Le Réveil des Tropiques - Festival ’Restons Sérieux’, Supersonic (Paris)
le 14/07/2018
Le Réveil des Tropiques - Festival ’Restons Sérieux’, Supersonic (Paris)
Une drôle de nuit que celle de ce 14 juillet au Supersonic, orchestrée par un "festival beau et bizarre de la musique française à contre-courant", Restons Sérieux, dont on avait eu tôt fait de capter la généreuse dose d’ironie avec d’un côté la venue du trublion surdoué de la pop de chez nous, Bertrand Burgalat (le 13, malheureusement on n’y était pas) et de l’autre des affiches aussi délirantes que bancales où des pointures scéniques telles que Le Réveil des Tropiques ou Jean Jean côtoient des projets plus ouvertement "amateurs" que lo-fi ou do it yourself (genre, Cachette à Branlette), d’autres sévèrement racoleurs qui n’ont d’indé que leur poignée de followers sur les réseaux (genre, Posterboy Machine, en mode "la variété pseudo new wave des années 80 c’était trop bien") ou les deux à la fois (genre, Rape&Revenge).
Mon objectif de la soirée, avec le passage de Jean Jean programmé une bonne heure après la fin des RER, c’est donc Le Réveil des Tropiques, qu’on aime beaucoup à IRM (la preuve ici ou, me concernant, surtout là). J’arrive un quart d’heure en avance pour un début de set prévu à 22h45 mais FORCÉMENT c’est le concert des Spagguetta Orghasmmond, aficionados des orgues bontempi et des chansons d’amours italiennes en mode tous à poil dans le jacuzzi, qui vient tout juste de débuter... avec trois-quarts d’heure de retard. Comme prévu, les groupes d’enterrement de vie de garçon torse poil et cravate autour du front c’est pas vraiment ma came, mais le public adore et se dandine au premier rang sur les boîtes à rythme ultra-cheap et les beuglantes de plagiste en marcel du chanteur, je vous laisse visionner ce "tube" pour vous faire une idée du carnage. Il paraît que certains attendaient impatiemment la venue à Paris du trio belge qui communique en italien comme ma grand-mère fait du roller, moi au risque de passer pour un snob (mais tout est relatif hein, on est tous le snob de quelqu’un), j’aurai surtout attendu qu’ils laissent la scène à des gens qui font de la vraie musique (désolé...).
Place donc aux Parisiens du Réveil des Tropiques, qui n’ont en commun avec la plupart des autres groupes de la soirée qu’un nom à coucher dehors (en toge plutôt qu’en slip panthère, c’est déjà ça) et qui, s’ils ne sont pas toujours des plus sérieux et c’est tant mieux - en particulier le rouquin dégingandé de Casse Gueule, Matthieu Philippe de l’Isle d’Adam, qui délaisse volontiers ses machines pour aller slammer dans le public la flûte au bec - savent bien au moins qu’entre qu’entre Popol Vuh et Papayou - ou entre Neu ! et neuneu, ça marche aussi - il y a bien plus de 50 nuances de régression.
Et celle que le groupe a choisi, en particulièrement sur son récent et génial Big Bang dont on reconnaîtra notamment ce soir-là au gré des 3 morceaux pour une quarantaine de minutes semi-improvisés des bouts de l’épique Hypernova, du groovesque Effet Casimir et du kosmische Synchrotron (avec, si j’ai bon, un passage par le déchaîné Sigirîya, morceau le plus vénère d’un éponyme relativement feutré), c’est la transe, celle de crescendos denses et hypnotiques qui doivent autant au krautrock qu’au psychédélisme, au space rock, à la noise et j’en passe.
Encapuchonné jusqu’au yeux, le grand ordonnateur Stéphane Pigneul donne le ton d’emblée, à la basse mélodique et tendue quand il ne joue pas à chat perché sur la batterie, tandis que Frédéric D. Oberland, leader de bien d’autres formations remarquables (d’Oiseaux-Tempête à FareWell Poetry - avec le même Pigneul au line-up à chaque fois - en passant par The Rustle of the Stars) et ici un peu plus en retrait (et plus sobre que ses compères), la joue décontracté sur la gauche de la scène avec sa chemise... tropicale, alternant, dans le background sonique des morceaux, dissonances guitaristiques et claviers dronesques.
Derrière les fûts sinon, on a le métronomique Arnaud Rhuth capable de belles digressions syncopées, en seconde gratte Adrien Kanter (moitié de Trésors) qui touche aussi du synthé - la scène en compte quatre en tout en plus d’une armada de pédales à effets - et donc Matthieu Philippe de l’Isle d’Adam, complice de ce dernier au sein d’eddie135, aux bidouillages analogiques et hurlements sporadiques dans le micro durant les climax.
Le tour de force du Réveil des Tropiques, d’autant plus à passer après l’after bourré de mariage tropézien de Spagguetta Orghasmmond, c’est d’user de ses constructions savantes pour mettre les corps dans un état second, à mesure que le tempo durcit et que les couches de guitare s’empilent jusqu’au vertige.
Pas de déception donc pour les dilettantes du public venus faire la fête au moment exact du feu d’artifices, les premiers rangs continuant même tant bien que mal de s’agiter tout en restant en phase avec les montées possédées du quintette, qui s’entrecoupent parfois de belles cassures de rythme où la froideur kraut quasi motorik laisse place à un groove plus psyché ou heavy avant que la machine ne reprenne de plus belle là où elle s’était arrêtée, jusqu’à l’explosion finale, lorsque la transe devient trop épileptique pour être soutenue.
On n’en dira pas plus, il faut vraiment le vivre pour en ressentir la portée mais ce qui est certain c’est que les Parisiens ont démontré ce soir la redoutable efficacité d’une formule désormais taillée pour le live, où les atmosphères enfumées d’un Jérusalem ou d’un Antibes passent au second plan d’un redoutable rouleau-compresseur tribalo-teuton, à mi-chemin entre folie maitrisée (Pigneul lui aussi s’en donne à cœur joie, cf. la photo ci-dessous) et attaque de panzers en formation serrée. Énorme !
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