Ventura - Ad Matres
Ventura, « un groupe qui donne envie de jouer de la basse Gibson la sangle calée au niveau des genoux » (dixit un ami) mais pas que... Un groupe essentiel aussi. Et ce n’est pas Ad Matres, rompant six années de silence, qui démontrera le contraire.
1. Acetone
2. Void
3. Faith, Hope & Charity
4. Johnny Is Sick
5. Revenge
6. The Dots Better
7. To Stand No One Has
8. To Suffer
9. The Pioneer (Song For Bertrand)
10. Nothing’s Gonna Change My Love For You (I’m Afraid)
Aucune immédiateté. Rien pour séduire ou aguicher. Une première écoute grise et délavée et rien de bien mieux sur les suivantes.
Et les suivantes.
Et les suivantes.
Parce que... qu’est-ce qu’on l’écoute. On n’arrête pas de l’écouter. Pour son incommensurable tristesse. Sa suprême élégance qui suinte de partout. Pour ces morceaux qui nous suivront probablement Ad Patres Matres.
On ne peut pas vraiment dire qu’il s’insinue sans crier gare. C’est Ventura quand même. On sait bien comment ça fonctionne. Encore plus depuis Ultima Necat (2013), version expurgée des « tubes » qui faisaient l’ordinaire de We Recruit (2010) voire (dans une moindre mesure) de Pa Capona (2006), voyant le groupe appuyer sur ses hématomes pour en faire sortir des grosses gouttes d’amertume. Comme si la neurasthénie - néanmoins très présente depuis les débuts - l’avait emporté sur tout le reste. Et pourtant, malgré sa pesanteur nouvelle, Ultima Necat, comme les précédents, avait très facilement fait son trou dans la boîte crânienne.
Aujourd’hui, Ad Matres s’enfonce encore plus profondément dans ses idées noires. Les méandres patraques et tracassés d’Acetone en ouverture, « To Suffer » répété cinquante-huit fois dans le morceau du même nom ou encore les très affligés Johnny Is Sick, To Stand No One Has ou Nothing’s Gonna Change My Love for You (I’m Afraid) plus loin montrent qu’Ananasses (toujours en 2013) était une dernière balise raccrochant Ventura à la lumière.
Aujourd’hui, ne reste plus que la tristesse exacerbée versant désespoir sec. Mais il ne faut pas en avoir peur parce que Ventura ne surjoue jamais. Les circonvolutions d’Ad Matres ne sont rien d’autres que celles de la vie et sont donc familières. Le deuil, la perte, le manque, la souffrance en font partie, aussi sûrement que la joie, la cicatrisation, le bonheur ou la résilience. L’album n’est pas un mode d’emploi, Ventura encore moins un prophète, juste un groupe qui joue ce qu’il a dans la tête, les tripes et au bout des doigts, sans fard, sans travestissement et c’est bien pour ça qu’il ne peut aboutir qu’à de superbes morceaux : parce qu’ils sont plein de justesse.
La première écoute était grise et délavée, les suivantes le sont restées mais rien de péjoratif là-dedans : on sait que le disque va tourner longtemps, au moins jusqu’au suivant et encore après sûrement.
Rien n’a fondamentalement changé même si tout est différent : les angles de l’indie-rock profondément morose de Ventura ont été légèrement polis par les larmes mais l’ossature dévastée d’Ad Matres garde intacte toute la vivacité du trio. Grégoire Quartier (from Cortez) remplace désormais Mike Bedelek derrière les fûts, la différence n’est pas énormément perceptible et la rythmique reste lourde mais malléable. Les empilements de guitare construisent des strates tout à la fois denses et aériennes et la voix semble de plus en plus au bout du rouleau, douloureuse. L’équilibre entre épaisseur et finesse est préservé même si la coloration générale vire au noir de jais. Tout pareil mais tout différent donc.
De prime abord, difficile d’extirper quoi que ce soit de la masse pesante. Les morceaux semblent intriqués dans un éther gris qui rend flous leurs contours. Ils se succèdent mais, dans le brouillard, se ressemblent tous. Il faut s’approcher tout près pour identifier les détails. Le cerveau sort son habituel attirail anthropométrique et balance des noms (Low, Sonic Youth, le Drop Nineteens de Delaware, Failure, ce genre) avant de vite les effacer et on le court-circuite parce qu’on s’en fout. Ventura joue du Ventura et c’est tout.
La tristesse intrinsèque a toujours été revendiquée (on pouvait quand même lire « This album was recorded with a self-centered, depressive philosophy » sur la pochette du précédent) mais trouve probablement aujourd’hui sa source dans ce que le titre suggère de manière à peine voilée : Ad Matres. Il y est donc question de deuil (consécutif au décès de la mère de l’un des trois) et de manque. Et de combat aussi, à l’image des riffs dévastateurs qui fracassent les plaines décharnées patiemment mises sur pied. Acetone, strictement instrumental, fonctionne comme cela, le magnifique Faith, Hope & Charity aussi et un peu tous les morceaux en fait. Ça griffe et ça lacère quand même plus souvent qu’à son tour. Et c’est infiniment bien capté par le fidèle Serge Morattel qui met en avant la moindre miette du grand fatras.
Pas de tubes immédiats mais des trucs qui s’insinuent et déversent leur poison lent, Faith, Hope & Charity, To Stand No One Has ou encore To Suffer (entre autres, hein) se calent dans l’encéphale et diffusent leur venin à grands coups de shoegaze amer et de noisy pop très très noise, les mélodies s’agrippent, le parterre claque et laboure, la guitare sonne comme cent, le tout s’opposant à la voix patraque, tout s’équilibre mais rien ne s’annule.
Des morceaux denses et superbes, des textes au cordeau, beaucoup de justesse : même si l’immédiateté est un peu plus en retrait, Ad Matres s’inscrit sans problème dans la lignée essentielle de Ventura. Triste et tourmenté peut-être mais... grand disque.
2013 arrive à terme. L’heure du sempiternel bilan. Une année où j’ai eu envie, entre autres, de rock, de noise, de jazz et de hip-hop mais tout ça en même temps et si possible au sein du même disque.
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