Girls Pissing On Girls Pissing - Scrying In Infirmary Architecture
Avec Scrying In Infirmary Architecture, Girls Pissing On Girls Pissing atteint le parfait équilibre entre délicatesse et brutalité. Son post-punk reste froid mais sort de l’ombre petit à petit. Qu’importe, là aussi, il irradie.
1. A Failed Exorcism
2. The Twelfth House
3. A Fraud, Abroad
4. Pollen Moon
5. Darwinning
6. Scrying
7. Ceramic Miscarriages
8. Rainbow Islands
9. Scissoring
De guingois et patraques, les morceaux de Girls Pissing On Girls Pissing sonnent toujours aussi singuliers. Une vibration morbide les habite, même lors des passages lumineux d’ailleurs légèrement plus nombreux qu’à l’accoutumée. Un atavisme presque. Quoi qu’elles fassent, les Girls sont attirées par le noir qui, dès lors, assombrit les enluminures et nuance le jaune éclatant de subtiles touches de gris. Les pulsations de la basse ne s’emballent jamais et préfèrent adopter la démarche chaloupée d’un éléphant qui rejoint son cimetière, la guitare ne se porte pas beaucoup mieux, ses arabesques dissonantes semblent être au bout du rouleau tout en griffant le cortex d’estafilades profondes. La voix hésite entre diction contrite et cri aliéné, elle non plus ne va pas très bien. Claviers et cuivres pourraient fournir un peu de chair à l’ensemble mais ils choisissent de se tenir en périphérie : leurs apports - pourtant déterminants - recouvrent l’ensemble d’un voile discret, presque impalpable qui joue un grand rôle en parant les morceaux d’une aura fantomatique. À les regarder comme ça, ces pisseuses ne paient pas de mine. Comment expliquer alors qu’elles soient à l’origine de soubresauts si vifs sous l’épiderme ? C’est que le supposé ectoplasme n’en est pas du tout un. Sa fragile ossature se déploie sur des fondations autrement bétonnées. Un soutènement qui apparaît enfin au grand jour sur Scrying In Infirmary Architecture : la pulsation furieusement post-punk et le bruit partout accompagnent des morceaux sacrément bien écrits. C’était déjà le cas avant mais cette fois-ci, Girls Pissing On Girls Pissing positionne son curseur pile-poil entre construction et dislocation et ce nouvel équilibre révèle alors toute sa densité. Elle affleurait par intermittence jusqu’ici, elle inonde aujourd’hui la moindre parcelle d’un album passionnant. À son écoute, on en vient souvent à gratter nos hématomes mais pas seulement, des enclaves plus solaires permettent de reprendre son souffle et d’entrevoir le bout du tunnel. Plus de variété que par le passé donc, des différences subtiles d’éclairage et de matité bien qu’au final, le souffle glacial perdure.
Le froid inonde encore une majorité de morceaux, toujours hantés par la voix cathartique et des arrangements incisifs derrière leurs atours fatigués. La doublette d’ouverture reprend les choses là ou le split avec Looks Like Miaou et les livraisons précédentes les avaient laissées. Les Banshees et Pere Ubu jamais loin, un post-punk au cordeau porté par d’étranges cris et une guitare titubante. C’est tout à la fois moribond et énervé, triste et sinueux. La scansion martiale de Failed Exorcism annonce celle de The 12th House et ça appuie sur l’occipital pour atteindre le cerveau et ne plus en bouger. C’est à ce moment-là que Girls Pissing On Girls Pissing assènent A Fraud, Abroad, le gros morceau de Scrying In Infirmary Architecture : une mélodie à tomber, une mélancolie diffuse, un entre-deux hésitant entre le solaire et le poisseux qui s’agrafe immédiatement aux neurones. On ne s’en relèvera pas. Les claviers dégueulasses et les cris dérangés de Pollen Moon, la totale dislocation de Darwinning ou les banderilles psychiques du bien nommé Scissoring plus loin peuvent bien nous marcher sur la gueule, on reste subjugué. Il y a une alchimie vraiment particulière à l’oeuvre là-dedans. Les Néo-Zélandais ne caressent jamais dans le sens du poil, se montrent méchamment retors en ménageant des espaces accueillants au cœur de leurs structures les plus pelées ou bruitistes (Scrying et son refrain addictif) ou au contraire en balançant nombre d’échardes et d’accrocs dans leurs plus jolies dentelles (Rainbow Islands et son curieux saxophone). On ne sait jamais trop sur quel pied danser mais on continue à se trémousser quoi qu’il en coûte, le plus souvent le cœur au bord des lèvres et les larmes au coin des yeux. Écorchée, viscérale, renfrognée mais aussi joliment accorte, la musique de Girls Pissing On Girls Pissing souffle en permanence le chaud et le froid, se perd faussement pour nous perdre complètement.
On ne dira pas que le groupe a franchi un palier - il partait déjà de haut - mais nul doute qu’avec celui-ci, il expose ses entrailles et met en avant son caractère fondamentalement schizophrène. En repassant ses contours au charbon noir, Girls Pissing On Girls Pissing expédie son post-punk bruitiste et écorché dans les limbes mais y ajoute ce qu’il faut de mélodie et de joliesse pour qu’une fois arrivé là, on ne puisse voir que lui.
Magistral.
Une demi-douzaine de participants à notre future compilation Twin Peaks se cachent dans ce bilan d’un mois de mars surchargé et on l’a même pas fait exprès. Saurez-vous les retrouver ?
Un titre à rallonge auquel on ne comprend pas grand chose, dix-huit morceaux allant de l’opaque au nébuleux, Girls Pissing On Girls Pissing poursuit sa route tortueuse. Et hypnotise plus que jamais.
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