Top albums - février 2018
L’humeur maussade d’une fin d’hiver sous la neige doit y être pour quelque chose, notre bilan de février n’est pas bien gai. On y réveille les morts pour mieux les tabasser à coups de bottes cloutées, on y prêche dans l’obscurité sur nos Babylones modernes, on y règne sur le ghetto ou sur une pile de macchabées, on y mélange des choses assez bizarres et agressives, bref, le printemps est encore timide sur les colonnes d’IRM et on s’acharne même à le repousser jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Nos albums du mois
1. The Third Eye Foundation - Wake the Dead
"Du haut de ses 13 minutes 45, le morceau-titre donne le ton : entre une drum machine liquéfiée et une batterie désarticulée s’opposent saturations viciées et cuivres mythologiques, chœurs sacrés et vocalises aliénées de goules sardoniques, ces dernières prenant finalement le dessus à mesure que ce Wake the Dead sombre dans un chaos de bruissements dépravés. Quelque part entre la narration sensorielle foisonnante de The Dark, la mélancolie erratique et hantée de Little Lost Soul, les abysses tourmentés de Ghost et les hybridations ambivalentes de You Guys Kill Me, Wake the Dead est pourtant loin d’un album-somme. Cousin des cauchemars électro-indus d’un JK Broadrick qui aurait pris goût au classique contemporain, ce sixième opus en tant que 3EF de l’auteur de The Mess We Made est un nouveau chapitre - certainement l’un des plus beaux et dérangeants - dans la confrontation de son auteur avec ses cauchemars, ses angoisses et les affres du subconscient, dont on espère qu’il sortira vainqueur assez longtemps pour accoucher de cinq ou six autres joyaux noirs de cet acabit."
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(Rabbit)
2. Azeem - Vision Teller
En septembre de l’année dernière sortait Broken Puppets, un bon album mais lorgnant trop vers le reggae et le dub pour emballer complètement votre serviteur. Oui, mais voilà, cachées au milieu de ces 12 pistes signées par Azeem et les Ancient Astronauts, il y avait quelques pépites ! Misfit King ou Words Can Kill, des bandes-son minimales pour des poèmes pétris de spiritualisme urbain clamés avec aplomb et classe ! Si ce style de tracks vous avait plu, ce nouveau Vision Teller va vous subjuguer ! Le poète de la Bay Area, Azeem, fait maintenant équipe avec Kabanjak, c’est à dire la moitié du duo de producteurs allemands Ancient Astronauts, et il se rapproche du spoken word de ses débuts au sein des Variable Unit, le groove en moins et la froideur en plus (écoutez Handbook for the Apocalypse !). Vision Teller pourrait être le chaînon manquant entre Gil Scott-Heron, les Last Poets, Tom Waits et des trucs à mi-chemin entre Deltron 3030 et Billy Woods. Le taff de Kabanjak est excellent, tout en délicatesse avec des productions abstraites et psychédéliques emmenant toutes les pistes vers des sommets de spoken word méditatif, ce qui constitue le climat parfait pour qu’Azeem place sa grosse voix claire et franche. A peine rappé, son flow résonne et le Californien ballade son verbe sur des poèmes allant du mysticisme aux bavures policières avec une précision et une intelligence rares. Précis et intelligent, c’est exactement comme cela qu’on pourrait qualifier ce grand Vision Teller !
(Spoutnik)
3. Gnaw Their Tongues - Genocidal Majesty
La légende raconte que Maurice De Jong n’a pas dormi depuis 1988. C’est sans doute presque vrai si l’on observe la discographie foisonnante, à travers un nombre vertigineux de projets, de cet apôtre du mal batave, représentant d’un black metal des bas-fonds, du raclement sonore de la fange dans laquelle il nous traîne, le plus souvent avec Gnaw Their Tongues. L’esthète du sombre reprend son exploration des terreurs et de l’inconfort là où Hymns of Broken, Swollen and Silent s’était arrêté, en retirant le peu d’air qu’il nous restait pour le remplir d’un amas quasi discontinu de crachats blanchâtres et purulents noyés dans l’électronique. L’ombre de The Body plane, Chip King vient s’égosiller à deux reprises (Spirit Broken By Swords, The Doctrine Of Paranoid Seraphims) et semble avoir toujours fait partie du projet. Si le mariage est aussi réussi, on a hâte d’entendre les futurs échos du divorce.
(Riton)
4. Insect Ark - Marrow Hymns
Deuxième album du duo entièrement féminin incarné par Dana Schecter et Ashley Spungin, Marrow Hymns dépeint une épopée mystérieuse où se conjuguent forces occultes et désespoir. Les angles de la lourdeur ont été arrondis par une présence accrue du lap steel, comme une lettre d’amour à l’instrument glissant (que laissait déjà apparaître le superbe Parallel Twin sur Portal/Well) et à l’americana. Le drone doom cinématique du disque évoque Earth période The Bees Made Honey in the Lion’s Skull, ou le post-rock sombre et hanté de Wrekmeister Harmonies, sans renoncer au poids écrasant des basses distordues auxquelles elles nous ont habitués.
(Riton)
5. The Skull Defekts - The Skull Defekts
Ce troisième opus pour Thrill Jockey du quatuor suédois sera aussi le dernier à en croire son leader, le génial Joachim Nordwall (dont le noise-ambient en solo avait notamment accouché du sommet Monstrance en compagnie de Mika Vainio il y a quelques années). Pas de regrets néanmoins à l’approche des derniers concerts du combo, tant cet éponyme, tout aussi halluciné mais plus concis et mordant que le sommet Peer Amid dans la lignée du rentre-dedans Dances In Dreams Of The Known Unknown, plus mélangeur aussi, s’impose d’emblée comme le point d’orgue d’une pléthorique carrière de 40 sorties en 12 ans. Le tribalisme psyché-noise des Scandinaves s’y fait plus délétère (cf. l’entame instrumentale chamanique et larsenisante A Brief History of Rhythm, Dub, Life and Death digne des missives vaudou d’un Cut Hands, ou encore l’ultra-saturé et crissant A Message From The Skull Defekts qui déverse sa haine de l’humanité en fin de disque), plus indus et névrotique par moments (Clean Mind et ses allures de Nine Inch Nails des 90s zébré de riffs sauvages à la Pixies des débuts), plus hypnotique et syncopé à d’autres (l’enfumé The Dance), somme toute encore plus noir et plombé, rivalisant avec les derniers Swans au gré des 9 minutes apocalyptiques aux chœurs féminins vénéneux de Slow Storm tandis que Powdered Faces ou le final The Beauty of Creation and Destruction semblent ressusciter tout un pan underground des 80s avec leur post-punk des enfers au glam irradié et vicié.
(Rabbit)
6. Efrim Manuel Menuck - Pissing Stars
"De Plays "High Gospel" en 2011, on oublie les hymnes néo-hippies mais en reste l’étrangeté de complaintes gothiques pour un monde sur le déclin (cf. les instrus The Lion-Daggers Of Calais et Hart_Kashoggi). C’est cette fois l’histoire de la relation de courte durée au mitan des années 80 entre la présentatrice TV Mary Hart et le Saoudien Mohammed Khashoggi, fils d’un marchand d’armes notoire, qui sert de toile de fond aux fantasmagories du coryphée d’A Silver Mt. Zion, ado défavorisé marqué à l’époque par l’ambiguïté de cet amour tapageur entre deux symboles d’une société gangrenée par la corruption et la vulgarité. Rampants et saturés (Black Flags Ov Thee Holy Sonne, The State And Its Love And Genoicide) ou plus lyriques et psyché (la chorale débraillée sur boîte à rythme lo-fi d’un A Lamb In The Land Of Payday Loans aux faux-airs de Spiritualized, l’ascensionnel LxOxVx ∕ Shelter In Place ou le final éponyme Pissing Stars aux distos lancinantes), ses crescendos aussi dissonants qu’habités s’en ressentent, entremêlant désespoir abyssal et foi en l’humanité, une dualité qui culmine sur le poignant The Beauty Of Children And The War Against The Poor."
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(Rabbit)
7. Ocean Wisdom - Wizville
J’ai lu quelque part que High Focus Records était le Rawkus des années 2010 ! Ça se tient et même si on pousse la comparaison un peu plus loin, Ocean Wisdom pourrait être Pharoahe Monch et Wizville serait Internal Affairs ! La comparaison s’arrête là, mais il est vrai que depuis quelques années le label anglais nous livre pépite sur pépite ; un vent de fraîcheur que représente bien Ocean Wisdom. Découvert en 2015 avec la bombe Walkin’ et son record du monde de mots à la seconde (4,45, ça se pose là !!!!!), le petit gars de Brighton n’est pas juste une mobylette lexicale, son excellent Chaos 93’ l’a démontré l’année suivante et cette année Wizville le confirme. Bon, bien sûr, il faut poser son cerveau dès qu’on appuie sur play, on est dans l’offensif et le récréatif, les pistes sont survitaminées et archi-accrocheuses, on bouge la tête, on a même souvent une furieuse envie de sautiller, mais Ocean Wisdom n’est pas juste une bête de concours, c’est un putain de rappeur et son flow grime est juste dévastateur ! La liste des featuring (Method Man, Roots Manuva, Dizzee Rascal, Rude Kid, P Money, Jehst, Rodney P et Chester P) et celle des producteurs (Chemo, Illinformed, Leaf Dog, Pitch 92, Baquiat ou Mystry) en témoignent, Wizzy est un phénomène ! Le seul soucis, c’est que 24 titres, c’est trop long, Wizville souffre de quelques redondances et même de tracks pas franchement indispensables, quel dommage, car sans ça, on avait peut-être l’un des tout meilleurs albums de l’année !
(Spoutnik)
Les bonus des rédacteurs
Ekca Liena - Gravity and Grace
"Daniel WJ Mackenzie explore à nouveau la dimension la plus mythologique et inquiétante de l’infini cosmique dans un foisonnement d’idiophones ballotés par des vents mystiques (Glockenspiel for Juno) et de distos sismiques (Orate All Ice) sur ce digne successeur du corrosif et rampant Graduals. A la fois plus massif et plus éthéré, Gravity and Grace fait la part belle aux crescendos de saturations colossales (Juno for A.M.) et aux ascensions élégiaques (Burst Into Stone) que des riffs doomesques tentent de soumettre à la gravité des astres sur les parfaits Cortege Depart et Onset Eve puis sur l’imposant morceau-titre, du haut de ses 18 minutes d’apocalypse tectonique dont la tension demeure présente jusque dans ses plus délicates accalmies atmosphériques."
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(Rabbit)
Candye♡Syrup - Idol Can Dye Sick Rock !!
Le mouvement totalement barré Anti-Idol se poursuit au Japon pour notre plus grand plaisir avec des nouvelles venues. Alors évidemment, on pourra nous rétorquer que ce sont des produits marketing fabriqués de toutes pièces, en attendant, personne hors du Japon n’a encore eu l’idée (certes étrange) "de brûler les ponts entre le mouvement otaku, la musique pour ados, l’esthétique kawaii et les musiques brutales" (ce sont les mots de leur producteur, patron de salons de beauté et roi du merchandising). C’est désormais chose faite, sur un mini-album de 30 minutes qui laisse vidé, lessivé, et complètement désorienté, entre metal (TRÈS) lourd, growls, refrains j-pop, ska, gros mots, paroles sans queue ni tête, dégoulinures ultra-sucrées et imagerie sataniste, écrit par ce qui se fait de meilleur en songwriters ultra-metal au Japon et interprété par cinq filles complètement givrées. Énorme mind-fuck, qui prouve encore une fois que les barrières sont faites pour être brûlées.
(Lloyd_cf)
$HA HEF - Out The Mud
Sorti en 2017 sur les plateformes de largage de mixtapes, ce Out The Mud de $HA HEF se voit réédité cette année chez FXCK RXP et ça n’est assurément pas un hasard tellement l’excellent label allemand qui collectionne les sorties les plus crasseuses du moment et l’emcee du Bronx étaient faits pour se rencontrer ! Beats crades, boucles brumeuses, hip-hop sombre et grinçant, on a l’impression qu’on pourrait se faire braquer entre chaque piste, chacune d’elles semblant d’ailleurs sonner encore plus intensément à mesure qu’elles se suivent. Ça rappe les dents serrées et là aussi ça n’est pas un hasard de croiser le regretté Prodigy sur Made Me Do qui résume à elle seule la force sombre de cet album !
(Spoutnik)
La playlist IRM des albums de février
Nouveau complément à notre bilan du mois, la playlist, en 15 titres choisis par les rédacteurs d’IRM. Enjoy !
Les tops 5 des rédacteurs
Lloyd_cf :
1. Third Eye Foundation - Wake the Dead
2. Candye Syrup - Idol Can Dye Sick Rock
3. Sarah Blasko - Depth of Field
4. Northaunt - Istid III
5. The Soft Moon - Criminal
Rabbit :
1. The Third Eye Foundation - Wake the Dead
2. Gnaw Their Tongues - Genocidal Majesty
3. Ekca Liena - Gravity and Grace
4. The Skull Defekts - The Skull Defekts
5. Bruno Sanfilippo - Unity
Riton :
1. Chaos Echoes - Mouvement
2. Gnaw Their Tongues - Genocidal Majesty
3. The Third Eye Foundation - Wake the Dead
4. The Skull Defekts - The Skull Defekts
5. Insect Ark - Marrow Hymns
Spoutnik :
1. Ocean Wisdom - Wizville
2. Sha Hef - Out The Mud
3. Alien Grey - The Sentimental Alien
4. Azeem - Vision Teller
5. Bisk - Rawsons Creek
Spydermonkey :
1. The Third Eye Foundation - Wake the Dead
2. Dr. Spock - Leður
3. Efrim Manuel Menuck - Pissing Stars
4. Makeshift - Makeshift
5. Insect Ark - Marrow Hymns
The Third Eye Foundation sur IRM - Site Officiel
The Skull Defekts sur IRM - Myspace - Site Officiel - Bandcamp
Ekca Liena sur IRM - Bandcamp - Myspace - Site Officiel
Efrim Manuel Menuck sur IRM
Gnaw Their Tongues / Hagetisse sur IRM - Site Officiel - Bandcamp
Ocean Wisdom sur IRM
Insect Ark sur IRM
Azeem sur IRM
Candye♡Syrup sur IRM
$HA HEF sur IRM
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Nappy Nina & Swarvy - Out the Park
- Greg Cypher - Hello, I Must Be Going
- Hugo Monster feat. Paavo (prod. LMT. Break) - Checks In The Mail
- Bruno Duplant - du silence des anges
- Roland Dahinden performed by Gareth Davis - Theatre Of The Mind
- Hochzeitskapelle - We Dance
- Adrian Younge - Linear Labs : São Paulo
- Grosso Gadgetto - Addictive Substance Compilation
- R$kp - Weird Place
- Taylor Deupree - Ash EP
- Tarwater - Nuts of Ay
- IRM Expr6ss #14 - ces disques de l’automne qu’on n’a même pas glissés dans l’agenda tellement on s’en foutait : Primal Scream ; Caribou ; Tyler, The Creator ; Amyl and the Sniffers ; Flying Lotus ; The Voidz
- Simon Fisher Turner - Under The Arches
- Hochzeitskapelle - We Dance EP
- Bruno Duplant - du silence des anges