Battles - La Di Da Di
Pour son troisième album, Battles semble s’engager à la fois dans la continuité du précédent album et dans un retour en arrière vers ses toutes premières productions. Ce qui se perpétue et s’accentue, c’est cette élaboration savante de compositions instrumentales complexes, répétitives, polyrythmiques, parfois baroques, d’autres fois plus contemplatives. Ce qui manifeste un retour en arrière, c’est la suppression des voix, rappelant comment le groupe avait marqué les esprits par sa virtuosité instrumentale dans ses EPs C et B, ovnis aujourd’hui cultes et indispensables pour comprendre la trajectoire de la formation new-yorkaise. Ces créations datant de 2006 respiraient une créativité et une énergie indomptée que l’on est en droit d’attendre des nouvelles productions de ses auteurs. La question est donc de savoir si ce nouvel album perpétue ce souffle ou témoigne d’une asphyxie. Il est à craindre, cependant, que cette chronique ne permette pas d’y répondre.
1. The Yabba
2. Dot Net
3. FF Bada
4. Summer Simmer
5. Cacio e Pepe
6. Non-Violence
7. Dot Com
8. Tyne Wear
9. Tricentennial
10. Megatouch
11. Flora Fauna
12. Luu Le
Depuis le départ du musicien Tyondai Braxton, parti faire des expérimentations en solo, le trio composé de John Stanier, Ian Williams et Dave Konopka n’avait proposé qu’un album où l’on pouvait regretter, après coup, l’absence de ce quatrième membre. C’est alors qu’ils s’étaient greffés un membre artificiel : le looper. Cette petite machine permettant de répéter à l’infini une boucle de guitare, de synthé ou de basse est devenue, pour le groupe, un instrument à part entière, devenant même sa marque de fabrique. La répétition a permis de donner sens au jeu métronomique de John Stanier. Bien que la batterie soit leur seul instrument qui ne nécessite pas d’alimentation électrique, Stanier la fait sonner comme s’il s’agissait d’une machine. Avec sa frappe robuste, offrant un timbre toujours égal, et ses rythmiques syncopés qu’on pourrait croire maladroites, il crée un trouble chez l’auditeur. Alors qu’il permet l’articulation entre l’organique et l’inorganique, entre l’incarnation de l’interprétation musicale et la désincarnation des sonorités électroniques, il désincarne au maximum sa présence. C’est ce qui rend la musique de Battles si froide. Elle semble programmée, comme la manifestation d’un algorithme. C’est ce qui lui vaut son caractère mathématique. Et c’est aussi ce qui explique que l’on puisse recevoir ce nouvel album comme une œuvre sans âme. Comme un jet sans génie, un produit formaté, une marchandise. Et le visuel acidulé de la pochette semble confirmer cette tendance à l’abstraction, à l’amalgame dégoûtant de douceur et d’acidité mêlées pour contenter les palets sans finesse.
Pourtant, on peut considérer cette image comme une mise en abyme de leur musique : une apparence clinquante au service d’une profondeur cachée. C’est à cette profondeur que nous souhaitons introduire l’auditeur, en passant en revue les titres de ce La Di Da Di, tout en laissant ouverte la possibilité d’admettre qu’une profondeur qui ne se laisserait jamais saisir peut être, tout simplement, une absence de profondeur...
The Yabba avait annoncé, quelques semaines avant la sortie de La Di Da Di, la tonalité de cet album. Encore plus électronique que les précédents, il met les sons de synthé au devant de la scène. C’est autour d’eux que s’articulent les différents moments de ce morceau. Celui-ci progresse en intégrant peu à peu le rythme avant de laisser place à un gouffre, en son cœur, qui marque le véritable début de l’assaut. Cet assaut n’est toutefois pas des plus convaincants au sein même de ce titre. Il parait plutôt accumuler les effets qui rappellent l’esthétique du groupe sans rien offrir de véritablement nouveau, ni même un recul critique par rapport à cette esthétique. Il faudra attendre un peu avant d’être vraiment convaincu.
Avec Dot Net, Battles justifie sa place sur le label Warp. Le morceau fait la part belle aux sonorités électroniques à la mode, un peu saturées mais sans plus, sans véritable mélodie mais tout de même assez agréables pour émoustiller le jeune hipster désœuvré. Son jumeau, Dot Com, flirte même avec le mauvais goût, avec son ouverture techno, sa mélodie grotesque et son ambiance de fête foraine. On pourrait s’arrêter à ces démonstrations un peu vaines de branchitude presque vulgaire. Il faut toutefois remarquer que le trio prend un malin plaisir à les exécuter. On sent qu’ils se plaisent à utiliser, avec ironie, des sonorités désuètes et à emprunter à des styles méprisés des codes qu’ils déconstruisent. Ils s’amusent encore sur le groovie FF Bada, lui aussi très représentatif de l’esthétique Battles avec ses chinoiseries suraiguës, ses delays de guitare, et ses synthés que l’on croirait empruntés à Stevie Wonder (ça, c’est plutôt une nouveauté cependant !). Le comble de la blague est atteint sur Megatouch. C’est cette fois des jeux vidéo vintage qu’il tire son atmosphère, à partir d’une sorte de reggae nébuleux. Plutôt que de décrier un opportunisme, ou un manque d’idées, il faut plutôt rire avec Battles de ses inventions extravagantes, de ses pieds de nez admiratifs à la culture populaire.
On pourrait regretter aussi qu’avec les années, le math-rock organique de Battles se teinte tant de mélodies pop et devienne si accessible (jingles d’émissions, illustration sonore de publicités, utilisation par des jeux vidéos...). Moins onirique, c’est vrai, la musique de Battles ne s’appauvrit pas pour autant. Peut-on dénombrer toutes les idées de timbres, de rythmes, de mélodies, d’harmonies qu’ils arrivent à placer dans un seul morceau ? FF Bada, par exemple, est indescriptible. Il est comme un ver entrant dans un tunnel et trouvant, à chaque nouvelle avancée, des ramifications inattendues. Les morceaux se construisent sur une idée mélodique, accumulent les couches de sons, bâtissent des pyramides harmoniques et se heurtent à des ruptures, donnant l’occasion de faire émerger des figures inédites.
Cette fuite en avant que l’on peut identifier n’est donc pas si évidente. D’une part, parce que leur recours à la pop est toujours complexe et ironique. Ensuite, parce qu’il s’appuie sur un fondement élaboré de longue date. C’est cette fameuse paire d’EPs publiée il y a bientôt dix ans. Il revient ici avec les intermèdes Cacio e Pepe ou Tyne Wear, qui semblent comme des esquisses de morceaux, comme des éléments de travail, mais qui rappellent la véritable identité du trio. Summer Simmer illustre aussi parfaitement ce retour aux origines. On ne se plaindra pas, d’ailleurs, de la disparition de la voix qui avait fait des concerts de Battles d’étranges cérémonies où les figures des chanteurs hantaient le fond de la scène sur des écrans identiques pour habiter la diffusion impersonnelle de leur voix. Cette disparition laisse une plus grande place à l’abstraction, à des moments ouverts, sans réelles directions. Cela remet le groupe en chantier, et on ne peut que s’en réjouir.
Enfin, sur le côté désincarné, froid, voire inexpressif de la musique de Battles, on peut dire, d’une part, comme on l’a dit, que cela se justifie, que c’est ce que cherche à faire le groupe en imitant la musique électronique. On peut aussi le contester. Car Battles sait mettre un souffle lyrique dans ses compositions lorsqu’il le veut. Non-Violence est à cet égard un des grands moments de cet album. Le thème est prenant et la section rythmique le soutient avec une intensité égale jusqu’à l’épuisement. Tricentennial est un autre de ces beaux moments, à la poésie muette. On peut percevoir enfin quelque chose de très cinématographique qui se dégage des interventions de la guitare. Comme une réminiscence des films de Sergio Leone, de grandes plaines sableuses se dessinent, un homme seul dans un grand manteau beige élimé. Le colt au ceinturon, la clope au bec.
Il y a donc bien une âme qui s’exprime dans ce corps froid. Et il semble que cet organisme ait encore de beaux jours devant lui.
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