Mes années 2010, part 3/7 (par Rabbit)
Pas question ici de prétendre au meilleur de quoi que ce soit, ou à cette illusoire universalité qui sert d’excuse au conformisme ambiant : nombre de ces albums ne vous parleront pas mais certains pourraient contribuer à changer votre vie, et si c’est le cas pour ne serait-ce que l’un d’entre eux, l’exercice n’aura pas été vain. Avec un peu de recul, voici donc au gré d’une série de 7 articles mes 250 LPs préférés des années 2010, avec pour seule contrainte un album par artiste ou projet.
Précédemment : < Part 1/7 > < Part 2/7 >
Mes albums préférés des 10s - #100 à #81
100 The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble - From the Stairwell (2011)
"Pas facile à cerner ce troisième opus de l’ensemble de Rotterdam, puits de mystère dont le jazz feutré mais insidieux joue d’abord sur du velours pour mieux nous entraîner au fond de l’abîme une fois ensorcelés par le chant obsédant de Charlotte Cegarra et ses harmonies de succube, aussi envoûtantes que vénéneuses. Promis après ça on arrête avec Morricone mais l’influence du son des premiers giallos d’Argento sur les Hollandais, évidente depuis le flippant Succubus de leur projet parallèle The Mount Fuji Doomjazz Corporation, remonte une fois de plus au Maestro italien."
99. Giulio Aldinucci - Disappearing In A Mirror (2018)
"Le successeur du magnifique Borders and Ruins dont on parlait ici surpasse encore en beauté comme en intensité ses élégies de fin des temps, rehaussées de cordes poignantes (The Eternal Transition), de chapes de basses fréquences et de drones orageux (Jammed Symbols) ou encore de glitchs en apnée (The Burning Alphabet). Quant aux chœurs liturgiques, ils sont plus présents que jamais sur ce Disappearing In A Mirror qui s’intéresse cette fois plus particulièrement à la fluidité de notre notion d’identité, transcrivant les ambiguïtés qui coexistent en nous par la collision de sa tectonique de textures ténébreuses avec le même genre d’oraisons chorales qui habitaient déjà de leurs plaintes lancinantes les instrumentaux de l’opus précédent, et par moments avec les arrangements du violoncelliste Alexander Vatagin. "Il s’agit d’une réflexion sur notre situation actuelle de changement et de perturbation" nous explique Giulio Aldinucci, "et en même temps, c’est une plongée dans l’âme intemporelle de l’homme et ses paysages musicaux intérieurs". Une œuvre ambitieuse donc, mais à l’impact avant tout émotionnel et viscéral."
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98. Teebs - Ardour (2010)
"On attendait toujours une vraie révélation du côté du label Brainfeeder très en vue depuis sa création par Flying Lotus, et voilà que débarque Teebs, adoubé par Daedelus - avec lequel le jeune Mtendere Mandowa partage une certaine idée du romantisme doublée de virtuosité jazzy - et couvé par l’auteur de Cosmogramma en personne qui l’aura soutenu pendant les deux années qu’auront prises la composition et l’enregistrement d’ Ardour, premier opus qui le propulse aujourd’hui directement au côté de Take, Baths ou Shlohmo parmi les beatmakers les plus talentueux de la galaxie glitch-hop de Los Angeles. Un album magique, qui explore en 18 micro-symphonies éclatées une veine séraphique et organique dont les percussions délicatement éthérées et les syncopes cosmiques appuyées sur fond de brumes paradisiaques ou plus mélancoliques convoquent aussi bien Four Tet que Prefuse 73 ou même Apparat."
97. Jan Bang - ...And Poppies From Kandahar (2010)
Producteur norvégien réputé, à cheval entre pop, jazz et électronique, Jan Bang se fait chef-d’orchestre de ce que la scène ambient-jazz scandinave compte de plus créatif et singulier avec cet album-monde aux compositions erratiques et aux atmosphères embrumées où l’on entend notamment les onomatopées schizophrènes de la géniale Sidsel Endresen (The Midwife’s Dilemma), le spleen déchirant du trompettiste Arve Henriksen de Supersilent (Taking Life), les programmations et synthés impressionnistes d’Erik Honoré (Abdication And Coronation, avec Nils Petter Molvær aux cuivres) - qui n’a lui-même pas fini bien loin de ce bilan avec le superbe Heliographs comptant justement plusieurs titres co-signés par Bang - et surtout beaucoup de silence, lequel ne s’évapore vraiment qu’au gré du crescendo de tension de Passport Control, serpentin opiacé emmené par la guitare d’Eivind Aarset. L’album idéal pour se plonger dans l’univers de labels tels que Rune Grammofon, Hubro ou ECM, même c’est un autre grand manitou du silence et de l’impressionnisme ambient, David Sylvian, qui régale ici via son écurie Samadhisound.
96. L A N D - Anoxia (2015)
"Sortis d’on ne sait trop où, Daniel Lea et Matthew Waters nous avait déjà gratifiés en 2012 d’un petit bijou de darkjazz aussi intrigant qu’envoûtant, séduisant même David Sylvian invité à tenir le micro pour apaiser de son spleen fatigué le saxo névrotique et la tension feutrée des percussions façon Talk Talk (cf. New Grass sur Laughing Stock) d’un morceau de cet hypnotique Night Within, tout autant redevable au krautrock de Can qu’aux explorateurs de douceurs obscures du Kilimanjaro Darkjazz Ensemble. Plus tribal et noisy que son prédécesseur et toujours estampillé du label qualité de la trop méconnue écurie expé Important Records (Merzbow, Eleh, Master Musicians Of Bukkake, Nadja...), Anoxia se pare de drones oppressants aux airs de vents mauvais et ne se départit jamais de cette atmosphère anxiogène de dystopie urbaine convoquant l’indus vaudou d’un Cut Hands - pour ces rites jusqu’au-boutistes de percus métalliques sur Neutra, End Zone ou le morceau-titre - comme les circonvolutions dark ambient cryptuaires et damnées du Kreng des deux premiers opus."
95. Beastie Boys - Hot Sauce Committee Part Two (2011)
"Avec ce huitième opus aux allures d’album-somme, devenu chant du cygne suite au décès de MCA l’année suivante, nos trois New-Yorkais à la quarantaine bien tassée faisaient preuve de la même spontanéité et du même plaisir communicatif qu’à leurs débuts tout en maîtrisant leur sujet mieux que jamais (notamment en terme de production, particulièrement dense et travaillée tout en demeurant brute de décoffrage), malgré quelques fautes de goûts assumées (le poussif et vaguement dub Don’t Play No Game That I Can’t Win avec Santigold au micro qui passe pourtant tout seul au milieu du reste). Rien que du neuf mais sans rien inventer, une bonne dose de groove saturé à la Check Your Head (ça commence fort d’entrée de jeu avec Make Some Noise), une poignée de collages post-modernes qui pourraient sortir tout droit du stock funky de Paul’s Boutique (à commencer par le génial Here’s A Little Something For Ya, l’un de mes singles de chevet des années 2010), une paire d’hymnes psyché-punk dans la droite ligne d’ Ill Communication (cf. l’électrisant Lee Majors Come Again) et même quelques échafaudages cosmiques dignes d’Hello Nasty, comme quoi trois décennies de carrière dans les jambes, ça peut avoir du bon quand on a l’inspiration solide."
94. Terminal Sound System - A Sun Spinning Backwards (2013)
"Éclipsé par la lumière noire des synthés, la densité des basses opaques, le flux tendu des kicks martiaux et autres nuées d’hyménoptères zébrant l’atmosphère en essaims belliqueux, pas étonnant que le soleil de Skye Klein tourne à l’envers sur ce 11ème opus de Terminal Sound System, définitivement le secret le mieux gardé du label allemand Denovali et pour cause : jamais l’Australien ne se plie aux conventions mélodiques ou rythmiques des genres qu’il phagocyte, d’un post-rock cinématographique teinté d’électronique dont l’ambition semblait s’être perdue depuis les débuts de 65daysofstatic au dub crépusculaire des débuts dont persistent quelques vestiges sur Suns We’ve Killed, en passant par le free jazz, le doom ou le classical ambient funeste du final de Clearlight. Définitivement plombé mais paradoxalement radiant de noirceur anxiogène, le successeur de Heavy Weather sonne comme la BO élégiaque du jugement dernier... et oui, les aliens sont définitivement dans le coup."
< lire la chronique de leoluce sur DCALC >
93. Gnaw - Cutting Pieces (2017)
"Des friches post-indus rampantes de Rat aux fantasmagories marécageuses d’un Triptych qui doit autant à Coil ou à Current 93 qu’au doom, du moment que ça scie-saute, que ça larsène et que ça découpe des bouts de tympans c’est du pain béni pour le sextette new-yorkais Gnaw, et l’on n’imagine guère que The Body (cf. le martelé, harsh et tourmenté Extended Suicide, cousin de l’univers des Portlandiens) dans le paysage metal pour rivaliser avec l’insidieux bruitisme halluciné des ces missives malsaines, mutantes, malades et mélangeuses, qui versent plus ouvertement dans le metal extrême et son grunt de goblin sur Septic avant de le faire entrer en collision avec l’avant-garde psyché/noise sur Wrong puis d’en faire voler en éclats les derniers oripeaux sur le très (dark) ambient et lynchien Prowled Mary, où le leader Alan Dubin, vocaliste de feu Khanate, substitue aux cris du génialement habité Fire des chuchotements encore plus malaisants. Autant dire qu’à l’image des abstractions crâniennes belliqueuses et mortifères de sa cover, Cutting Pieces devrait vous hanter longtemps..."
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92. Jeremiah Cymerman - Sky Burial (2013)
"Du jazz vers l’enfer avec les jams étouffants du clarinettiste Jeremiah Cymerman et de son quartette de cuivres schizophrènes, le saxo Matt Bauder (Exploding Star Orchestra) et les inséparables trompettistes Nate Wooley et Peter Evans complétant le line-up de ce Sky Burial aux allures d’Apocalypse Now fait disque. Cette fois l’atmosphère fuligineuse et angoissée prend le pas sur l’exercice de virtuosité foisonnante et barrée, et c’est en post-production que tout se joue, Cymerman déchaînant les éléments électroniques sur l’instrumentation déjà cataclysmique de la petite troupe. Ainsi, basses fréquences oppressantes et martèlements caverneux résonnent lourdement dans l’antre du volcan et l’on ressort lessivé mais durablement impressionné par cette aventure aux abords de la folie, dialogue de sourds entre les sifflements névrotiques des uns et les feulements épileptiques des autres sur fond de crescendos bourdonnants et de nuées ardentes."
91. Plaster - Platforms (2011)
"Au fil des articles, on l’a comparé à Autechre, Kangding Ray ou encore Monolake, avouez qu’il y a pire mais que cela ne vous mette surtout pas dans l’idée que le duo romain manque de singularité. Basculant dans l’abstraction, la froideur et l’obscurité les plus totales après le cinématique Zyprex et ses échanges ambivalents avec le saxo mélancolique d’Ivo Papadopolus, Platforms a en effet une façon bien à lui de générer l’angoisse, sourde et claustrophobique. Une veine particulièrement ténébreuse et désincarnée que l’on peut également retrouver sur Double Connection, single inspiré par les préceptes spirituels du Canadien Eckhart Tolle et réinterprété par Zavoloka, Sturqen ou encore Dadub sur l’EP du même nom, à découvrir en intégralité du côté du label Kvitnu."
90. The Heliocentrics - 13 Degrees Of Reality (2013)
"Moins brillant et peut-être moins saisissant de génie transgressif que leur homérique Out There de 2007, ce deuxième opus du combo jazz/funk de Jake Ferguson et Malcolm Catto nous happe sans avoir l’air d’y toucher dans son flot d’abstractions droguées, privilégiant aux séries de vignettes virtuoses sous perfusion abstract hip-hop de l’album précédent la construction progressive d’une atmosphère insidieuse qui doit autant au cinéma d’exploitation qu’aux giallos italiens ou aux feuilletons sonores du BBC Workshop.
Ce qui n’empêche pas les Anglais, héritiers de David Axelrod élevés au krautrock et au psychédélisme (comme en témoigne d’emblée le downtempo Feedback aux stridences narcotiques et noisy) de nous livrer au gré de sa narration chapitrée et entre deux interludes déroutants quelques morceaux de bravoure épiques à l’image du single Collateral Damage et de ses crescendos de cordes vénéneuses sur fond de relents éthio-jazz (nous rappelant que les Heliocentrics servirent de backing band de luxe à Lloyd Miller ou Mulatu Astatke), du schifrinien Path Of The Black Sun qu’on jurerait sorti tout droit de la BO de Dirty Harry, de Wrecking Ball avec ses presque 8 minutes de groove martial et ténébreux, ou encore Vibrations Of The Fallen Angels aux faux-airs de western à l’Indienne façon Morricone meets Ravi Shankar."
89. Luke Howard - Open Heart Story (2018)
"Carton plein ou pas loin pour l’Australien dans nos pages depuis la sortie de Sun, Cloud et la découverte de son néo-classique métissé aux élans tragiques. Après une quatrième place dans mon bilan modern classical 2013 pour ce dernier, et une belle mention trois ans plus tard dans mon classement général de l’année pour le terrassant Two Places dont Open Heart Story réinterprète avec de nouveaux arrangements bouleversants de pudeur le sommet The Map Is Not the Territory, ce nouvel opus confirme le génie du pianiste et compositeur à la croisée des travaux les plus poignants d’un Max Richter pour le petit écran et de l’élégance baroque et plombée d’Arvo Pärt, avec une dimension cinématographique qui sied particulièrement bien à ce storytelling instrumental de deuil relationnel mâtiné de quelques incursions plus expérimentales (cf. les pulsations glitchées de l’impressionniste Trembling ou ces arpeggiators discrets à la fin d’In Praise Of Shadows). Caractéristique de cet album en particulier, on y trouve les morceaux les plus dépouillés du Melbournais, tel le titre d’ouverture Prelude For A Single Voice, le tristement introspectif In Metaphor, Solace, le doux Solstice, le crève-coeur Elysian Fields aux arpèges de piano baignés du bruit des touches laissé apparent ou encore le final I Still Dream About You, Sometimes But Not Always (Piano Version) sur le chemin de cette acceptation nécessaire à la guérison, mais aussi quelques-unes de ses compositions les plus denses à l’image des Bear Story, sommets orchestraux au premier mouvement rongé par un drone saturé pour mieux laisser la pureté des violons éclater sur sa seconde moitié, ou d’un Hymn fataliste aux accents morriconiens."
88. thisquietarmy - Métamorphose (2017)
"Alors que beaucoup ont mis en avant cette année-là le drone à synthés urbains et inquiétants de l’excellent Democracy of Dust au final kosmische à souhait, c’est cette Métamorphose métaphysique aux monolithes de lumière noire aussi magnétiques qu’imposants qui aura eu ma préférence, tant par l’ampleur insoupçonnée (lorsqu’on les écoute dans de bonnes conditions) de ses crescendos bourdonnants aussi minimalistes et corrosifs que ceux des meilleurs Cezary Gapik que pour l’enivrant malaise presque physique qu’ils procurent mais aussi l’histoire qu’ils racontent via leurs titres à rallonge une fois assemblés, ode poétique signée Meryem Yildiz à l’acceptation du changement et à la domestication du nouveau Soi, on ne peut mieux symbolisée par la sensation de familiarité voire presque de confort que l’on finit par ressentir à mesure que l’album déroule ses 128 minutes d’introspection aux harmonies plus ou moins abrasives, érodantes ou ascensionnelles. Déjà l’un des sommets à réévaluer de la pléthorique discographie du Montréalais Eric Quach."
87. Emika - Emika (2011)
"La Berlinoise d’adoption devait être l’arme secrète de Ninja Tune et redorer le blason du label anglais auprès des amateurs d’électro "exigeante" avec ses fusions de trip-hop délétère, de deep techno et de dubstep radical... l’anti James Blake en somme, dont les chansons à nue cacheraient cette fois un puits sans fond de sensualité ambivalente et d’introspection malaisante. Au lieu de ça, un semi-flop mais de ceux dont on félicitera encore le label dans 20 ans, le fait que le gros des hipsters - tout comme la plupart des puristes d’ailleurs - soient incompréhensiblement passés à côté donnant à ce premier album éponyme si longuement anticipé de la troublante Anglaise - qui n’a malheureiusement pas confirmé depuis à l’exception notable des instrus pianistiques du joli Klavírní - une aura d’autant plus précieuse."
86. Lawrence English - Wilderness Of Mirrors (2014)
"Marqué par le poème de TS Eliot Gerontion qui donne son titre à l’œuvre et les récentes performances live d’artistes coutumiers de l’impact physique des décibels tels que Earth, Swans et MBV, c’est cette adéquation entre spiritualité et résonance viscérale que l’Australien Lawrence English aura mis deux ans à coucher sur sillons, partant pour chaque morceau d’une pièce reflétée encore et encore sur elle même pour servir de fondations à ces denses architectures emboîtées. Élégies abyssales pour une humanité engloutie par la régression de ses progrès sociaux, ces 8 titres aux drones magnétiques agités d’infimes pulsations sismiques alternent crescendos vibrants et respirations lancinantes, et sonnent comme autant d’appels à la raison condamnés à ne trouver d’écho que dans les masses de nuages lourds qui les amplifient et les renvoient jusqu’à la stratosphère où leurs harmonies finissent par se dissoudre sans avoir trouvé récepteur."
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85. Phonal - Pinspor (2013)
"Ténébreuse, organique et constamment en mutation, l’IDM du Canadien Phonal rivalise de groove épileptique et de malaise rampant avec les abstractions somatiques des géniaux Badun ou Phoenecia. Malgré sa courte durée (33 minutes pour quatre morceaux-fleuves aux structures mouvantes faites de textures insidieuses et flottantes, de beats en liberté, de glitchs cybernétiques et de programmations fugaces), Pinspor est de ces albums dont la richesse et la complexité formelles appellent aux écoutes répétées toujours plus intriguées sans jamais rebuter l’auditeur en quête d’atmosphères étranges et dérangeantes ou de rythmiques à danser sur trente pattes en se tortillant tel un chilopode pris de convulsions. Et si Phil Thomson explique l’avoir enregistré à partir de multiples performances live et mastérisé sur de toutes petites enceintes, le résultat évoque au contraire la grandeur passée d’une IDM à la fois savante et jouissive, celle des têtes chercheuses du label Rephlex d’Aphex Twin ou des pionniers du label Warp, Squarepusher (de quand c’était bien) et Autechre en tête."
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84. Chicago Underground Duo - Age Of Energy (2012)
Passés des rangs de Thrill Jockey, label de leurs compères chicagoans de Tortoise, à ceux de Northern Spy où sévissent notamment Zs et Rhys Chatham, Rob Mazurek et son batteur Chad Taylor en ont profité pour remodeler les fondements même de leur musique, délaissant les tâtonnements minimalistes du superbe Boca Negra pour une forme de jazz autrement plus dense et métissée, qui emprunte aux musiques traditionnelles africaines autant qu’au drone ou à l’hypnotisme vintage - tantôt géométrique ou plus vagabond et narcotique - de la kosmische music. Le génial Standards des sus-nommé Tortoise a fait des petits, et ça s’entend peut-être encore plus sur l’album suivant, Locus, qui n’était pas loin de voler à Age of Energy sa place dans ce bilan.
83. The Boats - Ballads Of The Research Department (2012)
"La durée des titres aidant, de 10 à 12 minutes chacun, la musique de The Boats se fait ici plus immersive que jamais, évoluant progressivement pour distiller ses bribes de mélancolie acoustique, d’accords de piano impressionnistes en riffs de guitare solaires, de percussions scintillantes en arrangements de cordes poignants et de bois flâneurs en contrebasse ronde, au rythme de ces mystérieuses marées de drones analogiques et de grésillements balayés par le vent.
Derrière se dissimule partiellement l’héritage de Hood, groupe séminal au sein duquel Craig Tattersall fit ses premières armes du temps des fameux Rustic Houses, Forlorn Valleys et The Cycle Of Days And Seasons coproduits par un certain Matt Elliott. Ainsi, en attendant de retrouver ces boîtes à rythmes aux incursions proches de l’ambient techno sur The Ballad Of Indecision en toute fin d’album, c’est bien la dynamique d’une batterie organique aux claquements presque lo-fi qui rythme par intermittence les trois premiers titres de Ballads Of The Research Department, minimaliste et feutrée certes, parfois même échantillonnée et pliée à la volonté d’une boucle démiurgique mais à la dramaturgie néanmoins bien affirmée.
Et puis, il y a toujours ces voix dont le groupe use avec le même degré de parcimonie, décuplant leur pouvoir d’évocation : celles de Chris Stewart passée au filtre d’un effet quasi psychédélique sur The Ballad Of Failure, et de Cuushe sur The Ballad Of Indecision, dont les couplets rêveurs et caressants semblent répondre en bout de parcours à ces imposantes élégies chorales qui ouvraient The Ballad For Achievement, comme si l’auditeur au fil de sa progression en était arrivé à dépasser sa crainte de l’éternité pour toucher du doigt une certaine sérénité."
82. Nebulo - Artefact (2010)
"Tout autant redevable à Ligeti qu’à Brian Eno ou Aphex Twin, le Bordelais se rapproche surtout ici d’une esthétique à la Access To Arasaka, faisant défiler par à-coups sous nos oreilles ébahies vallées d’infrabasses, fleuves de bruit blanc, étendues de neige électro-acoustique, forêts de glitchs faussement aléatoires et crêtes numériques en vue plongeante tel que sur la pochette de cet Artefact qui sait également s’aventurer en paysage urbain pour voir passer en un éclair dans un grand flou impressionniste ces marées de fourmis et leurs bruits parasites animant dans l’anonymat les plus petits interstices de leurs dédales de béton.
Tour à tour méditatif ou frénétique, mélancolique ou ténébreux, atonal ou mélodique mais le plus souvent tout ça à la fois, le résultat est quoi qu’il soit toujours des plus vertigineux, mêlant à la perfection pure abstraction métaphysique et intensité dramatique comme dans un film de Stanley Kubrick pour élever définitivement Nebulo au niveau des plus beaux fleurons du label Tympanik Audio."
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81. PJ Harvey - Let England Shake (2011)
Plus solaire et décomplexée que jamais, la reine PJ apparaît transformée, rockeuse enflammée devenue conteuse chamanique capable de tirer le meilleur de son background électrique comme de l’expérience White Chalk plus introspective et acoustique (avec l’omniprésence ici de la fameuse autoharpe) pour nous faire partager sa vision d’un monde en perdition à la manière d’une prophétesse investie d’une mission, celle d’ouvrir par la musique la voie d’une révolution philosophique et pacifiste. Au fil des ans et des écoutes, Let England Shake s’impose de plus en plus pour moi comme le tout meilleur album de l’Anglaise (une courte tête devant Dry et To Bring You My Love) et l’habité The Words That Maketh Murder reste dix ans après l’un de mes singles favoris de cette décennie, de même que le fabuleux Written on the Forehead, sommet planant aux accents presque trip-hop.
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