Mes années 2010, part 2/7 (par Rabbit)
Pas question ici de prétendre au meilleur de quoi que ce soit, ou à cette illusoire universalité qui sert d’excuse au conformisme ambiant : nombre de ces albums ne vous parleront pas mais certains pourraient contribuer à changer votre vie, et si c’est le cas pour ne serait-ce que l’un d’entre eux, l’exercice n’aura pas été vain. Avec un peu de recul, voici donc au gré d’une série de 7 articles mes 250 LPs préférés des années 2010, avec pour seule contrainte un album par artiste ou projet.
Précédemment : < Part 1/7 >
Mes albums préférés des 10s - #120 à #101
120. Blueprint - Respect The Architect (2014)
"Le parfait exemple du classique en devenir qui s’impose au fil des ans par son évidence, son ambition et sa parfaite concision, entre déconstruction du sampling soulful à mi-chemin de DJ Premier et de J Dilla (Oh Word, Overdosin’, Once Again), petites épopées néo-blaxploitation (Respect the Architect, Bulletproof Resume) et pure grâce mélodique (Silver Lining, The Climb). Passé par Rhymesayers avec plus ou moins de succès (Adventures In Counter Culture fut même une franche déception me concernant), l’ex-affilié Def Jux et compère de RJD2 (remember Soul Position) s’est désormais réfugié sur son propre label Weightless Recordings où traîne également l’excellent Illogic, et continue d’y délivrer des sorties de qualité, même si rien jusqu’ici n’est venu tutoyer les sommets d’écriture du fabuleux Perspective, ode gospel à la tolérance, à l’empathie et au respect d’autrui dont les lyrics et leur exécution m’ont régulièrement collé des frissons comme peu de morceaux cette décennie."
< lire la chronique de Spoutnik >
119. Dictaphone - Poems From A Rooftop (2012)
"Inspirée par les protestations post-électorales iraniennes de 2009, la musique de Dictaphone est ici juchée sur les cimes à l’image des opposants au régime conservateur à tendance autocratique de Mahmoud Ahmadinejad qui montaient alors sur les toits pour y réciter des poèmes (l’un d’eux étant samplé sur le titre éponyme) et crier leur révolte à l’abri des tirs à balles réelles de la milice. Mais pour le duo allemand transfuge du label City Centre Offices, ces cimes sont celles du jazz et du glitch qu’Oliver Doerell et Roger Doering transfigurent par leurs subtils foisonnements micro-ambient et autres arrangements de clarinette marqués par les traditions moyen-orientales, les cordes lancinantes du nouveau venu Alexander Stolze apportant la touche finale à cet édifice aussi poignant qu’élégant."
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118. Jacob Faurholt - Corners (2014)
"Moins abrasif que ses sorties en tant que Crystal Shipsss mais finalement tout aussi névrosé sous ses refrains désarmants de simplicité, ce nouvel opus de Jacob Faurholt confirme le talent de cet héritier de Daniel Johnston ou Mark Linkous pour un songwriting touchant de nudité. Ainsi, il n’est jamais question d’autre chose que d’amour déchu et de mal-être existentiel chez l’auteur du schizophrénique Dirty Dancer de l’année précédente, à la différence que la voix d’écorché de notre Berlinois d’adoption se met ici au service de petits hymnes lo-fi électrisants (Oh My Love, Rock n Roll) ou parfois à demi débranchés (Girls, SH) qu’on jurerait tout droit revenus des glorieuses 90s, convoquant les mélodies désespérées mais paradoxalement réconfortantes voire faussement insouciantes des premiers Eels avec A Horse’s Head ou surtout Sing & Swing, l’intensité dépouillée des débuts de Bright Eyes ou les maux imagés de feu Sparklehorse."
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117. Seez Mics - Cruel Fuel (2014)
"Cruel Fuel, c’est d’abord le flow charismatique de Seez Mics, son goût d’un hip-hop ultra-métissé qu’on croyait perdu depuis la grande époque d’Anticon et ses chansons introspectives réveillant les démons que d’aucuns auraient préféré laisser engraisser au placard, quitte à leur abandonner l’ascendant sur leur vie. Mais Cruel Fuel, c’est aussi et surtout le tour de force d’un certain Max Bent, producteur de l’ombre qui réalise l’intégralité des instrus de l’album avec pour principal instrument... sa voix ! Un travail de beatbox tellement porté sur l’abstraction qu’on ne le remarque pas immédiatement, si ce n’est pour ces nappes de chœurs hantés qui enveloppent le disque de leur aura mystique, à l’aune des mantras existentialistes du MC. Du grand art, boosté par un premier tiers de disque particulièrement fameux."
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116. Ennio Morricone - La Migliore Offerta OST (2013)
S’il y a un cinéaste pour lequel le plus grand musicien du XXe siècle a continué de briller jusqu’à ses tout derniers faits d’armes, c’est bien Tornatore, auquel on doit tout simplement le plus beau score de l’Italien dans les 90s (La légende du pianiste sur l’océan) et les chefs-d’oeuvre plus tardifs que furent Baaria ou le bijou qui nous occupe ici, bande-son d’un thriller introspectif infiniment sous-estimé auquel le Maestro apporte tout son goût de la tragédie intimiste avec de beaux restes mélodiques de l’indépassable BO d’Il était une fois en Amérique entre deux incursions chorales ou hantées, et un sens de la mesure qui assure la cohérence d’un ensemble aussi évident à écouter d’une traite et sans les images qui l’ont inspiré que n’importe quel album classical ambient de cette sélection.
115. Deru - Torn In Two (2018)
"Avec le superbe 1979, Benjamin Wynn s’était décidé à délaisser le roulis des rythmiques au profit de soundscapes nostalgiques et cristallins où mélancolie des claviers et onirisme des synthés propulsaient définitivement le beatmaker vers un autre univers. Ce changement de cap, Torn In Two en est l’aboutissement, le déchirement du titre n’évoquant pas le moins du monde une valse hésitation entre electronica et drone puisque c’est désormais vers ce dernier que penche ouvertement la musique de Deru, plus inconfortable et ténébreuse qu’à l’accoutumée tant les stridences des synthés et autres grondements des basses y évoquent aujourd’hui un monde sur le déclin voire au bord de l’effondrement (cf. le morceau-titre).
Quelques recoins d’évasion de l’esprit subsistent malgré tout, un bien-nommé Refuge bercé par une flûte post-classique mais assailli par son lot de crépitements menaçants, ou l’élégiaque All The Kings Men avec sa coda de musique de chambre baroque, mais d’un Borders tour à tour lancinant et malaisant aux marées purgatrices d’Undertow en passant par les saturations de désolation de Our Brief History ou le tragique crescendo piano/synthés de The Overview Effect, l’heure est aux requiems pour l’Homme, ses rêves et ses espoirs de futur en couleurs."
114. Wrekmeister Harmonies - The Alone Rush (2018)
"La bataille pour nos âmes entre les forces des ténèbres et celles de la lumière qui faisait rage sur Then It All Came Down et les tourments mystiques du tout aussi doomesque Night Of Your Ascension avaient laissé place aux élégies plus épurées d’un Light Falls aux faux airs de post-rock violoneux des grandes heures de Constellation. C’est donc en toute logique que les influences metal du manitou J.R. Robinson s’évaporent encore un peu plus sur ce cinquième opus pour Thrill Jockey en autant d’années. Toutefois, Wrekmeister Harmonies n’a rien perdu de son intensité et la grand-messe d’introspection gothique à laquelle communie l’auditeur de The Alone Rush n’en réserve pas moins ses moments de noirceur des tréfonds de la conscience, du crescendo hanté du final de Descent Into Blindness aux dissonances cuivrées et saturées d’un Forgive Yourself And Let Go qui tutoie la folie pour mieux s’en extirper via une coda rédemptoire aux claviers clairs-obscurs, en passant par les cris de damnée et les synthés façon John Carpenter de Behold ! The Final Scream, sommet d’un disque dominé par la voix caverneuse du Chicagoan."
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113. Insight & Damu The Fudgemunk - Ears Hear Spears (2017)
"Grand bonhomme méconnu du hip-hop ricain, Insight donnait de la voix sur deux albums cultes et indispensable des années 2000, le I Phantom de Mr. Lif et surtout Beauty and the Beat de son copain Edan. Cette fois c’est au côté d’un inconnu au savoir-faire insolent qu’il explose à nouveau, Damu The Fudgemunk, un peu le DJ Shadow underground de cette année 2017. La verve humaniste à l’ancienne du Bostonien concurrence celle d’un Blueprint et fait des merveilles sur le généreux Rather Unique autant que sur le fataliste All Human. Ensemble, les deux compères remettent le less is more au goût du jour, un boom bap classieux aux samples fabuleux tantôt dramatiques (les cordes d’All Human ou de Never Be The Same, classique instantané qui pourrait sortir tout droit d’Illmatic avec son instru à la Large Professor) ou plus light (cf. la magie cristalline d’Aight If You Bite ou la classe soulful baroque de When Are We Gonna Get It Together) façonné par Damu via son talent inné pour la construction d’une ambiance et d’un beat avec un minimum de moyens pour un maximum d’effet."
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112. Cezary Gapik - The Sum Of Disappearing Sounds (2012)
"Sur The Sum Of Disappearing Sounds, la musique de Cezary Gapik se nourrit de glitchs, de field recordings et d’instruments préparés, méconnaissables une fois engloutis par de puissants sucs gastriques. Mais à vrai dire, à partir du flippant The Gradual Loss Of Elasticity avec ses faux-airs de Ligeti post-apocalyptique, on entend surtout le bruit du métal qui corrode en accéléré, cette matière qui saigne sur la pochette, se tord d’une douleur sourde sur un Idiomat aussi menaçant que plombé et dont les longs cris sans timbre ne font que s’amplifier à mesure que les drones sinistres du Polonais font leur office, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’os sur Still, No Beginning, And..... Without End. Et de l’os de métal, ça ressemble un peu à un synthé de John Carpenter sans la mélodie, le genre de son parfaitement approprié pour accompagner la fin de toutes choses.
Appelez-ça de l’isolationnisme vorace, en référence au terme avancé par Kevin Martin du temps de God ou des premiers Techno Animal, ou du "dépressionnisme abstrait" comme Cezary Gapik aime lui-même à qualifier ses instrumentaux d’une opacité sans fond qui engluent lentement mais sûrement telles d’immenses marées noires toute forme de vie environnante. Mais si une chose est certaine, c’est que vous n’en sortirez pas avec l’envie de manifester de l’amour à votre prochain."
111. Ben Chatwin - Staccato Signals (2018)
"Particulièrement cinématographique et futuriste tout en restant fidèle au goût de l’Écossais pour les nappes organiques et les arrangements poignants de véritables instruments (cordes, piano et cuivres en tête), Staccato Signals est une symphonie de pulsations craquelantes, d’orchestrations stellaires et de synthés analogiques vastes comme l’orbite d’une planète, une bande-son pour la naissance, la vie et la mort de notre univers dont les flots d’émotions épiques aux temporalités multiples seraient le contrepoint idéal aux images de Terence Malick s’il se mettait à la science-fiction. Ça pulse et ça respire, c’est le cœur même de l’univers qui bat dès l’aurore astrale du vaporeux Silver Pit, et si le lyrisme est constant, culminant sur une intro aux reflux orchestraux terrassants, il sait épouser la dynamique du film imaginaire que Ben Chatwin projette sur les rétines de notre subconscient, à l’image d’un Helix tout en crescendo de tension bourdonnante, zébré de cordes dont la fièvre ne se répand jamais vraiment."
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110. Picore - Assyrian Vertigo (2011)
"A la croisée d’un drone-rock lancinant aux relents indus enfumés et d’une noise tribale évocatrice de civilisations décadentes consumées par leur propre ambition malade, Assyrian Vertigo fait des ambitieux Lyonnais du label Jarrings Effects, attendus au tournant après 5 ans d’absence, les dépositaires d’un monument de tension martiale au souffle proprement inouï, érigé sur les ruines encore fumantes d’un krautrock délétère et d’un jazz opiacé. Un disque-monde qui ne vous laissera pas indemnes."
109. Scout Niblett - It’s Up To Emma (2013)
Exit Steve Albini, celle que l’on comparait depuis ses débuts à PJ Harvey, Shannon Wright, Cat Power et consorts s’est prise en main pour livrer son album le plus intense et dépouillé à ce jour, aux affleurements orchestraux d’autant plus poignants qu’ils naissent on ne sait trop comment d’un blues-rock désertique prenant bien soin de camoufler ses bleus à l’âme et sa fragilité sous une morgue électrique minimaliste et névrosée. Parmi les sommets de ce sixième long format, Can’t Fool Me Now et My Man avec leur violons crève-cœur, le dépouillé Gun ou encore une reprise aussi réussie qu’inattendue du tube Scrubs de feu TLC, si-si vous savez, ce girls band de la fin des 90s que tout le contemporary r’n’b et le rap mainstream féminin d’il y a 10, 15 ans s’efforçaient de pomper sans lui arriver au mollet (palme des plagiats les plus ratés à Beyoncé et ses Destiny’s Child)... une preuve supplémentaire du goût de la Britannique après ses collaborations avec Will Oldham sur l’opus précédent.
108. JK Flesh - Posthuman (2012)
"Presque trente ans de carrière dans les jambes et pourtant Justin K. Broadrick les a toujours bien campées dans le béton et la fange, aux avant-postes des agitateurs de la "musique extrême". Après le hip-hop avec Techno Animal, la noise sur Greymachine ou le shoegaze électronique pour Pale Sketcher, c’est au tour du dubstep et de la drum’n’bass d’être laissés pour morts dans une ruelle sombre, molestés à coups de rangers et de barre de fer. Massif et martial, violent et vicié, ce premier opus de JK Flesh est justement à la croisée des trois projets sus-mentionnés, le tout enrobé d’une bonne grosse chape metal indus circa Godflesh. Post-humain, forcément."
< lire la chronique de leoluce sur DCALC >
107. Ryuichi Sakamoto - Async (2017)
"Confrontant sa prise de conscience d’une inéluctable mortalité suite à un cancer de la gorge qu’il a combattu pendant 3 ans, le père spirituel du classical ambient, maniant ici synthés cosmiques (Stakra), percussions lancinantes (Tri) et discordances angoissées des violons (async) évoque la nature éphémère des plaisirs et des expériences que l’on s’imagine à tort répétables à l’infini (Fullmoon, scandé en plusieurs langues sur fond de stridences digitales par une palanquée d’artistes amis dont Bertolucci, pour qui Sakamoto avait composé la magnifique BO du Dernier Empereur il y a près de 30 ans déjà, et Alva Noto avec lequel il multiplie depuis Vrioon en 2002 les collaborations électro-pianistiques), se remémore avec mélancolie sur le radiant Solari ses rêves d’un futur désormais menacé, mène une marche du condamné dans une campagne hantée sur Walker, dépeint le déclin de la vie qu’un acide vient ronger goutte à goutte au piano préparé sur le bien-nommé Disintegration ou confie à David Sylvian le soin d’en célébrer l’essence sur l’onirique Life, Life au spoken word poétique. Quant au poignant néo-classique d’Ubi zébré de blips froids évoquant quelque respirateur artificiel et surtout le tragique Andata, l’un des morceaux de notre année 2017 irradié de tristesse et de regrets que Fennesz phagocyte de ses métastases dronesques sur fond d’orgue aussi poignant que dépressif, ils sonnent comme autant de rappels à profiter des grands bonheurs et des petits joies que l’existence nous offre avant qu’il ne soit trop tard."
106. Randall Dunn - Beloved (2018)
"Membre des très mystiques et mélangeurs Master Musicians Of Bukkake et ingé-son renommé, Randall Dunn n’a besoin de personne pour nous embarquer dans de fabuleux voyages mentaux aux majestueux paysages lunaires et ravagés.
Pour Ambarchi et O’Malley, le New-Yorkais tenait les claviers sur l’halluciné Shade Themes From Kairos aux impressionnants crescendos de tension hypnotique et d’errance cauchemardée. Un album avec lequel ce Beloved a plus d’un point commun, si ce n’est qu’il s’avère encore plus magnétique dans ses textures et ambivalent dans ses influences, capable de mêler ambient vocale au chant planant, déstructurations électroniques et incursions free jazz sur le fantasmagorique Something About that Night avant de décliner sur les 9 minutes ésotériques de Theoria : Aleph un dark ambient de purgatoire pour cordes capiteuses et chœurs synthétiques gutturaux.
Cette ambition libertaire, le line-up du disque s’en fait le reflet, du génial clarinettiste jazz/ambient Jeremiah Cymerman sur deux titres à l’Islandais Úlfur Hansson (guitare). Quant à Randall Dunn, ses synthés analogiques aux textures mouvantes et organiques contribuent tout autant à donner chair à ces méditations sur "l’angoisse, la paranoïa, différentes nuances d’amour, différentes prises de conscience de la mortalité". Un chef-d’œuvre de musique expérimentale accessible et captivante."
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105. Wizards Tell Lies - Lost King, After You (2017)
"Ce Lost King, After You voit l’Anglais revenir aux sources de l’occultisme qui irriguait son premier album éponyme ou encore l’EP The Occurrence (cf. le martial et larsenisant The Damned Procession) tout en explorant des contrées inédites, du darkjazz sur l’intrigant - et inquiétant - Tinderbox Night Dogs (The Vision) à la no wave doomesque d’Arrow Bee’s Backwards Mirror, batterie en roue libre et cuivres mystiques en avant. Textures saturées aux radiations malsaines (Cursed Paths), distorsions organiques et souffles démoniques évocateurs de quelque abominable engeance en quête d’un en-cas pour la nuit (le noisy They Only Come Out At Night), post-rock labyrinthique aux structures serpentines (3 Days (Alice) et son vortex final à vous sucer le sang par les tympans), ce sixième opus nous perd dans ses méandres dark ambient pour mieux nous retrouver glacé d’effroi en position fœtale dans la cavité d’un arbre mort, attendant l’accalmie qui ne viendra jamais."
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104. Frank Riggio - Psychexcess (2012-2017)
"Imaginez un peu à quoi ressemblera son Foley Room une fois parvenu au stade du sixième opus", vous prévenait-on à la sortie du premier volet de cette trilogie consacrée à l’affranchissement spirituel, eh bien il semblerait que Frank Riggio nous ait donné raison avec une 3e partie aux morceaux plus longs (en bouche comme en durée), toujours aussi organiques et texturés, extraterrestres et subconscients, rivalisant de tension insidieuse et mutante avec une seconde partie dont on retrouve le goût pour les incursions vocales oniriques (le chant trafiqué du Français prenant même les devants sur Back From Futurism, l’étrangement méditatif ...Of One Human Reality ou le très cinématographique Infinie Galaxie I), mais du côté cette fois d’un infini cosmique aux drones mystiques et cordes troublantes d’une ampleur terrassante (End !, Eternalism, Psychexcess), flirtant autant avec un dark ambient de monastère vénusien (Gy darkscene.org) qu’avec une techno de dancefloor nébulaire (Laisse Passer Le Temps, M108 To M58) pour le plus grand bonheur de nos tympans ébahis devant un tel big bang de dévotion au futurisme dont les excès assumés font toute la beauté."
103. Olan Mill - Hiraeth (2013)
"Si les abstractions radiantes de son autre projet Pausal nous avaient joliment fait patienter pour les quelques semaines qui séparaient ce Sky Margin du retour de l’Anglais chez Preservation, c’est avec Olan Mill que la musique d’Alex Smalley, toujours accompagné du violon de Mike Jessop, des chœurs sopranos beaux à se damner de Patricia Boynton et des vents discrets de Katie English (Isnaj Dui) emportés par les flots de textures séraphiques, dépasse la simple fascination esthétique pour devenir pure émotion. Marqué - à l’image de Springs sur le merveilleux Paths - par l’espace laissé aux accords du piano préparé d’Alex Lucas (présent lui aussi sur l’album précédent) tantôt hiératique et majestueux sur Echo Of Tomorrow ou empreint d’un lyrisme feutré sur Cultivator ou Nature For Equal Rights, Hiraeth irradie de cette mélancolie de se savoir aux portes d’un Paradis Perdu, à jamais rendu inaccessible par l’insouciance du genre humain."
102. The Brian Jonestown Massacre - Don’t Get Lost (2017)
"Après avoir déjoué les pronostics de ceux qui ne voyaient en lui, au regard de la disco 90s du Brian Jonestown Massacre, qu’un talentueux fétichiste 60s peinant à se démarquer de ses figures tutélaires Rolling Stones et Velvet Undergound, avec des sorties plus aventureuses lorgnant sur un shoegaze oppressant et désincarné (My Bloody Underground) puis un post-punk volontiers sous-produit aux incursions no-wave voire carrément ambient (l’immense Who Killed Sgt. Pepper ?), Anton Newcombe n’avait depuis transformé l’essai qu’à moitié. Qu’à cela ne tienne, exit tout le monde encore une fois et le voilà qui nous recrute le Norvégien Emil Nikolaisen, tête pensante des géniaux rénovateurs shoegaze Serena-Maneesh, Tim Burgess des classieux vétérans Charlatans et la sublime Tess Parks au chant (qu’on avait entendue ici). Résultat, des murs de son en fusion de Spacemen 3 ou de leurs héritiers The Oscillation à l’acid rock de Madchester (culminant sur un Acid 2 Me Is No Worse Than War croisant Happy Mondays et Boo Radleys sur fond de house droguée) en passant par les heures sombres de Bristol (Melodys Actual Echo Chamber avec son trip-hop à guitares lynchiennes) ou la noisy-pop vénéneuse et larsenisante de Throbbing Gristle sur le morceau du même nom, les titres s’enchaînent sans se ressembler, avec un air de catalogue des quarante dernières années de musique psychédélique compressé, réarrangé, remis au goût du jour, ne semblant jamais céder au plagiat ou à la simple relecture hype."
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101. Greg Haines - Digressions (2012)
Sommet du lyrisme orchestral qui caractérisait le Britannique - lequel a depuis mis entre parenthèses sa carrière en solo pour se consacrer au très beau projet de poésie musicale The Alvaret Ensemble en compagnie notamment des frères Kleestra et d’Olga Wojciechowska, tous mentionnés dans le précédent volet de ce bilan - avant le contrepied polyrythmique et luxuriant que constitua Where We Were l’année suivante, Digressions demeure l’un des albums néo-classiques les plus amples et poignants d’une décennie qui n’en manque pourtant pas, déroulant sur des compositions hors-format ses orchestrations à couper le souffle, ses crescendos cinématographiques et son piano impressionniste lovés dans des nappes de drones vaporeux ou de synthés ascentionnels qui les réhaussent sans leur faire de l’ombre, apportant juste ce qu’il fallait de textures et de contrastes mais aussi de lumière au post-minimalisme plus sombre et austère des débuts. Merveilleux.
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