick de Gari Pi (qui a déjà donné lieu à une suite tout aussi réussie sur le même concept mêlant instrus et morceaux rappés à base d’acapellas pitchés de rappeurs plus ou moins connus), Spice Programmers c’est LE nouveau collectif à suivre en termes de beatmaking hip-hop inventif et classieux... mais pas que : pour avoir pu jeter un oeil à la guest list de leur prochain opus, les collaborations avec des MCs ricains initiées par Transatlantic Shit l’an dernier vont bientôt passer à la vitesse supérieure. En attendant, retour au tout-instru avec cette collection de "jazz loops, remixes & beats" dixit nos Provençaux, et si l’on ne sait pas vraiment qui fait quoi cette fois, le plaisir est au rendez-vous d’un bout à l’autre de cet E131, 24 morceaux tous sous la barre des 2 minutes convoquant un jazz polymorphe (tantôt free, fusion ou easy listening) aux ambiances rétro, passé à la moulinette de leurs beats au cordeau (voire parfois plus déstructurés) mâtinés d’électronique discrète et d’effets bien balancés.

 icbm - D​é​coupages (Autoproduction, 28/05)

On reste du côté des Spice Programmers avec l’un des nombreux contributeurs du collectif, icbm, pour sa part non pas Provençal mais Bordelais, que l’on avait pu découvrir sur un titre de l’excellente tape Spice Program vol. 3 et qui avant de nous régaler en début d’été via la friandise 02​/​07 avec le rappeur français Fleyo (dont certains beats deep et futuristes évoquaient l’univers de feu Def Jux), lâchait cette belle série d’instrus sur le Bandcamp des copains. Les D​é​coupages du titre, vous l’aurez compris, ne se limitent pas à l’artwork et à son drôle de collage maximaliste mais président aux télescopages de ces 16 morceaux cinématographiques aux rythmiques abstract et aux arrangements saillants avec un accent tout particulier sur les cuivres (Get Ready !, 63.546 u), déclinés en une belle variété d’atmosphères capables d’alterner tension (Ouch, Submit), anticipation dystopique (Surströmming, Caoutchouc), romantisme désuet aux sonorités 80s (People, Collection Printemps Eté ou encore le très Vangelis Chains), menace sourde aux sonorités de film noir (Hitman) et groove malmené au scalpel (B Team, Wesh Coast et surtout le joliment déglingué Téléchômage).Un must.

 The Koreatown Oddity - Wabbit Season (Autoproduction, 26/04)

Excellent rappeur indé passé notamment par les labels Stones Throw et Leaving Records (l’écurie de MatthewDavid), The Koreatown Oddity est également producteur à ses heures et même un as du collage sonore, comme en témoigne sa série de 12 albums sur les signes astrologiques chinois démarrée en 2012 et à laquelle ce Wabbit Season met fin en beauté. Enchevêtrant samples de cartoons, boom bap et loops acoustiques latines ou folk, ou encore musique à synthés dystopique des années 80, jingles pour enfants et soundtracks horrifiques ou tribaux, cette nouvelle cassette fait honneur à l’esprit lo-fi et bricolé des précédentes et stimule l’imaginaire à l’instar d’un mix de Cut Chemist ou d’un album de The Books.

 Rose Noir - Beat Tape 01 (Alpha Pup, 5/04)

Révélation du label californien de Daddy Kev cette année après s’être fait remarquer des amateurs de hip-hop onirique via deux belles productions pour R.A.P. Ferreira sur l’excellent EP 5 to the Eye with Stars de 2022, Rose Noir est un beatmaker parisien influencé par la library music (Brooks) et le hip-hop 90s (High, Bingo) mais aussi le genre de beats syncopés que promouvait Alpha Pup au même titre que Brainfeeder à la grande époque du glitch-hop (Bambino). On retrouve ainsi sur Beat Tape 01 ce petit côté bancal des plus réjouissants (Cowboy), et un usage assez systématique du cut-off (Differentak) et autres distos gondolées (ça sent d’ailleurs la SP-404 à plein nez, cf. A Little Sick ou Fleurette), via 8 instrus abstract aux effluves cinématographiques et au groove maîtrisé.

 Lo_Eye - Phone Beats 2 (Autoproduction, 2/08)

Enfin, on termine cette série avec l’uns des beatmakers-maison des susnommés Spice Programmers, auteur d’une paire de titres sur chacun des deux derniers Spice Program. Le bonhomme a la particularité de composer sur son téléphone et le résultat, déjà bluffant sur le premier Phone Beats lâché mi-mai avec ses trente minutes de beats emboîtés au feeling lo-fi - là aussi très SP-404 dans l’esprit comme dans le son - et au lyrisme assez irrésistible semblant s’écouler en un souffle, gagne encore en substance et en liberté sur ce 2e volet papillonnant allègrement entre groove décalé, rétrofuturisme, envolées soul, batucadas ébouriffantes et melting-pots funky aux textures passées. Du tout bon !