Le streaming du jour #1068 : Damon Albarn - ’Everyday Robots’
Introspectif et ouvert sur le monde, humble et ambitieux, épuré mais foisonnant d’arrangements inventifs et de détails de production capables de transformer la grisaille du quotidien en féérie sous les tropiques (Mr. Tembo), Everyday Robots est bien la merveille qu’on attendait en vain depuis 10 ans de la part de l’auteur de Think Tank : le chef-d’œuvre d’un globe-trotter au talent et au coeur bien trop grands pour tenir dans la panoplie du parfait petit brit-poppeux efficace et inoffensif que les fans du Blur des 90s auraient voulu ne jamais le voir quitter.
Éclat romantique, poétique, parfois surréaliste et toujours humaniste à l’excès d’une beat generation débarrassée des oripeaux hippies de ses héritiers musicaux de l’époque (cf. le sample de Lord Richard Buckley qui ouvre un morceau-titre au spleen électro-orchestral terrassant), Everyday Robots sous ses atours désarmants d’évidence est en effet loin de caresser les indie kids dans le sens du duvet. Exit les petits hymnes électriques d’antan, adieu l’électro un peu bling-bling des derniers Gorillaz et ce goût douteux pour le hip-hop west coast, la synth pop 80s et le r’n’b 70s qui avaient assuré le succès mainstream du kitschissime et ultra-décevant Plastic Beach, ce premier véritable album solo rebrousse chemin et poursuit dans la voie du fabuleux dernier album de Blur, déroulant des chansons majestueuses, audacieuses et racées qui empruntent à tous les courants musicaux (chamber pop, électronica, folk, negro spiritual, jazz, field recordings, musiques du monde) sans en revendiquer aucun à l’image du parfait Lonely Press Play :
A l’instar de la voix d’Albarn plus radiante que jamais de sagesse et d’espoir (cf. The Selfish Giant avec Bat For Lashes aux harmonies), ces chansons-là troublent, ensorcèlent ou transpercent de leur insondable mélancolie, de quoi faire tomber les défenses du plus blasé des déçus de la pop britannique de ces 15 dernières années. Renouant avec l’élégance mélangeuse des grandes heures du trip-hop, on n’entendra sûrement pas plus beau cette année - et d’ailleurs qui oserait en rêver ? - qu’un You & Me partagé entre grâce rétro-futuriste, easy-listening tourmenté et tristesse infinie de l’automne d’une relation ; plus détaché des contingences terrestres que le séraphique et rassurant Hostiles cherchant la réconciliation tout là-haut dans la stratosphère ; plus insondable en format pop qu’un Hollow Ponds au twist final vertigineux ; plus classieux que Photographs et son break de piano à la McCoy Tyner rendant hommage à John Coltrane entre deux beats sans fond avant d’achever les récalcitrants à coups de cordes effilées.
Et que dire du gospel moderne de Heavy Seas Of Love emballé par les chœurs du Leytonstone City Mission Choir et le chant de dandy d’un Brian Eno dont la seule présence (agrémentée de quelques synthés vintage fort bien dosés) incarne cette identité de passeur entre la pop et l’avant-garde que Damon Albarn endosse pleinement ici sans avoir l’air d’y toucher ?
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