Après Tako Tsubo paru en 2017 et un EP éponyme sorti en juin 2018, Lux’s Dream revient avec Three, un nouveau court format de cinq titres, dont la sortie est prévue le 1er mars prochain, toujours chez Archipel. Entre electronica et dream pop, la Lyonnaise, qui poursuit son exploration musicale en livrant un disque à la production impeccable, a accepté de répondre à quelques questions.
Le premier extrait, Three, dont la vidéo se révèle en parfaite adéquation avec cette ambiance feutrée, entraîne l’auditeur dans une spirale hantée aux accents trip hop :
IRM : Peux-tu nous présenter ton projet Lux’s Dream ?
Lux’s Dream est né d’une envie de partager cette irréprimable propension à écrire, inventer, créer qui m’anime depuis toujours... Des carnets, des textes, des mots, et puis la pratique du piano et les expérimentations sonores qui m’accompagnent depuis l’enfance : il y a eu ce moment où il est devenu évident (obsessionnel ?) de concevoir une manière d’exprimer tout cela !
Attirée par le farfouillage, bidouillage et triturage des sons (je suis depuis la nuit des temps une adepte du piano préparé !), j’ai commencé à m’intéresser de plus près à la synthèse sonore, à essayer et à acquérir du matériel, et la concrétisation s’est mise en marche... Mon set-up est mouvant, comme moi et mes choix artistiques : globalement, je trouve que les idées musicales et les évolutions du projet sont intrinsèquement liées aux matériaux sonores utilisés, et par extension aux outils techniques que j’ai à disposition. Lux’s Dream est donc un solo, progéniture de mon imagination, grandissant et évoluant au gré de mes expérimentations et expériences...
Tu as une formation classique, comment en es-tu arrivée à la production de musique électronique ? Quelles sont les principales différences entre ces deux univers et as-tu rencontré quelques difficultés à tes débuts ?
Gyða Valtýsdóttir (ancienne membre de múm) a sorti un album dans lequel elle propose une relecture extrêmement fidèle mais également résolument moderne du répertoire classique, ressens-tu aussi le besoin, en quelques sorte, de (ré)concilier ces deux mondes que sont la musique “classique” et les musiques “actuelles” ?
Tout d’abord, merci pour la découverte de cette artiste que je ne connaissais pas !
Les références musicales présentes sur l’album dont tu parles ( Epicycle ) sont des œuvres que j’affectionne tout particulièrement, même si je suis ennuyée par la démarche dont la fin en soi consiste à interpréter une partition, dans un cadre stylistique déterminé par les goûts d’une institution conservatrice et élitiste - ce qui d’ailleurs m’a poussée à m’éloigner du milieu “classique”, où l’on m’a souvent reproché une interprétation “trop personnelle” de la musique. En opposition à cette démarche extrême que je décris (sans pour autant la rapporter à une généralité de ce qui se passe effectivement dans ce milieu), le disque de Gyða Valtýsdóttir représente ce que devrait être à mon sens “faire de la musique actuellement” : une réappropriation et expérimentation profondément personnelle de et à partir de matériaux plus ou moins concrets et conscientisés... C’est le propre de la création, à mon sens.
Concernant ma propre démarche, pour moi-même et pour ce que je souhaite transmettre dans mes activités liées à l’enseignement, j’envisage la musique comme toute une multitude d’esthétiques et de pratiques dont les frontières devraient être les plus perméables possibles... On trouve souvent un petit morceau de soi : un élément, un son, un geste où l’on se reconnaît dans chaque expérience musicale, peu importe l’esthétique revendiquée par ce.lle.lui qui joue/ chante/performe... L’acte de création, ensuite, consiste selon moi faire des choix, développer une pensée critique sur ce que l’on connait, ce que l’on a vécu, ce que l’on a vu... et de là construire un cheminement qui nous est propre, quels que soient nos pré-requis et nos aspirations.
Tu as repris Street Spirit (Fade Out) de Radiohead sur ton premier album, quelles sont tes influences musicales ?
Radiohead en fait partie, je ne le nie pas...! Des albums plus électro ( Kid A ) aux plus pop ( Hail to the the Thief ), j’aime. En live, j’aime aussi ; que dis-je, j’adore !
Pour te donner une idée, les albums que j’ai le plus écoutés sont sans doute Drukqs d’Aphex Twin, La Maison de mon Rêve de Cocorosie, The Virgin Suicides de Air, ou encore In Utero de Nirvana...
À cela s’ajoute toute une multitude d’artistes tels que Jon Hopkins, Melody’s Echo Chamber (et sa camarade Halo Maud que je viens de découvrir), Chris Clark, Beach House, Nils Frahm, Jeanne Added, etc etc.
En mars prochain sort ton nouvel EP, Three, sur lequel il y a une petite nouveauté puisqu’il y a un morceau en français. Quelle est l’importance du choix de la langue dans tes compositions ?
L’Anglais était pour moi un choix évident, au départ : d’abord esthétiquement, étant donné que les artistes que j’écoute principalement sont anglophones ; et puis moins consciemment sans doute, la pudeur de se cacher derrière une langue étrangère... Three aborde, comme toujours dans mes chansons, des sujets intimes et très personnels, et j’ai eu envie d’essayer, pour la première fois, d’assumer mes mots dans ma langue maternelle, de les partager de façon encore plus proche avec mon public qui est aujourd’hui très majoritairement francophone. Et puis, j’ai toujours aimé écrire des poèmes en Français, j’aime cette langue et la musique de ses mots, leur complexité parfois, leur subtilité souvent... Alors, ça a été aussi libérateur de faire cette chanson : j’en avais sans doute envie depuis longtemps. Au final, ça m’a donné le goût de poursuivre l’expérience ! Ce n’est que depuis peu que je découvre une scène émergente francophone dont la musique me plaît autant que le texte (je pense par exemple à Terrenoire, ou encore Halo Maud dont je parlais tout à l’heure...) : voir que d’autres partagent cette direction artistique est aussi une motivation supplémentaire pour moi, un encouragement à suivre ce courant-là.
On a la chance, et on t’en remercie, de dévoiler le clip de Three aujourd’hui sur Indierockmag. Comment s’est déroulé le tournage ? Peux-tu nous en dire plus sur cette vidéo ?
Le clip a été réalisé par une vidéaste féminine, Mlle Dou, choix qui me semblait incontournable pour mettre en images une chanson qui parle de la sororité... J’ai essayé d’y faire transparaître l’ambiance de la chanson, à laquelle j’avais ajouté une ’didascalie’ au début de sa conception : “Comme un rituel”.
Nous avons choisi un château du 18e siècle pour les prises d’image, afin de mettre en exergue ce côté mystique, de par les décors bien sûr, mais aussi grâce à l’atmosphère bien particulière que dégagent les lieux inhabités et chargés d’énergies ancestrales...
Ceci dit, ce que je retiens le plus actuellement, c’est que le tournage s’est déroulé au cœur de l’hiver dans de grandes pièces qui n’avaient pas été chauffées depuis plusieurs mois : c’était assez éprouvant, et avec l’ambiance particulière du château accentuée par les lumières et les costumes, ça laisse des souvenirs très intenses...
Cette sortie s’accompagne d’une tournée, est-ce que tu projettes ta musique en live lorsque que tu es déjà en phase de composition ?
En étant seule sur scène, comment appréhendes-tu les concerts en général ?
J’essaie de différencier les aspects que sont le studio et la scène, de peur de me limiter au cours de la création musicale en imaginant mes productions retranscrites seule en scène. Et puis finalement, avec des outils appropriés, une connaissance approfondie de ceux-ci, j’arrive à repousser de plus en plus loin ces limites du “solo” en concert... Mon live sonne vraiment très proche des enregistrements que tu as pu entendre sur l’EP. Seulement, il se trouve que j’adore partager la scène avec d’autres. Depuis que je fais de la musique, j’ai eu mille fois l’opportunité de jouer en groupe et c’est toujours un réel plaisir, un moment de partage incroyable. Je n’arrive simplement pas à me décider à remettre Lux’s Dream entre les mains d’autres acteurs au moment du live. C’est pourtant ce que j’ai fait en studio avec Benoît Bel qui a produit l’album (et je suis si satisfaite du résultat, je ne regrette aucunement de lui avoir accordé ma confiance !)...
Pour un travail de musique “live”, donc basé sur un laps de temps bien plus long - pouvant aller jusqu’à l’illimité ! - qu’une session de studio, je trouve à la fois merveilleusement intéressant et en même temps assez compliqué de demander à d’autres de s’investir et s’engager sans partager équitablement les responsabilités artistiques et la direction musicale et scénique du projet. Je ne suis pas sûre d’être prête à cela, même si c’est vraiment une étape que je projette de franchir...!
En attendant, j’ai tout de même invité des musicien.ne.s à me rejoindre sur scène pour ma release party qui se passera le 28 février prochain au Groom à Lyon : je me réjouis d’avance de partager le plateau avec eux.elles !