uKanDanZ - Awo
Sur Awo, uKanDanZ montre les crocs sans se défaire de son groove imparable. Un manifeste d’Ethiopian Crunch Music, rien de moins.
1. Tchuetén Betsèmu
2. Lantchi Biyé
3. Endé Iyérusalem
4. Gela Gela
5. Sèwoch Men Yelalu
6. Ambassel To Brussel / Wubit
7. Yene (CD bonus track)
De l’entame à la toute fin, Awo ne se dépare jamais de son groove nucléaire. Saxophone en fusion (Lionel Martin), batterie cinglante (Guilhem Mercier de PoiL) , basse (Benoit Lecomte, déjà croisé chez Ni) et guitare (l’incontournable Damien Cluzel repéré chez Kouma, Polymorphie et Pixvae) barbelées cisèlent des morceaux incandescents. En soi, c’est déjà remarquable mais uKanDanZ ne se résume pas qu’à ça car au-dessus se meut en plus la voix hypnotique d’Asnake Guebreyes. Hypnotique car pétrie de circonvolutions disloquées, qui plus est prolongées par une gestuelle. C’est bien tout le corps qui agit et les ondes puissantes qu’il génère ont tôt fait de pénétrer l’épiderme de l’auditeur et de mener celui-ci vers une transe plombée. L’impact de tout ce petit monde est bien réel. Élastique et fuselée, la pulsation caoutchouteuse rebondit dès la sortie des enceintes et semble ne jamais vouloir cesser son mouvement, ça tabasse impitoyablement mais c’est aussi plein de finesse et ça donne envie de secouer autant la tête en levant bien haut l’index et l’auriculaire que les pieds. Toutefois, Awo ne saurait être résumé par sa puissance de feu, il y a aussi beaucoup à dire du côté des compositions dotées d’une énergie peu commune, empruntant tout autant à la musique traditionnelle éthiopienne qu’à l’éthio-jazz. C’est bien ce qui fait d’Awo un disque à part. Loin d’être un rubik’s cube où les couleurs restent cantonnées sur leurs faces alors même qu’elles font partie d’un même objet, ou restent ce qu’elles sont une fois éparpillées parmi les autres, ici, ça se nuance, ça se mélange et ça invente des teintes inédites. Aucun équivalent dans les nombreux volumes des Ethiopiques par exemple (qui de toute façon ne résument pas toute la musique éthiopienne) mais aucun équivalent non plus dans le noise-rock. Comme si chacun, au contact des autres, jouait autrement ce qu’il porte et d’où il vient tout en restant fondamentalement ce qu’il est.
Awo est une belle part d’Afrique gonflée de tension et de frénésie sans qu’à aucun moment on ne sente uKanDanZ en colère, le disque s’écoute d’une traite et plusieurs fois de suite. Difficile de rester de marbre devant cette collection de morceaux agiles, lourds et chauds. On en connaissait déjà certains, présentés sous une autre forme sur le 7" Lanchi Biyè/Endè Iyèrusalem mais les nouveaux suivent exactement le même chemin : débordants et intarissables, ils explosent souvent ou ménagent quelques enclaves apaisées au sein desquelles le chant ondulant de Guebreyes prend les rênes. Tout le temps généreux, Awo explose en mille couleurs mordorées : Tchuetén Betsèmu en ouverture et sa guitare en fusion lançant ses banderilles soniques sur le caoutchouc généreux de la basse, Lantchi Biyé qui poursuit l’explosion, le ténu Gela Gela plus loin sur la face A qui n’est pas sans rappeler les explorations de The Ex et Gétatchèw Mekurya le temps d’un Moa Anbessa d’anthologie, lamento extrêmement tendu aux pas rebondis et virevoltants. Un Sèwoch Men Yelalu furieux pour commencer la face B, un Ambassel To Brussel plus mélancolique et contemplatif pour la refermer, laissant le chant s’élever en complaintes déchirantes au-dessus d’un parterre plombé recroquevillé sur sa basse. Qu’elle soit massive ou plus retenue, la musique emporte tout avec elle et il s’avère extrêmement difficile de s’en défaire, pris au piège des lignes abstraites et géométriques de la pochette rouge et bleue. Des motifs qui deviennent hypnotiques une fois que leur rosace se met à tourner. Le groupe se montre à l’aise quel que soit le relief qu’il érige : plat ou fracturé, il ne se dépare jamais de sa puissance et de sa majesté. Le saxophone décrit une trajectoire racée, la guitare assène quelques coups de massue bien sentis quand elle ne choisit pas de se placer en retrait, la batterie adhère aux circonvolutions de l’ossature, la basse tapisse tous les recoins et le chant reste imperturbable et habité.
On voit bien qu’uKanDanZ s’est durci depuis Yetchalal, moins d’ornementations et de fioritures, plus de lignes droites à même de pulvériser l’obstacle. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il a perdu en finesse, loin de là. Il en faut pour passer de pics en abysses sans jamais se défaire de son groove singulier, à tel point irrésistible qu’il pourrait faire danser les morts. uKanDanZ ne sacrifie rien sur l’autel de l’efficacité et reste profondément ce qu’il est, au plus près de l’équilibre idéal entre dissonances, fractures et volutes éthiopiennes. Un beau mélange fuselé, tout à la fois chaud et plombé, à la palette chromatique sidérante.
Grand disque.
Awo paraît conjointement sur Dur & Doux, Bigoût Records (au format vinyle), Buda Musique – Ethiosonic (au format CD) et Atypeek Music (en digital). À noter que la version CD s’agrémente d’un titre supplémentaire, Yene au même niveau stratosphérique que les autres, que l’on pourra se procurer en utilisant le coupon de téléchargement fourni s’il l’on préfère le vinyle.
2015 est déjà bien moribonde et on n’aura probablement jamais fini d’en faire le tour. Pourtant, difficile de ne pas déjà lorgner vers 2016. En effet, dans quelques mois (le 12 février) sortira Awo, nouvel album d’uKanDanZ, quintette enthousiasmant porté sur le métissage musical. Né de la rencontre entre Asnake Guebreyes, chanteur vibrant et (...)
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