Electric Electric + Chausse Trappe + Seal Of Quality - Le Petit Bain (Paris)

le 20/03/2013

Electric Electric + Chausse Trappe + Seal Of Quality - Le Petit Bain (Paris)

Leur deuxième album, Discipline, largement salué par la critique a fait d’Electric Electric une figure majeure de la scène noise française. Avec ses petits copains de La Colonie de Vacances, ils sont devenus d’infatigables mercenaires de l’underground courant les lieux indépendants partout où les villes ou les campagnes en disposent. Ce mercredi 20 mars, ils étaient au Petit Bain. Toujours bien avisé lorsqu’il s’agit de créer l’événement, le lieu avait aussi programmé Chausse Trappe et Seal of Quality pour une soirée exigeante et homogène, placée sous le double signe du noise et de la transe. Compte rendu.

La fosse laisse encore de grands espaces libres quand Nico de Seal of Quality s’installe derrière ses machines. On se demande si une telle présomption de qualité n’est pas un peu risquée... Ce mec-tout-seul-band se réfère en fait au sceau d’or apposé sur les jeux vidéos pour assurer qu’ils sont bien le fruit de la firme Nintendo. C’est l’A.O.C. du gamer en quelque sorte. Adepte du LSDJ de Johan Kotlinski, ce français produit sa musique à partir de deux GameBoy connectées à une table de mix. Le logiciel LSDJ est une sorte de 4-pistes à l’étroite variabilité timbrale qui permet tout de même de programmer des rythmiques et plusieurs lignes mélodiques simultanément. J’ai vu quelque part qu’on pouvait parler de GameBoy music, je privilégierai plutôt l’expression geek-rock, pour la blague. Et quand la totalité des sons est soumise à une saturation généralisée, comme chez Seal of Quality, allons y pour du Nintendo Core. Moins death et moins trash que Horse the Band, la référence du genre, on reconnaît cependant l’influence.

Entre chaque morceau, le bonhomme, un peu flippant, tripote ses consoles. Il pianote de temps en temps sur un clavier midi qui ajoute du synthétique à la texture déjà particulièrement digitale de sa musique. Sur sa guitare, il multiplie les effets jusqu’à faire fondre ses arpèges au sein des mélodies pré-programmées. D’autres fois il s’emballe lors de solos chevaleresque où on le voit se prendre pour un Guitare Héros de jeu vidéo, un Link en slim qui aurait troqué son cimeterre contre une stratocaster. La voix, lorsqu’elle n’est pas truffée de vocoder, ce qui fait toujours son petit effet surprenant en live, ose des refrains presque emocore (à la Glassjaw, par exemple) ou carrément genre punk californien. Très curieux. Mais allez quand même écouter, ça vaut son pesant de bits...

Seal of Quality quitte la scène alors que le Petit Bain se remplit franchement. Dans le fond de la salle, à moitié planquée sous l’escalier, je repère une faune inhabituelle. Les sac-à-dos Eastpack remontés jusqu’aux épaules, les hauts de survêtements fluos, les cheveux gelés, les baskets pleines de marques, pas de doute, c’est du lycéen. Leur agitation impatiente manifeste la médiocrité du plaisir que leur procure leur présence. Je comprendrai plus tard qu’il s’agissait d’une sortie scolaire. Drôle d’idée comme sortie. Originale certes, mais bizarre quand même. Et ça donnait un étrange caractère à l’ambiance de la soirée. Pas déplaisant cela dit. Ça change.

Pendant ce temps, le groupe suivant s’est installé sur scène. C’est Chausse Trappe, un quatuor qui vient de Nantes. À droite, de profil, il y a le batteur, plutôt décontract ; et face à lui, le reste. C’est-à-dire, un violoniste – qui restera dos au public jusqu’au bout – et deux basses ! Chelou.
Un set qui commence par un cri dans un violon ne peut pas être mauvais, selon le principe de Gustavson. Alors forcément, Chausse Trappe se met le public dans la poche avec une telle ouverture. Sur la base d’une répétition ad libitum de la même note par les deux basses, le premier morceau annonce la couleur Krautrock de leur musique. Le batteur avance, tout droit, tout seul, imperturbable, il groove. Le violon de son côté, à l’aide d’une multitude de pédales, surfe sur une vague de larsens. Puis vient la montée en puissance. On ne change pas de note, mais on augmente l’intensité. Pas trop compté, mais la chose a dû durer entre 5 et 10 minutes. Ok, plutôt pas mal, voyons la suite...



Le deuxième morceau s’ouvre sur de nouveaux larsens, des glissandos stridents, encore le violon qui fait des siennes avec un des deux bassistes, qu’a pris une guitare (qu’est guitariste du coup !). Ce moment bruitiste dure un moment, puis les deux autres se regardent et commencent la répétition interminable d’une même note à la basse accompagnée d’un coup de cloche synchronisé. Ça dure. Ça dure vraiment. Il ne se passe rien et pourtant la tension monte. Les deux autres qui n’ont rien à faire se jettent des coups d’œil complices, patientent. Dans le public par contre, on s’impatiente. On entend un « allez ! » comme à Rolland Garros quand on se fait chier. Ça les fait sourire. Ça dure tellement que ça devient marrant. Ça a un côté expérimental qui n’est pas dénué d’intérêt. Oser une telle longueur en live, quand t’es pas la tête d’affiche, quelle gageure ! Le minimalisme de la séquence imprimait un silence qui, au lieu d’être pesant, était prenant. Sublime suspension du temps comme aucun poète n’a jamais su l’exemplifier par le verbe.
Comme ça fait plus de 5 minutes que les deux gugusses jouent une note par seconde, le batteur rigole : « j’ai un son de cloche de merde ». Ha... c’est ça ! Ça continue encore bien 10 minutes (sans blague !) puis l’autre basse et le violon s’intègrent progressivement. Ça monte. Transcendantal comme le Venus in Furs du Velvet. Lentement ça accélère. Et ça décolle. Le batteur a ajouté des coups de grosse caisse sur tous les temps et comme son jeu s’intensifie le fût s’avance et il doit le ramener vers lui régulièrement. Il faut dire qu’il cogne dessus en continu jusqu’à la fin du morceau (environ 25 minutes au final) qui s’avérera être la fin du set.
Leçon : comment faire beaucoup avec peu. Minimaliste et spectaculaire. À aller voir.

Les trois strasbourgeois d’Electric Electric s’installent. Beaucoup de matos. Des gros amplis. Chacun fera front au public. C’est la première et dernière ligne d’un assaut puissant...



Les débuts d’Electric Electric sont avec ceux de PVT (Pivot à l’époque) et de Foals (mais pas au-delà du premier album) et bien d’autres chez qui l’on flaire l’opportunisme, inspirés par le math rock précurseur et indépassable de Battles (là aussi, surtout les débuts, BEP et EPC ). Les courtes cellules mélodiques répétitives à la guitare, leurs emprunts aux musiques africaines, les percussions franches et saccadées du batteur qui ne s’embarrasse pas de finesse, et les compositions nappées d’une ambiance noisy formant comme le long ressac d’une vague contemplative. Avec Sad Cities Handclappers, Electric Electric est vite classé dans la case math rock, noise, voire krautrock (ce qui est plus discutable) à leur grand dam.

Parenthèse théorique sur les étiquettes (si seul le compte rendu du concert vous intéresse, sautez ce paragraphe) :
EE refuse l’étiquette « math rock ». « je crois que ça me fait plus chier qu’on parle de math rock que de krautrock nous concernant » (Vincent Robert, NewNoise #13, p. 14). Ils ont raison. Une étiquette est forcément réductrice. Leur musique va au-delà d’une simple équation saturée par, d’un côté l’intensité rock, de l’autre la complexité algébrique de mises en place exigeantes. Ils ne se réclament pas du mouvement et se comparent plus volontiers aux musiques savantes, ambiantes et expérimentales.
Mais une étiquette n’est pas une cage. Personne n’enferme un groupe dans une forme figée lorsqu’il évoque un style musical pour le décrire sommairement. La musique d’un groupe ne se résume jamais à une période vague de l’histoire de la musique (sauf cas régressifs et/ou exceptionnels). Une étiquette (un style musical, un mouvement) est une indication. Comme elle permet au consommateur carnivore peu gastronome de s’informer du contenu alimentaire de ses lasagnes industrielles, elle permet à l’amateur de musique de se faire une idée (certes vague et faible) du type de musique qu’un groupe produit. Les étiquettes sont nécessaires. Elles sont des guides sans lesquels l’univers musical contemporain resterait plongé dans la nuit. Certains cultivent l’obscurité prétextant que le langage musical et artistique en général échappe à la concrétude du verbe. Ceux-là prônent une culture ésotérique et inaccessible. Comme si une certaine frange de l’art musical leur était réservée en tant qu’ils ont développé leur oreille en l’écoutant.
Une étiquette peut être trompeuse (on l’a bien vu pour les lasagnes...). En musique actuelle, ce sont la plupart du temps les journalistes qui les collent. La perspicacité d’une étiquette dépend souvent de la culture de celui qui la colle. Plus il est savant et plus celle-ci sera efficace. Il n’empêche qu’il ne pourra jamais désigner sans manque l’amplitude stylistique d’une œuvre. Les étiquettes stylistiques sont nécessairement insuffisantes.
Ainsi les étiquettes sont nécessaires et insuffisantes. Seule la création, par juxtaposition, d’étiquettes complexes, réduira leur défectuosité. Mais la juxtaposition à outrance produit des étiquettes ridicules, qui multiplient les références et les contradictions tout en pouvant cependant être vraies, c’est-à-dire efficace. Quelle solution pour une juste classification des musiques ? Selon moi, 1. l’usage précis et parcimonieux d’étiquettes, en oubliant jamais d’en justifier l’application par la mention d’éléments exemplificatoires tirés de la musique décrite, 2. la description objective de la structure sonore désignée avec le plus de soin possible accordé à ce que la chose est et moins à ce qu’elle fait (même si cette dernière donne aussi des indications efficaces sur ce que la chose est, elle ne suffit jamais).


Plus lumineux et plus ambitieux, leur second effort est par conséquent moins brut, moins ardent. On y trouve que très rarement les riffs empruntés au hardcore de Sad Cities Handclappers, pour favoriser le développement d’une frénésie percusive et dissonante.
Entre riffs mordants, technocore et ambient violent, l’identité des strasbourgeois évolue tout en s’affirmant plus clairement. Le son d’Electric Electric adopte une permanence qui fait de leurs deux albums le fondement solide pour une œuvre remarquable.

Leur entrée en scène est accueillie par une salve de cris digne du public de Justin Bieber (en un peu plus rauque quand même). Si je me plante pas, c’est avec Summer’s Eye (ou Ulysses, j’ai un doute) qu’ils ouvrent le set. Le volume sonore de la guitare est comme il faut, passe pas inaperçu, les dissonances des machines sont agressives et le batteur rentre sans préliminaire au cœur du tribal avec une perspicace rythmique sur les toms. Dès le début, on le devine, leur musique est physique et expérimentale. Ce qui demande au public, pour que la réception se fasse dans les meilleures conditions, d’être chaud et ouvert. Ce qui n’était pas difficile car déjà conquis, prêt à hurler amoureusement : « Strasbourg » ! comme s’il en allait du risque d’annexion de la ville !
Presque tous les morceaux sont initiés par une boucle à la guitare. Il s’enregistre et c’est aux autres de le suivre. Le tempo est souvent enlevé, très élevé. Sauf quand ils produisent des interludes bruitistes, nappées d’ondes distordues et de percussions progressives. Les machines alternent entre cliquetis aigus sur les mini touches d’un mini pad, rythmes synthétiques sur les grosses touches d’un gros pad et les sons graves et saturés d’un moog. Ces derniers rappellent la filiation du trio avec Marvin, les copains de tournée avec qui il partage souvent la scène.

D’après les interviews et leur placement sur scène, on peut se faire une idée de l’ensemble psychologique que forme le trio : à gauche, il y a Eric Bentz, le sanguin autodidacte, formé à l’oreille et à la pratique, à l’origine de la dimension rock ’n’ roll du groupe, à droite, Vincent Robert, arrivé au moment de créer le deuxième album de ce qui n’était encore qu’un duo, c’est le cérébral, celui qui théorise et se justifie en invoquant Deleuze et les musiques contemporaines, sérielles et dodécaphoniques. Vincent Redel, au centre et derrière sa batterie fait le relais. Lui aussi, musicien formé à l’école se limite, trop souvent à mon goût, à une binarité minimaliste dont la fonction est d’irriguer un flux magnétique qui ne laisse inerte que les corps insensibles.
J’avoue y être un peu insensible. Tout dans Electric Electric est prêt à me séduire, mais il y a une digue dans mes goûts qui bloque l’écoulement violent du torrent transe-noise de leur musique, et je crois que c’est au niveau du rythme que ça se passe. Un manque de subtilité, d’ornements, de groove peut-être. Par exemple, le jeu de batterie dans Electric Electric est à l’opposé de celui du batteur de Chausse Trappe, tout en roulements sur la caisse claire, en finesse bien qu’ultra répétitif, avec une science du break funky irrésistible. Déjà sur album, la manière de jouer de Vincent Redel et le son de sa batterie (la caisse claire en particulier, compressée à mort, quasi synthétique) ne me plaisaient que moyennement et la prestation live n’a fait que confirmer mon opinion. Ceci dit, il n’est pas besoin d’être technique pour faire sonner. Et dans l’ensemble, il y a pas de soucis, sa sonne (même si parfois, et vraiment, histoire de faire le pointilleux, la précision rythmique et la rapidité soutenue qu’imposent les boucles de guitare sont suivies à l’arraché, à la limite du décalage... oui, j’ai eu cette impression, parfois, ça flotte...). Mais je sais pas, j’accroche pas. Je voudrais juste qu’il joue moins disco...



Pour ne pas finir sur cette note négative, rappelons qu’Electric Electric est le plus célèbre représentant d’une certaine effervescence de l’indépendance française et qu’ils le méritent sans conteste. Un groupe de scène d’une efficacité redoutable qui sait également produire des albums aboutis, ambitieux et expérimentaux, il n’en faut pas plus pour bondir de joie devant l’exception. Ils sont ceux, au sein de La Colonie de Vacances, dont le projet avait le plus de chance de dépasser les frontières de l’underground pour trouver un écho dans les sphères élitistes de la diffusion mainstream (on a pu les entendre sur France Inter, par exemple...). Plus efficace que Papier Tigre, plus intéressant que Marvin et plus abordable que Pneu (mes chouchous...), Electric Electric trace un sillon exemplaire qui ne tardera pas à faire des émules dans nos contrées. À suivre.


( Le Crapaud )

 


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