2017 dans l’oreillette - 120 albums ambient
Vortex abyssaux ou limbes éthérées à l’image de l’artwork bipolaire que Peter Nejedly nous a gracieusement offert pour cet article, il en sort bien trop de fameux en un an pour que quiconque puisse espérer échapper à la frustration du mélomane obsessionnel, et Elnorton vous en aura fait découvrir bien d’autres tout au long de 2017 via le streaming du jour pour ceux qui nous suivent au plus près. Mais voilà, à un moment il faut bien savoir s’arrêter, on ne peut pas tout écouter et si d’autres sites anglophones tels que Headphone Commute, A Closer Listen, Textura, Igloomag, Ambientblog, Fluid Radio ou encore Post Ambient Lux vous permettront assurément de creuser le sillon et compléter cette sélection, voici toujours mes 120 albums ambient / modern classical / drone etc. favoris de l’année écoulée, sans autre ambition que de donner quelques pistes de découvertes dans le "genre" musical le plus passionnant et sous-exposé à la fois des années 2010.
Si parmi les 60 premiers la plupart figuraient déjà dans mon classement généraliste en 10 parties, quelques-uns découverts trop tard sont venus s’y greffer, tant mes rattrapages furent nombreux dans ce genre cet hiver après avoir passé le plus gros de l’année dernière à travailler sur des compilations Twin Peaks qui l’ont tout spécialement mis à l’honneur (en particulier sur les volets IRMxTP Part I, Part II, Part IV, Part VI, Part VIII et Part X voire Part XVI dans sa seconde moitié, en attendant les XIII à XV à paraître très prochainement) et auxquelles ont participé pas moins de 35 musiciens de cette liste, merci à eux.
Quant aux 60 suivants, ils paraîtront assurément tout aussi indispensables aux amateurs du genre et méritaient bien qu’on se fende de quelques mots à leur égard ainsi qu’une mise en avant toute particulière, d’où le choix de classer ces disques du 120e au premier :
120. Odd Nosdam - LIF (Sound In Silence)
Si je préférais les textures de l’ex cLOUDDEAD lorsque leurs reflux se confrontaient encore aux puissants beats syncopés de ses sorties solo aux grandes heures d’Anticon (Level Live Wires en tête) ou de ses productions pour Sole (en particulier sur le génial Live From Rome), Elnorton avait bien raison de vanter les hachures lo-fi de ce LIF dont les instrus agrémentées d’idiophones mystiques (RAI), de clavier cristallin (TRO) ou de guitare feutrée (AIN, KEL I & II) sonnent comme autant de songes en clair-obscur érodés par le temps, le morceau-titre arborant d’ailleurs des faux-airs de chute arythmique de Burner pour le bonheur du grand nostalgique que je suis à l’égard d’un label à la fourmi aujourd’hui moribond.
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119. Taylor Deupree & Marcus Fischer - Lowlands (IIKKI)
Également sorti chez 12k, c’est bien associé au livre de photographies polaires aux tons de gris passés d’Ester Vonplon sur le label multimédia IIKKI que cette troisième collaboration en 6 ans entre les deux Américains dévoile sa véritable dimension, évocation des paysages de l’Arctique dont l’éphémère beauté sur le déclin trouve un écho dans les lentes mutations organiques des textures aqueuses aux distos organiques, des poudreuses acoustiques de cordes, guitares et claviers et des éboulis de percussions (Rides) organisés en ballets naturalistes par les deux musiciens. Marcus Fischer, que l’on avait perdu de vue depuis le superbe Collected Dust de 2012, a toutefois fait encore mieux en solo l’an passé, on en reparle un peu plus bas.
118. KJ - Spells (Lost Tribe Sound)
Si je n’ai pas tout à fait retrouvé sur ce deuxième opus de KJ l’ambition élégiaque que le premier extrait Angels lâché par Lost Tribe Sound avait laissé entrevoir avec sa relecture de musique sacrée aux allures de symphonie des cieux, l’onirisme fantomatique de Twins, les récollections déliquescentes de Cotton, les liturgies cryptiques de Dawyn, les abstractions éthérées d’un morceau-titre de plus de 9 minutes ou les fantasmagories à la Twin Peaks de Lozo demeurent autant de grands moments de ce digne successeur du déjà bien lynchien mais plus cotonneux Wake de l’année précédente, dont les intro et conclusion de ce Spells retrouvent par ailleurs l’essence douce, rêveuse et mélancolique.
Bonus : le morceau Twin Peaks de KJ :
117. Terence Hannum - Impiety (Umor Rex)
"La digne suite du magnétique et minimaliste Via Negativa, dont les pulsations abstraites et en particulier les chœurs désincarnés gagnent ici en majesté et passent au premier plan pour célébrer l’idée d’un gospel désacralisé à la gloire du néant, à la fois aérien et mal intentionné. Terence Hannum (Locrian, The Holy Circle) fait ainsi la part belle aux beats étouffés, presque dub techno (The Final Myth) et à ces nappes de voix (la sienne, manipulée jusqu’à donner l’impression d’une chorale à proprement parler) dont les boucles lancinantes envoûtent pour mieux aspirer l’auditeur de l’autre côté du miroir - celui pourquoi pas du Prince of Darkness de John Carpenter débouchant sur un anti-monde dont le pouvoir de fascination rime avec corruption de l’âme, des sens et du concept même de religion. Impiety, c’est un peu Ligeti à l’ère du dark ambient et de la virtualisation du lien entre les êtres, un anti-gospel pour notre humanité perdue dont l’épure mystique fascine autant qu’elle dérange par sa capacité à communiquer avec cette part de nous-mêmes qui se détache peu à peu des émotions charnelles et se cherche une foi nouvelle, à la mesure de l’ambiguïté morale du XXIe siècle."
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Bonus : le morceau Twin Peaks de Terence Hannum avec The Holy Circle :
116. Jason van Wyk - Opacity (Home Normal)
Un modèle d’épure des émotions et d’économie de moyens - à défaut d’une grande singularité - où les nappes ambient suspendues sous les cieux étoilés, la clarté spleenétique d’un piano enregistré dans son plus simple appareil et par intermittence la douce tension des arpeggiators au second plan (le final de Shimmer, l’impressionniste For Now aux cordes affligées ou le plus sci-fi Weightless) adressent une ode à la lueur d’espoir des astres et à l’introspection solitaire de la nuit. Pas étonnant à la lumière - forcément opaque - de ce troisième opus du Sud-Africain qu’Home Normal ait réédité dans la foulée son précédent album Attachment qui l’avait révélé en 2016 chez Eilean Rec.
115. Melodium - Proxima (for piano) (Autoproduction)
Bien meilleur que sa suite le plus classique Proxima B (malgré le retour sur celle-ci de quelques-uns de ces beats organiques dont l’Angevin a le secret), cette première collection d’instrumentaux au piano solo de Laurent Girard touche par la spontanéité de ses approximations rythmiques et harmoniques à la croisée d’un néo-classique romantique (Orionis 15, Persei 30, Alhena 19) dont les cascades d’arpèges et d’accords mineurs aux variations minimalistes évoquent parfois Philip Glass pour leur lyrisme en flux tendu (Aries 27, le sommet Cephei 21 ou encore Leonis 6), et d’un esprit plus candide et bricolé d’essais enregistrés pour soi (Gemini 7, Comae 13, Libra 29).
Bonus : le morceau Twin Peaks de Melodium :
114. Mark Templeton - Gentle Heart (Graphical)
Il y a quelque chose de Mike Cooper, slides de guitare hawaïenne compris (au moins sur Burning Brush et le tout doux Gentle Story Part 1), dans les abstractions narcotiques aux boucles ondulées, hachurées, malmenées et néanmoins paradoxalement accueillantes du Canadien, le même genre d’onirisme déglingué, en plus électronique mais tout aussi organique (cf. le code morse extra-terrestre de Voices et sa cavalcade glitch) voire liquéfié (les textures aquatiques de Range Road ou One Last Encore). Quant aux cordes surannées de Gentle Story Part 2, elle apportent à l’ensemble une touche de lyrisme inattendu dans ce même esprit caressant et cotonneux qui sous-tend l’ensemble d’un disque finalement aussi empathique et généreux que son titre le promettait.
113. Mike Cooper - Raft (Room40)
Et justement, pour son dernier voyage en date sous les tropiques hypnagogiques du Sud-Pacifique, le septuagénaire Mike Cooper donne dans un minimalisme narcotique toujours aussi gondolé mais encore plus atonal et déstructuré voire glitchy qu’à l’accoutumée (cf. le blues irradié de Raft 21 - Guayaquil to Tully ou la bossa martienne de Raft 28 - Vital Alsar), de méditations guitaristiques surexposées à la chaleur d’un soleil de plomb (Raft 29 - Honey Hunters, Raft 27 - Guayaquil to Ballina) en douces odyssées opiacées des antipodes (Raft 37 - Las Balsas), le génial expérimentateur ambient-folk s’adonnant par ailleurs une fois de plus à son goût pour les field recordings insulaires sur le mystique et percussif Raft 33 - Malama Honua (To care for our earth) ou dans la jungle moite d’un Raft 36 - Age Unlimited aux allures de walkabout.
Bonus : le morceau Twin Peaks de Mike Cooper :
112. The Green Kingdom - The North Wind and the Sun (Lost Tribe Sound)
Du dub ambient qu’on lui connaissait sur Vapor Sequences ou encore Dustloops : Memory Fragments, Mike Cottone a su se réinventer au contact de l’univers acoustique défendu par le label Lost Tribe Sound avec ce The North Wind and the Sun qui fait la part belle à une guitare americana, des vents pastoraux, quelques crins capiteux et des percussions organiques pour évoquer la beauté sauvage de la nature de ses contrées du Michigan, avec quelques synthés discrets comme seul apport électronique. L’influence de William Ryan Fritch - dont l’excellent Birkitshi - Eagle Hunters In A New World n’était pas tout à fait assez ambient pour se faire une place dans cette liste - est passée par là et c’est tant mieux pour les allergiques au surplace qui n’auront plus rien à craindre de The Green Kingdom de ce côté-là.
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111. Christoph Berg & Henning Schmiedt - Bei (flau)
On reparle plus bas du Berlinois Christoph Berg pour une sortie solo d’un tout autre calibre, mais ce charmant disque intimiste enregistré à quatre mains en collaboration avec son compatriote le pianiste Henning Schmiedt, bercé de candeur et de mélancolie, méritait tout de même une mention pour l’émotion gracile et délicate de ses dialogues épurés entre piano et violon aux élans tantôt contemplatifs ou plus dynamiques, à la croisée de la musique de chambre et des soundtracks de cinéma nippons.
110. con_cetta - Origine (Sound In Silence)
Dernier sommet en date de l’excellent label expérimental grec Sound in Silence dont on reparlera bientôt pour le contemplatif About The Journey de l’Anglais Yellow6 entre ambient à guitares, drone instropectif et post-rock délicat - on doit également à la structure de
l’Athénien George Mastrokostas aka Absent Without Leave les excellents derniers opus d’Odd Nosdam (cf. juste au-dessus) et surtout Crisopa en électro, tous fidèles à l’esthétique polaroid du label qu’on avait découvert à l’occasion du Flood de Silencio il y a 4 ans déjà -, ce premier album solo en neuf ans de l’Italien Giuseppe Cordaro oscille entre classical ambient hanté et désarticulé (I, III), pulsations synthétiques (IV, V), méditations obscures à base de field recordings et de sons trouvés (II, VI) et radiations dronesques presque mythologiques (Origine, Fine) pour nous plonger dans un univers de désolaion paradoxalement accueillant.
109. Arovane & Hior Chronik - Into My Own (A Strangely Isolated Place)
Au contact de l’électronica chromatique de l’ancien pensionnaire du cultissime label City Centre Offices, l’ambient post-classique du Grec Hior Chronik se fait plus dynamique mais surtout plus lumineuse, flirtant même avec une IDM électro-acoustique aux irrésistibles élans solaires teintés d’une douce mélancolie sur We Just Scratched The Surface, Ein Kleines Lied, Lightbeams ou It Turned Blue entre deux méditations foisonnantes où nappes irisées (Perpetuum II) et piano réverbéré (The Return, Morning Fog) se succèdent au premier plan voire dialoguent sur un pied d’égalité (Pilgrim, Stars Collide). Une belle réussite donc pour cette deuxième collaboration en trois ans.
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108. The Necks - Unfold (Ideologic Organ)
Si je préfère les Australiens plus angoissés comme sur leur sortie précédente, l’excellent Vertigo, cet Unfold agité par un constant ballotage d’idiophones chamaniques est suffisamment intrigant pour que l’on y revienne avec ses quatre morceaux-fleuves aux progressions libertaires passant d’un jazz de chambre subtilement déconstruit emmené par un piano qui flirte avec l’atonalité sans jamais totalement mettre à mal le confort de l’auditeur (Rise, Blue Mountain) à un psychédélisme onirique et halluciné (Overhear, Time Piece).
107. Brian Eno - Reflection (Warp)
"Seuls véritables rapports avec le sombre selfie en miroir qui lui sert de cover résolument hiddeuse, le titre de ce 26ème album studio du maître Eno et son concept d’application qui change la musique selon le moment de la journée, réflexion sur l’humeur et la lumière d’un album page blanche où se projettent les émotions de l’auditeur. Car musicalement, élégance est bien le maître mot de cette septième sortie de l’Anglais en 7 ans sur le label Warp, bijou d’épure réverbérée où nappes d’harmonies fluctuantes, vibraphone cristallin et claviers en écho organisent un ballet évanescent de reflets et de scintillements à la surface de l’océan sur une seule piste de 54 minutes d’une lenteur mesurée, dans le même esprit minimaliste et délicat que sa série Ambient du tournant des années 70/80, Thursday Afternoon ou plus récemment Lux et pourtant infiniment plus complexe qu’il n’y paraît dans ses chassés-croisés impressionnistes cheminant vers l’effacement."
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106. The Bug vs Earth - Concrete Desert (Ninja Tune)
Pour cette rencontre dans les tréfonds entre le projet mutant du Londonien Kevin Martin aka The Bug (mais aussi Techno Animal, feu les géniaux The Curse Of The Golden Vampire avec JK Broadrick et Alec Empire, King Midas Sound et j’en passe) qu’on avait laissé sur le post-ragga des enfers de London Zoo et le grime aérien et vicié d’Angels & Devils, et les pionniers drone-rock américains du guitariste Dylan Carlson (ici seul aux manettes), on n’osera parler d’ambient sur l’ensemble du disque. Mais si Gasoline, Snakes Vs Rats ou Don’t Walk These Streets brillent plutôt pour leur post-indus downtempo et abstrait aux textures tourbillonantes (les mêmes qui remuent de l’intérieur le trip-hop ténébreux et entêtant de Hell A et un Dog digne de Scorn avec JK Flesh aka JK Broadrick), le feutré City of Fallen Angels, les 10 minutes de calme avant l’apocalypse d’American Dream, l’élégie troublante façon Ligeti dark ambient d’un Another Planet également fleuve et les radiations malaisantes d’un morceau-titre encore plus long font assurément partie des plus belles réussites du genre cette année.
105. The Star Pillow - Invisible Summer (Midira)
En plus de 75 minutes de drones de reverbs de guitare solaires, l’Italien Paolo Monti (tiers des impressionnants Daimon) donne corps à la langueur à la fois lancinante voire perçante et parfaitement délectable d’un été depuis longtemps passé dont seule la nostalgie demeure, cette impression de grandeur accentuée par les guitares presque post-rock du final The End Is a Beginning que l’on ressent durant l’enfance dans la jouissance d’une insouciance que l’on s’imagine éternelle.
Bonus : le morceau Twin Peaks de The Star Pillow :
104. Northumbria - Markland (Cryo Chamber)
Sorti sur le label Cryo Chamber dont on n’est pas toujours client des soundtracks dark ambient imaginaires aux productions léchées, ce successeur d’Helluland étend la trilogie dédiée par
Dorian Williamson et Jim Field à la découverte de leur Canada natal par les vikings 500 ans avant que Christophe Colomb ne pose les pieds en Amérique. S’il faudra attendre la sortie de notre compil IRMxTP Part XIII pour retrouver pleinement via l’inédit lynchien Ab Omni Spe la dimension doomesque des drones électriques du duo qui se teintaient déjà d’ambient aux nuages lourds sur le génial Bring Down The Sky il y a plus de 3 ans, Markland est de ces épopées mystiques et lancinantes qui mettent des images plein la tête, et quelques plages plus inquiétantes et saturées (The Night Wolves / Black Moon, Low Sun I & II) apportent le contraste nécessaire à cette élégie païenne pour nous captiver sur la durée.
103. High Aura’d - No River Long Enough Doesn’t Contain a Bend (Debacle Records)
Dernière sortie en date d’un label Debacle qui ne brille plus aussi souvent qu’il y a quelques années, ce nouvel opus de l’Américain John Kolodij dont les incursions dark ambient l’auront vu croiser le fer avec Mike Shiflet ou André Foisy notamment, évoque la fecette la plus ambient d’un Daniel Bachman/Sacred Harp (qu’on avait justement découvert grâce à l’écurie de Seattle) avec son americana primitiviste et dronesque aux allures de western mystique (Red West), entrecoupée de purs moments d’ambient contemplative (All the Spirits That Dance) et de drone instrumental lancinant (acoustique sur Remain in Light, électrique sur Hodge’s Lament ou les deux sur le très dark Spivey Point) qu’habitent sur le final Red Rocks les vocalises étonnament fantomatiques d’Angel Olsen.
102. Biosphere - The Petrified Forest (Biophon)
Ce mini-album du Norvégien Geir Jenssen, sorti sur son propre label Biophon, rend hommage au film du même nom ("La forêt pétrifiée" en français) dont on entend ici les interprètes Bette Davis et Leslie Howard (à défaut d’Humphrey Bogart) donner de la voix par samples interposés. "Here in this desert, it’s just the same thing over and over again" hypnotise la voix féminine sur Black Mesa, sur fond d’électro-ambient aux effluves d’irréalité, un onirisme par moments presque romantique (Just A Kiss) qui fait écho à celui de la forêt du titre et des rêves d’ailleurs du personnage de Bette Davis mais qui prend aussi des atours plus sombres sur Turned To Stone avec sa tension cinématographique et ses mantras de séduction désespérée.
101. Jesse Tabish - Arthur Miller’s The Price Soundtrack (Watering Horse Music)
Echappé des géniaux Other Lives dont le sommet Rituals était déjà influencé il y a une paire d’années par une ambient céleste et par la dynamique de Philip Glass ou Steve Reich, Jesse Tabish dévoile ici en libre téléchargement son score pour une pièce de Broadway, un véritable album qui n’a rien à envier aux plus belles sorties néo-classiques de l’année avec ses élans piano/cordes aériens (Overture, Curtain Call ou Inner Mission et ses clappements de mains électrisants), son romantisme d’un autre temps (A Different Age, The New Deal), ses moments de sombre introspection (Piano Theme II, Brother’s Theme) et ses interludes ambient orchestraux à la tension latente (The Wake, Bryant Park, Arthur Speaks I & II).
100. Félicia Atkinson - Hand in Hand (Shelter Press)
Ce dernier album en date de la Rennaise connu pour son projet Je Suis Le Petit Chevalier prend la suite de l’excellent A Ready Made Ceremony sorti deux ans auparavant sur le même label avec le même genre d’abstractions susurrées aux fourmillements acousmatiques délicatement percussifs et hantés. Toutefois, à l’exception du purgatoire avant-gardiste A House A Dance A Poem ou de l’étrange et désincarné Adaptation Assez Facile, ces déstructurations de field recordings intrigants et les atmosphères fantasmagoriques qui les sous-tendent s’avèrent ici plus accessibles grâce à quelques claviers (I’m Following You, Hier Le Désert, No Fear But Anticipation) et synthés (Vermillions) aux mélodies claires-obscures qui arrondissent les angles, même le vénéneux Visnaga parant ses inquiétants murmures atones de quelques arpèges cristallins presque zen.
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99. Monolyth & Cobalt - The Dunen Diaries (Eilean Rec.)
Album-somme du patron Mathias van Eecloo, cette 50e référence d’Eilean Rec., l’un de mes labels ambient de l’année à en juger par les cinq mentions de ce bilan (et les deux de son faux-jumeau multimédia IIKKI), fut aussi la dernière sortie de son projet Monolyth & Cobalt en attendant la réinvention du Français sous un nouvel alias. Au programme, un premier CD de méditations électro-acoustiques épurées, plein de cordes baroques (Mnemonic, Topography), de rêveries hachurées (Wirbel, Ovatlan, North Way) et d’hypnagogies lancinantes (Heimat, Outlander, Ostral), un second de collaborations lyriques et texturées faisant la part belle aux cordes capiteuses (d’Helena Espvall, Olga Wojciechowska aka Strië et Aaron Martin de From the Mouth of the Sun) et aux voix (Madeleine Cocolas sur le liturgique Month Two ou Biggi Vinkeloe sur l’abstrait et jazzy Palindrome), et au milieu le minimalisme neurasthénique d’un Twin Peaks dont on se régale tout particulièrement à la rédaction après la belle participation du musicien à notre projet IRMxTP.
Bonus : le morceau Twin Peaks de Monolyth & Cobalt :
98. Grzegorz Bojanek - Stories of an Old Man (Autoproduction)
Mise en musique crépusculaire aux sonorités pullulantes mais aux ambiances minimalistes des souvenirs traumatiques d’un certain Konrad Maszczyk, habitant de sa ville natale en Pologne, Stories of an Old Man est "plein de meurtres, d’évasions, d’explosions et d’arrestations par le régime communiste" nous avouait Grzegorz Bojanek en interview. Mais même sans les monologues de l’audiobook, on comprend aisément quels genres de fantômes hantent le vieil homme sous ce lit de crépitements organiques, de drones fuligineux, de guitare déliquescente et de pulsations ambient-techno, les spectres lancinants d’artistes réprimés (She Painted and Therefore She Was Imprisoned), d’amis fauchés par la violence des hommes (Wartime Memories), d’usines désaffectées dont le fourmillement de vie a disparu (An Old Factory) et de récollections vouées à l’effacement à mesure qu’approche la fin d’une existence sur le déclin (A Famous Singer).
Bonus : le morceau Twin Peaks de Grzegorz Bojanek :
97. Nadia Sirota - Tessellatum (Bedroom Community)
Un peu trop austère pour m’emballer autant que son génial Baroque de 2013 aux compos signées Daníel Bjarnason, Nico Muhly, Judd Greenstein du label New Amsterdam ou encore Shara Worden (aka My Brightest Diamond), cet album illustré par un film animé de l’Américain Steven Mertens voit la violoniste du label Bedroom Community rivaliser de lancinance et de tension minimaliste avec le joueur de viole de gambe Liam Byrne sur des pièces parfois presque dronesques et toujours à la limite de l’atonalité de l’Irlandais Donnacha Dennehy. Malgré leur dramaturgie cinématographique très contemporaine, les quelques montées de sève sur Letter O ou Letter NN demeurent assez "classiques" au regard du maelström du génial Grá Agus Bás dont on parlait ici il y a bientôt 7 ans, ce qui n’enlève rien à leur intensité presque primale, loin des canons trop appliqués de la musique de chambre traditionnelle.
96. Dramavinile - 7 (Unknown Tone)
Si l’on retrouvera plus haut dans le classement son excellent label manyfeetunderconcrete pour la dernière sortie solo de son compatriote Francesco Giannico, Vincenzo Nava était jusqu’ici demeuré sous nos radars pour son propre projet ambient Dramavinile. Basé dans le sud de l’Italie, le musicien nous a pourtant concocté sur 7 une ode assez touchante à l’acceptation de la solitude dont le foisonnement de cliquetis et de granulations lo-fi sur fond de radiations dronesques, qu’accompagnent ici et là des distos oniriques aux faux-airs de pulsations organiques (everything is all i heard) et autres réminsicences de guitare abondamment filtrée (is ou surtout seven #2 d’où émanent d’inquiétantes respirations) ou de claviers opallins (a bad thing), évolue dans les méandres clairs-obscurs d’un spleen aux rêveries agitées.
95. Marcus Fischer - Loss (12k)
On le disait plus haut, Marcus Fischer a fait mieux en solo l’an dernier qu’avec son compère Taylor Deupree dont le label 12k accueuille cette suite de Monocoastal. D’humeur sombre et mélancolique sans jamais paraître plombé, touchant au cœur sans forcer l’émotion à coups d’élans lyriques, Loss est un bijou de subtilité dont les méditations électro-acoustiques sur la perte et l’absence fourmillent de lignes instrumentales évanescentes et de mélodies susurrées, du piano du morceau-titre à la guitare de Murmurations en passant par les claviers de Home ou les exhalaisons aux allures de sanglots étouffés et les distos déliquescentes des synthés de Veering, comme pour évoquer ce qui n’est plus là alors même que s’effritent des textures organiques fragiles comme la glace.
94. BJNilsen - Massif Trophies (Editions Mego)
Si les majestueuses abstractions électro-dronesques de The Invisible City restent définitivement hors de portée dans la disco du Suédois basé à Amsterdam, ce Massif Trophies qui le voit délaisser le label Touch pour Editions Mego est un modèle d’équilibre entre field recordings à la Chris Watson narrant son ascension du Grand Paradis - sommet des Alpes italiennes occidentales - aux prises avec les conditions météorologiques et la fatigue physique (Alpe Djouan), et un éloge plus mystique de la montagne sur le percussif Rough Grazing ou le presque liturgique Eaux Rousses, voire carrément mythologique sur Camping Europa qui renoue avec l’essence du chef-d’oeuvre sus-nommé le temps d’un final électromagnétique aussi foisonnant qu’imposant.
93. Darren McClure & Arovane - Nest (Autoproduction)
Décidément bien occupé l’année dernière, Arovane a retrouvé l’Irlandais Darren McClure, Japonais d’adoption, pour une seconde collaboration après Veerian en 2016 chez Eilean Rec. avec leur compère Porya Hatami, ici "relégué" au mastering. Loin du dynamisme lumineux d’Into My Own dont je parlais plus haut, Nest n’a pas grand chose à voir non plus avec le naturalisme de sa pochette, ce nid symbolisant la méthode de synthèse granulaire utilisée pour accoucher de ces compositions claires-obscures, aggrégats de micro-éléments sonores transformés en musique. Un fourmillement dont les qualités organiques se plient aux abstractions hypnotiques du duo, des inquiétantes mutations phagocytes de Burrow aux crépitements ascentionnels de Scrape ou Platform en passant par le futurisme déstructuré de Mound, Cavity et Sphere pour un milieu d’album dont les samples de voix démantelés, synthés géométriques et radiations cybernétiques semblent explorer un univers où technologie et environnement ne font plus qu’un.
92. Philippe Neau & Lutz Thuns - Constructions (Autoproduction)
Le Français Philippe Neau plus connu de ce nos lecteurs sous le pseudo nobodisoundz qu’il délaisse désormais au profit de son patronyme s’est associé à l’Allemand Lutz Thuns pour ces Constructions hypnotiques et fantomatiques, où nappes dark ambient opaques et entêtantes (These Clouds Inside), idiophones de cauchemars d’enfants (Dreaming Over La Lune), saturations de claviers opalins (Moon Woman Circle), blizzards mordant les chairs (Old Structures In A Smog Dream), boucles de spectres vocaux aux allures de mantras d’outre-espace (Repeating Old Words) et monologues désincarnés (en espagnol sur un morceau-titre de 15 minutes aux fascinantes errances de purgatoire abstrait, d’où affleurent cordes d’un autre temps et piano désarticulée dans un brouaha de field recordings tourmentés) dessinent des paysages mentaux dignes de ce chef-d’œuvre avec Philippe Lamy d’il y a quelques années.
91. Kleefstra | Bakker | Kleefstra - Dize (Midira)
On vous parlait tout récemment de l’album de Ljerke sorti en janvier chez Eilean Rec., un an plus tôt c’est associé à leur fidèle collaboratrice de Griis et compatriote Anne Chris Bakker, et sur un parterre de drones plus minimalistes et rampants, que les frères Kleefstra déroulaient du côté du label Midira leurs incantations poétiques et leurs atmosphères de désolation, la prose désincarnée en frison septentrional de Jan résonant dans la torpeur d’un brouillard presque mystique, habité sur De Holle As Asem de quelques cordes frottées et riffs de guitare menaçants ou sur Spilsieke Rein de distos fantasmagoriques, qui vous enveloppe jusqu’à en perdre pied.
90. siilt - 002 (Autoproduction)
A l’image de son artwork ultra-minimaliste, cette sortie autoproduite de l’Australien Skye Klein sous on alias dark ambient siilt n’a pas grand chose en commun avec la dramaturgie en flux tendu de l’apocalyptique et mélangeur Terminal Sound System qu’il opère du côté du label Denovali. Noyées dans le hiss, les atmosphères à couper au couteau de ce 002 sont en effet des plus rampantes et insidieuses, évoquant l’emprise spectrale d’une tragédie sur un environnement jadis familier, dont chaque recoin recèle désormais sa part d’angoisse et de ténèbres.
Bonus : le morceau Twin Peaks de Skye Klein aka Terminal Sound System :
89. Mike Lazarev - Dislodged (1631 Recordings)
Rédacteur du webzine Headphone Commute dont je parlais dans mon introduction, le Londonien Mike Lazarev est aussi et surtout un musicien de talent dont ce deuxième opus pour l’écurie 1631 Recordings du Suédois David Wenngren aka Library Tapes dévoile toute la sensibilité néo-classique via le romantisme affligé voire dépressif (Distant, Healing) ou carrément plombé (Absent) d’un piano épuré. Le plus souvent à nu comme l’âme de son auteur sur ce disque (Dislodged, Impromptu 06.17), l’instrument est parfois soutenu par un violoncelle tout aussi délicatement éploré (Unhinged (Again), Sunday) et ne se départit jamais d’une mélancolie toute en retenue, même lorsqu’un soupçon de lyrisme et de foi en l’avenir fait finalement son apparition (Serenity).
88. Seabuckthorn - Turns (Lost Tribe Sound)
Avec une intensité qui doit autant à l’americana primitiviste des Jack Rose ou John Fahey (Turns) ou aux casdades de guitare méditative de Gustavo Santaolalla (Lanterns, Near Translucent) superposant fingerpicking en flux tendu et bottleneck dramaturgique (Long Voyages Often Lose Themselves), qu’au Songs of Love and Hate de feu Leonard Cohen (Of Disappearance), au post-rock élégiaque du Constellation des débuts (The Trail Already In My Mind) ou bien sûr à ce genre d’ambient violoneuse foisonnante dont Lost Tribe Sound s’est fait le plus brillant représentant depuis quelques années (du pastoral et luxuriant Dizzying Mountains au percussif et inquiétant Concerning Otherness), le Bristolien Andy Cartwright imagine de vrais moments de cinéma mental (Occurring Water, Plateau Edge) sur ce digne successeur du superbe EP I Could See The Smoke dont le morceau-titre fait figure de sommet d’amertume et de foi mêlées.
87. Max Richter - Three Worlds : Music From Woolf Works (Deutsche Grammophon)
"Inspiré de trois nouvelles de Virginia Woolf qui scindent l’album en trois partie distinctes, Three Worlds voit d’abord le pianiste et compositeur germano-britannique renouer avec les sommets de néo-classique affligé aux orchestrations crève-cœur bien connus des admirateurs de ses fabuleux trois premiers opus (The Blue Notebooks en tête) comme ceux de l’indépassable série télé The Leftovers dont il signe la bande originale, sur la suite Mrs Dalloway, la plus réussie, que dominent la dramaturgie déchirante de War Anthem et le lyrisme en mineur du mélancolique In The Garden. Mais entre l’ouverture narrée par feu l’écrivain elle-même et le final de plus de 20 minutes d’un Tuesday fidèle à la nature expérimentale du roman The Waves dont Gillian Anderson (de X-Files et The Fall, si si) récite un morceau choisi, l’auteur de Sleep n’en laisse pas pour autant de côté la dimension élégiaque et minimaliste de ce dernier, sur ce Tuesday donc au même genre de chœurs d’opéra éthérés dont le crescendo terrassant met 8 ou 9 minutes à s’extirper de son spleen languissant, tandis qu’en milieu de disque, l’étonnante série Orlando ose les arpeggiators kosmische et autres modulations électro hachurées des arrangements pour rendre hommage au roman du même nom, résolument moderne, dont le personnage principal vit plusieurs siècles en changeant de sexe durant son sommeil."
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86. Aidan Baker & Karen Willems - Nonland (Gizeh / Room40)
Associé à la percussionniste Karen Willems du trio belge Inwolves, notre Canadien préféré alterne entre tension post-rock feutrée (Like A Soft Rain Coming), no man’s land fantasmagorique (Meeting In The Dark, Nonland), crescendos drone-rock tumultueux voire free (In My Head It Is Kind Of An Escape) et rêveries recadrées par une batterie résolue (Intro (Digging), Digging Through Time) sur cette sortie aussi captivante qu’irréductible et libertaire.
85. Cops - Cops (Field Hymns)
Meilleure sortie 2017 du label ambient/synths américain Field Hymns, cet éponyme du Berlinois Cops hésite entre tension néo-kraut (Loom et sa post-motorik à la Trans Am, l’hypnotique Human Office) et méditations oniriques aux synthés déglingués (Gull, Patrol Car), culminant lorsque les deux influences se rejoignent comme sur le sombre et magnétique The Crack-Up ou les 10 minutes d’un Austerity Measures qui eut été parfait en guise de BO d’un giallo de Dario Argento des années 80. Quant au radiant Sealed Leak final, il envoûte autant qu’il inconforte avec ses nappes analogiques discordantes et sursaturées sur fond de beats hypnagogiques.
84. Benoît Pioulard - Lignin Poise (Beacon Sound)
Si Lignin Poise n’est pas dans l’absolu l’une des meilleures sorties du touche-à-tout de Seattle dont les univers folk (avec Précis) ou ambient (citons l’immense Sonnet) voire à la croisée des deux (Hymnal) ont gravi de bien plus hautes cîmes au fil des années, il contient son lot de rêveries embrumées marquées du goût que l’on connaît à l’Américain pour les texures opaques et vespérales.
Bonus : le morceau Twin Peaks de Benoît Pioulard :
83. LPF12 - Whiteout5 (Autoproduction)
Même avec des morceaux plus courts aux beats et arpeggiators plus présents qu’à l’accoutumée (de Not A Straight Line à Under A Bright Blue Sky en passant par le foisonnement cinématographique de Preparing The Long Walk South ou encore The Missing Horizon rythmé par une drum machine aux allures de vraie batterie), ce nouveau volet de la série ambient polaire et isolationniste de l’Allemand Sascha Lemon est fidèle à ses prédécesseurs en terme d’immersion, que ce soit grâce à l’aurore boréale Halfway Through dont les scintillements se font de plus en plus opaques et inquiétants ou au final No Way Forward / The Return Home avec ses 11 minutes 30 d’odyssée douce-amère d’où émergent successivement pulsations sci-fi étouffées, synthés stellaires et pianotages impressionnistes d’un clavier au spleen cristallin.
Bonus : le morceau Twin Peaks de LPF12 :
82. Francesco Giannico & Giulio Aldinucci - Reframing (Eilean Rec.)
Les deux Italiens présents plus hauts dans ce bilan avec leurs albums solo respectifs de l’année passée ne déméritent pas sur cette suite de la symphonie drone contributive Agoraphonia sortie en 2016, même si la mystique drone naturaliste et métaphysique de ce Reframing où les field recordings conservent une place de choix n’a pas tout à fait la même ampleur contrastée que les liturgies abrasives de l’opus précédent.
81. Hior Chronik - Out Of The Dust (7k !)
Forcément plus néo-classique que sa collaboration sus-mentionnée avec l’Allemand Arovane à l’image du piano/cordes dramaturgique de Foreigner in a Strange World et Nothing Can Replace You ou de sa digestion plus ambient sur Things You Might See et In A Parallel Universe, cet Out of Dust voit le Grec flirter avec le violoncelle douloureux et le piano au spleen résigné des BO de Joe Hisaishi pour Kitano (Whispers From The Surface Of A Lake) mais également s’aventurer en territoire septentrional à la frontière du jazz scandinave (la trompette pensive sur nappes boréales de Cosmos, ou le plus opaque Magnolia façon Supersilent), Black Sea And Red Sky synthétisant à la perfection ces deux pôles tandis que Remember sonne comme si Max Richter s’était accoquiné avec Arve Henriksen, c’est dire les effuves de grâce et de tourments mêlés que charrie ce petit bijou sombre et capiteux idéalement sorti dans le froid de l’hiver.
80. Joshua Sabin - Terminus Drift (Subtext)
Avec ce court album basé sur des field recordings de machineries urbaines captés entre le Japon et l’Allemagne dans diverses zones de transit et transports en communs, et de champs électromagnétiques échantillonnés dans son Écosse natale, Joshua Sabin prétend interroger sur l’évolution de nos relations interpersonnelles à l’ère digitale. Terminus Drift commence ainsi par dérouler une froideur toute désincarnée que viennent zébrer saturations abstraites et textures presque cybernétiques, mais sous les collisions de 1 et de 0 il y a toujours un coeur qui bat (les pulsations vacillantes de U12) et un certain lyrisme perce déjà les nappes métallisées d’Array avant qu’un Eki aux contrastes intenses laisse finalement suinter sur près de 12 minutes opaques et bourdonnantes la mélancolie sous-jacente de ce futur téchnologique et déshumanisé qui est déjà un peu (voire complètement ?) le nôtre.
79. Otto A Totland - The Lost (Sonic Pieces)
De nouveau acouché par Sonic Pieces, The Lost n’a rien d’un prématuré après presque de 4 ans d’attente mais il a les bons gènes de son grand frère Pinô et se love dans cette même confortable mélancolie chère au Norvégien, moitié de Nest et Deaf Center. Hormis les cascades d’arpèges en flux tendu de Vates et le menuet anachronique de Greiner, le plus dynamique Fox troublant comme une Gymnopédie ou encore Enter et sa production ambient foisonnante sont les seuls à dénoter parmi les vignettes intimistes plus épurées et alanguies d’un disque qui se termine sur un sommet de spleen et d’espoir mêlés, Before I Leave.
78. Jacek Doroszenko - Wide Grey (Eilean Rec.)
Décidément un très bon cru pour Eilean Rec. qui multiplie au passage les révélations, à commencer par le Polonais Jacek Doroszenko, sixième album au compteur mais pour la première fois à la portée de nos radars. Wide Grey fait des bruissements environnants un élémant central de ses compositions protéiformes, tantôt menaçantes et abstraites à force de craquements dark ambient, de crépitements électroniques et de stridences guitaristiques (Iðavöllr, Vague Obtrusion ou encore Dense d’où s’extraient finalement clochettes et arpèges de piano aux scintillements salvateurs), post-acopalyptiques et inquiétantes à l’image du décor de sa pochette (Ålvik, Achromatic Component) ou plus lumineuses voire presque sereines (la mélancolie crissante du duo piano/cordes frottées de Stream ou le pensif Be Right Back au piano solo) entre deux abstractions plus avant-gardistes (la cymbalisation acousmatique de Glue aux allures de chorale de cigales vénusiennes, ou l’hypnotique et caoutchouteux Resochords qu’on jurerait sorti tout droit d’un des albums les plus récents d’Autechre).
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77. Ben Lukas Boysen & Sebastian Plano - Everything (Erased Tapes)
Associé au violoncelliste argentin du label Denovali, Ben Lukas Boysen livre pour cette BO fleuve de la simulation PC philisophico-scientifique du même nom pas moins de 43 instrus allant d’un modern classical aux reverbs oniriques à une électronica cinématographique en passant par une ambient aux textures plus sombres et opaques, des passages aux cordes plus moroses ou aux synthés stellaires ascentionnels pour illustrer musicalement les différentes scénographies, échelles et dimensions que permet d’arpenter ce jeu d’exploration de l’univers. Sans vraie progression narrative mais avec une certaine magie, la cohésion du disque est celle d’un artisanat de grande classe par deux artistes qui auraient néanmoins gagné à collaborer sur un projet plus concis et construit.
76. Dino Spiluttini - To Be a Beast (Cut Surface)
Malgré sa pochette antéchristique et son titre au diapason, les épais murs de vapeurs abrasives de l’Autrichien qui avait débuté il y a 4 ans chez Umor Rex au côté de l’excellent Nils Quak de Beth Kleist sont soutenus par des harmonies parfois presque extatiques (Silver Bullets, Learn 2 Love, Wreck the Infinite) aux affleurements de synthés mélodiques (Opioids III) proches de ceux de Havenaire dont on reparle un peu plus loin. Pour autant, To Be a Beast n’est pas un hymne à la joie de vivre et des crépitements vacillants de Drug Lyfe aux stridences malaisantes d’Apparition en passant par le spleen hanté de Permission to Sleep ou l’anxiété sous-jacente de Safe House, c’est une certaine fragilité mentale qui cimente ces vagues de textures sursaturées aux allures de métaphysique des accidentés du quotidien.
75. Bruno Sanfilippo - Lost & Found (ad21)
Alors même que vient de paraître chez Dronarivm son nouvel opus Unity, un petit retour s’imposait sur cet album de raretés de l’Argentin basé à Barcelone. Regroupant des morceaux sortis sur divers EPs, longs formats et compilations (dont celle du 10e anniversaire d’Ambient.blog pour le titre Peter vraisemblement dédié à son fondateur, l’excellent Peter Van Cooten), Lost & Found dévoile également un inédit, What I Dreamed, récupéré d’un disque dur mourrant. Plus qu’une simple compilation, le résultat frappe par la cohérence de ses atmosphères où spleen pianistique parfois proche du romantisme (InTROpiano), field recordings nostalgiques (Peter), reverbs oniriques (What I Dreamed) et drones caustiques (Piano Texture Found) travaillent de concert pour nous plonger dans une torpeur délectable mais pas innocente pour autant, en témoignent les craquements inquiétants d’un Solitario dont les 11 minutes presque neurasthéniques flirtent avec un dark ambient hantologique.
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73. Virlyn - Inner Emigration (Xtraplex)
Le Belge Frédéric Vanderlynden revenait au printemps dernier après quelques belles infidélités dans le giron du label Xtraplex mais loin de l’IDM de ses débuts, continuant au contraire d’explorer ces territoires fantômes du subconscient dans la lignée de son superbe EP Aguirre de 2014 et du non moins fabuleux Man Asleep de l’année précédente. Linceul pianistique, nappes fantasmagoriques, crins dark ambient et cordes asiatisantes qu’entrecoupent quelques récollections mélancoliques au piano solo (Palmyra, Broken Chords), voilà de quel bois de forêt hanté est fait cet Inner Emigration aux allures de suite cinématographique, dont les chants de sirènes en fin d’album finissent de nous happer dans un fascinant purgatoire de brumes empoisonnées.
72. Dictaphone - Apr 70 (Denovali)
Difficile de faire entrer dans une case même aussi large que l’ambient le projet d’Oliver Doerell et Roger Döring, accompagnés depuis le fabuleux Poems From A Rooftop par le violon au spleen capiteux d’Alex Stolze. Louvoyant toujours entre jazz impressionniste, abstractions électroniques et musique de chambre un peu hantée, ce sont quoi qu’il en soit l’atmosphère et les textures qui priment chez les Allemands, d’où la mention ici de cet Apr 70 moins indiciblement beau et troublant que son prédécesseur mais tout aussi poétique et immersif.
71. Havenaire - Rabot (Glacial Movements)
Accessibilité ne rime pas toujours avec facilité, en témoigne ce deuxième album de Havenaire, nouvel alias ambient du Suédois John Roger Olsson précédemment songwriter indie pop avec son projet The Grand Opening. Fidèle à l’esthétique du label transalpin Glacial Movements qui l’accueille désormais dans ses rangs, il en organise les drones polaires analogiques en vagues d’harmonies terrassantes (Enquist Photo 1910), avec une évidente sensibilité mélodique dans les lignes de synthés qui les sous-tendent (Calving, Rabot) ou les surplombent (Tarfala Valley) mais aussi une vraie profondeur de champ (Sarek Part 1-2). Une très belle découverte.
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70. Earthen Sea - An Act of Love (Kranky)
Entre cet album et la compil d’inédits A Serious Thing, le barbu Jacob Long s’est brillament révélé cette année dans le champ d’une ambient-techno aux ressacs brumeux, avec de vrais bouts de drone vaporeux et d’embrunts texturés dedans. Pour le premier c’est Kranky qui régale, tandis que les bénéfices de la seconde, autoproduite via Bandcamp, iront à diverses organisations d’aide au réfugiés et de lutte contre la discrimination.
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69. Stefano Guzzetti - Japanese Notebooks (Stella Recordings)
Après le plus lo-fi mais très beau Alone (night music for piano solo) dont il reprend certains titres en version plus orchestrée sur le récent (encore) Ensemble, le pianiste italien s’entourait d’un trio de cordes sur cette mise en musique du roman graphique du même nom du bédéaste italien Igort ("Les Cahiers japonais - Un voyage dans l’empire des signes" en français), dessiné durant un voyage au Pays du Soleil Levant. Dès A New Day et plus tard sur le syncopé The Long Journey et le fantastique Calm, la gravité des crins cohabite avec l’innocence des field recordings et la mélancolie plus cristalline des claviers sur fond de pulsations basses très cinématographiques, et si le piano lui-même se fait parfois plus dramatique (Vanished) entre deux rêveries véhiculant cette tragique concience de l’éphémère et de l’impermanence typiquement japonaise (Ni, San, Clouds) et des passages plus dynamiques que l’on jurerait composés pour le grand écran (cf. la tension rythmique et le spleen douloureux de Temper et Flock), ce sont avant tout le violoncelle et les violons qui véhiculent la dimension plus sombre (Downfall, Shi) d’un disque aux humeurs changeantes qui demande finalement plus de temps que le sommet Leaf pour être dompté.
Bonus : le morceau Twin Peaks de Stefano Guzzetti :
68. Anton Kubikov - Whatness (Kompakt)
Lorsque le Moscovite, moitié du duo tech-house SCSI-9 sur le label Kompakt, s’offre une escapade en solo, c’est du côté d’une ambient opalescente et onirique qu’on le retrouve, entre réminiscences de guitares shoegaze (Kurt’s Forest), échos souterrains luminescents (Liquid Mirror, Mintnight, Elusive), rêveries irisées (Timeless, April), errances cosmiques très deep (Other The Sea, Solarwind) et troublantes incursions pianistiques (Oktober, Pia). Un album particulièrement riche et évocateur, où l’électronique se fait discrète et les rythmiques quasi absente à l’exception de quelques percussions cristallines du plus bel effet (North).
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67. Giulio Aldinucci & Francis M. Gri - Segmenti (KrysaliSound)
Seconde collaboration de l’Italien à s’inviter dans ce bilan, Segmenti le voit s’associer au Suisse Francis M. Gris, boss du label KrysaliSound dont l’automnal Fall and Flares avec ses méditations pastorales sur le début du déclin d’une existence n’a pas fini bien loin de ce bilan. En 5 titres où arabesques vocales éthérées (Faglie), échos lointains de guitare ondoyante (Remnants), piano de cristal (Magma), field recordings vibrants de vie (Anchor) et claviers miroitants (Divisi) tentent de résister à des nappes de drones décapants, les deux musiciens semblent vouloir nous guérir des séquelles d’une période traumatisante, celle d’une paire d’années où tout est allé de travers... si ce n’est la musique, toujours prompte à nous secourir en ces temps troublés.
66. Hantasi - Your X Is Dead (Business Casual)
Assurément l’une de nos révélations ambient de l’année écoulée, le Californien Alexander Matulionis, ultra productif depuis 2016, impressionne par la dimension presque épique de ces tsunamis crépitants d’harmonies oniriques que soutiennent quelques pulsations syncopées, étouffées sous le bouillonnement de ces épaisses nébuleuses texturées aux effluves chillwave déstructurés. Le bonhomme parle de "vaporwave", nous on y voit un peu l’équivalent extatique et solaire des drones hantés de Gimu, et quoi qu’il en soit c’est fameux.
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65. Pausal - Avifaunal (Dronarivm)
Associé au sein de Pausal avec Simon Bainton, l’Anglais Alex Smalley que l’on retrouve juste au-dessus avec son projet Olan Mill livre ici un parfait compromis entre drone onirique et symphonie ambient au bord de l’effacement (Spiral), une dimension évanescente et grandiose à la fois (les trois Murmuration) qui chez le duo donne la sensation d’assister à la renaissance d’un jardin d’Eden (le foisonnement organique irréel de Scatter avec ses idiohpnes ballotés par une brise légère) voué à sombrer à nouveau dans le néant (l’élégiaque Soar et ses textures fantomatiques qui disparaissent peu à peu dans un silence pesant).
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64. Julien Marchal - Insight (Whales Records)
Sur ce troisième opus d’une trilogie qui l’aura vu passer par le label 1631 Recordings de David Wenngren (aka Library Tapes) en 2016, le pianiste bordelais décline un néo-classique poignant de retenue, évoquant l’absence dans un demi-silence (Insight XXV) et pourtant capable l’instant d’après d’élans presque cinématographiques dont Ryuichi Sakamoto ne renierait pas la dimension sombre et introspective (Insight XXXI) et de cascades romantiques que l’on retrouve dans toute leur splendeur sur le court et lumineux Insight XXXII. Un certain lyrisme en flux tendu s’invite même sur Insight XXVIII, entre suite d’accords dynamiques et mélodies à la Satie, tandis qu’Insight XXIX se fait plus troublant, sommet d’un disque dont le spleen minimal oppose l’épure des sonorités de l’instrument à la richesse des compositions.
63. Olan Mill - Orient (Hidden Vibes / Dauw)
Ces évocations altérées par le temps d’un Orient fantasmé ne sont peut-être pas ce qu’Alex Smalley a sorti de plus pénétrant ou bouleversant de pure grâce séraphique en tant qu’Olan Mill (Hiraeth remportant la palme à quelques coudées devant Paths et Home) mais elles n’en demeurent pas moins fascinantes de luxuriance onirique à l’image d’un Arpon aux cascades de harpe célestes, d’un Lapyia aux chœurs éthérés ou encore d’un Birove aux trémolos de violon tout aussi poignants. Mais surtout, l’album prend des détours assez surprenants de la part de l’Anglais, tel qu’Alve avec ses chœurs sacrés ou surtout Molanret au chant de gorge cabalistique dont on retrouvera des réminiscences autrement plus inquiétantes sur Douglas Fir, le morceau qu’il a composé pour notre compil IRMxTP Part XIII à paraître bientôt.
62. Nickolas Mohanna - Chroma (Karlrecords)
Le New-Yorkais, que l’on ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam avant ce Chroma pour le génial label alllemand Karlrecords en dépit d’une douzaine de sorties chez Low Point ou Preservation notamment, est musicalement fidèle au puzzle géométrique de nuances de gris de sa pochette sur ce disque dont les drones tempétueux de synthés modulaires (Blue Curve) et de cordes ethniques (Linear Scheme), entrecoupés de plages plus avant-gardistes aux idiophones ésotériques (Vertical Realm) et aux chorales hantées (Green Channels), soufflent le chaud et le froid en hachures venteuses et stridentes (Black Ridge) jamais dénuées d’une certaine abstraction (The Horn et ses itérations de piano préparé et de percussions échantillonnées).
61. Úlfur - Arborescence (Figureight Records)
Son hideuse pochette portraitiste où l’artiste islandais apparaît dans toute sa blondeur souriante est certainement la seule fausse note de ce disque qui voit l’ex Swords of Chaos délaisser son hardcore carnassier au profit d’une mixture de néo-classique et de folktronica à la William Ryan Fritch (Tómið Titrar) ou Benoît Pioulard (Fovea, Vakandi), mâtinée tantôt de blast beats réminiscents des racines metalleuses d’Úlfur Hansson (Arborescence), d’abstractions glitchy (Rhinoceros) ou même de drone gothique (Weightlessness). Classé très haut par Spydermonkey dans son bilan islandais, un petit bijou à ne pas manquer même s’il s’agit assurément d’un des disques les plus tangents de cette sélection.
60. Aaron Martin & Machinefabriek - Seeker (Dronarivm)
Cette rencontre inédite entre Aaron Martin (moitié des From the Mouth of the Sun classés plus haut) et le Hollandais Rutger Zuydervelt sur le label ambient moscovite de Dmitry Taldykin, version album de leur bande-son de la pièce Hide And Seek du chorégraphe Iván Pérez qui apparaît également dans sa version scénique en bonus digital, m’a surtout impressionné pour un titre en particulier, l’exceptionnel Wings in the Grass où le violoncelle de l’Américain n’avait jamais sonné aussi poignant et menaçant à la fois sous l’effet des nappes de stridences et granulations corrosives de Machinefabriek. Pour autant, le reste du disque avec ses errances acoustico-percussives (Arms Turn Slowly), ses élégies dissolues dans l’éther (Hidden, Buried Cloth) et sa musique de chambre plus ou moins sombre (Seeker), électroniquement malmenée (Leaves Are Swimming) ou les deux à la fois (A Small Crowd Points, Close to Dark) ne démérite en rien.
Bonus : le morceau Twin Peaks d’Aaron Martin :
59. Tegh - Downfall (Midira)
S’l ne paie pas forcément de mine de prime abord, le drone abrasif aux affleurements sismiques de l’Iranien Shahin Entezami charrie un spleen presque métaphysique avec ses synthés mystico-futuristes à la Tim Hecker des grandes heures qui s’extraient de ces murs de bruit blanc à l’impact physique saisissant. A écouter très fort.
58. Window Tappers - The Window Tappers (Autoproduction)
Cinq ans après l’excellent Tales from the Forbidden Garden, la Galloise Susan Matthews évoque à nouveau la violence faite aux femmes sur cette collaboration avec Tony Wakeford de Sol Invictus, dont la pochette au portrait défiguré, au bord de la démence ou de l’effroi, fait écho aux chansons et instrus traumatiques, flirtant tour à tour avec une ambient lynchienne (Blind, 30 Months Of Solitude, Toward The Lake), un drone fantasmagorique entre rêverie et pluie de verre pilé (My Wish, Gruinard Island), une folk funeste et habitée (Only Tears avec Wakeford au micro) ou une musique de chambre hantée et déglinguée (le duo Bruises et ses mantras de domination, de brutalité conjugale et de perversion narcissique, le dark ambient pianistique de Numb ou encore l’halluciné I Can Bend Time For You aux cordes martiales). Quant au final Well Done, dont la prose tourmentée ferait presque rêver d’une rencontre entre Anne Clark et Cindytalk, il a le génie de puiser dans tout ça, guitare acoustique, reverbs corrosives, ambient de purgatoire et hurlements dronesques soutenant la confession vénéneuse sous anti-douleurs bien dosés d’un tabassage de trop.
Bonus : le morceau Twin Peaks de Susan Matthews :
57. David Kolhne - Granular Canvas (Whitelabrecs)
Outre les abstractions crépitantes aux radiations pulsées de Variables à la croisée de la microhouse du label Raster-Noton et du drone expérimental de Room40, le Canadien David Kolhne, nouveau-venu dans ces sphères ambient évocatrices et avant-gardistes à la fois que l’on défend dans nos colonnes à longueur d’année, s’est imposé d’emblée avec les épopées subaquatiques scintillantes et déstructurées de ce Granular Canvas aux flux de textures organiques aussi magnétiques qu’insidieux.
56. Matt Emery - Empire (Injazero Records)
Ingé son et compositeur de trailers télé ou ciné, le pianiste anglais Matt Emery n’avait sorti jusqu’ici qu’une poignée de singles remarqués, mais ce premier long format, mastérisé par Taylor Deupree du label 12k et bénéficiant notamment du violoncelle de Simon Goff dont on reparlera plus haut dans ce classement, le place d’emblée parmi les grands espoirs à suivre du courant modern classical, à la croisée du lyrisme en flux tendu de Lubomyr Melnyk (Effervescent) ou Michael Nyman (Brushstrokes) et la mélancolie plus en retenue des Japonais Joe Hisaishi (Louloudia) ou Ryuchi Sakamoto dans sa période ciné pour Bernardo Bertolucci (L for Luna). Une influence du grand écran qui irrigue la passion (Orpheus), l’espoir (Blossom) et parfois la tension (Atlas) de ces pièces pour piano et cordes aux crescendos émotionnels flirtant régulièrement avec le trop-plein sans jamais tomber dans la grandiloquence ou la mièvrerie pour autant (le morceau-titre en ouverture en est une parfaite illustration), inspirées par la mythologie grecque avec un souffle de grandeur et de décadence mais surtout d’élans contrariés (les sentiments en montagnes russes du final Oshimai) et de bonheurs douloureusement éphémères (le tragiquement beau Mavericks, ou l’intense Asteria au piano solo).
55. Gideon Wolf - Year Zero (Fluid Audio)
On avait découvert le Britannique il y a 5 ans via un Paper dont les manipulations pianistiques post-classiques étaient entrecoupées d’étranges chorales néo-gospel un peu trop arty à mon goût. Avec les cordes polyphoniques et nappes ambient lancinantes aux incursions synthétiques (Noise) voire abrasives et grouillantes (Insect) de ce Year Zero où le piano se fait plus impressionniste et discret (Falling), Gideon Wolf passe un pallier et rivalise de lyrisme troublant et radiant avec Jonny Greenwood sur ses fameuses BO pour P.T. Anderson (cf. Scratch, Exposed ou encore l’ouverture d’Oblivion).
54. Evan Caminiti - Toxic City Music (Dust Editions)
Avec ses délicates vagues de saturations irradiées à base de guitare électrique et de field recordings urbains manipulés que soutiennent des pulsations somatiques, ce dernier album solo en date d’Evan Caminiti perpétue le goût de l’échappé de Barn Owl pour les dystopies nocturnes aux mutations froides et organiques, sans égaler ses propres sommets Meridian, Coiling ou surtout Dreamless Sleep mais toujours avec cette fascinante instabilité des textures et des harmonies, comme rongées par cette corrosive atmosphère de désincarnation qui liquéfie les âmes de nos cités de verre et de béton.
53. Otto Lindholm - Alter (Gizeh)
Pour son 2e album en 2 ans et premier chez Gizeh (assurément un gage de qualité pour les amateurs d’ambient claire-obscure jouée avec de vrais instruments), Otto Lindholm donne dans un drone post-classique dont la dimension fataliste est incarnée par les zébrures capiteuses de la contrebasse du Bruxellois, ménageant même entre les superbement plombés Fauve et Alyscamps une relative respiration, où les cordes se frottent à une électro cardiaque aux pulsations hypnotiques.
52. Luca Nasciuti - Kishar (Resterecords)
Confrontation de la nature (les contrées rurales d’Écosse et d’Islande samplées par l’Italien, Londonien d’adoption) et des ravages de l’urbanisation qui prennent ici la forme de tempêtes abrasives aux crépitements mi-industriels mi-grouillants, Kishar impressionne par l’ampleur de ses progressions peu à peu phagocytées par des éruptions de bruit blanc bénéficiant du sens du contraste saisissant du mastering de Lawrence English et par la philosophie qui les sous-tend, ce sentiment d’éternité gâchée et d’Éden souillé par l’inconscience de notre espèce qui réalise trop tard l’ampleur d’un gâchis désormais irréversible.
51. Lawrence English - Cruel Optimism (Room40)
S’il n’a pas le magnétisme ou l’ampleur des élégies crépusculaires de l’indépassable Wilderness of Mirrors, rarement vagues de drones à ce point intangibles et vaporeux auront dégagé une telle puissance sourde que sur ce nouvel opus de l’Australien aux mouvements emboîtés, qui sonne comme une apocalypse vue des cieux et génère comme à l’accoutumée des contrastes assez saisissants, à l’image de l’enchaînement du piano aux échos sépulcraux tamisés de The Quietest Shore et des martèlements de drones démiurgiques de Hammering A Screw, ou du passage des avalanches de scories d’Object Of Projection à la fausse accalmie d’antimatière grondante sur fond de cascades d’arpèges acoustiques de Negative Drone.
Bonus : le morceau Twin Peaks de Lawrence English :
50. Akira Kosemura - In The Dark Woods (Schole / 1631 Recordings)
Le pianiste japonais reprend quelques morceaux de ses EPs The Cycle of Nature et Someday agrémentés d’une douzaine de compos inédites et de sa superbe et troublante berceuse Badalamenti-esque Dedicated to Laura Palmer, morceau composé pour notre future compil IRMxTP Part XV, pour faire de cet album l’un des bijoux post-classiques de l’année écoulée, entre méditations intimistes en mineur (Resonance, les deux Inside River, Innocence ou les 10 minutes du très beau Stillness Of The Holy Place), lyrisme pianistique tout aussi dépouillé et ouvert aux sonorités naturelles de l’enregistrement (DNA, Between the Trees, The Cycle of Nature), rêveries semi-synthétiques (Sphere, Spark) et lamentations plus orchestrées (le merveilleux morceau-titre).
Le morceau Twin Peaks d’Akira Kosemura :
49. Gas - Narkopop (Kompakt)
"A l’inverse du rêveur voire même par moments presque lumineux Pop, dernier opus avant la mise en sommeil du projet de l’Allemand pour près de 17 ans, les textures de ce cinquième long format forment un brouillard bien plus déliquescent que bucolique (Narkopop 1 et 4), usant plus ouvertement que jamais de ces samples de musique classique que Wolfgang Voigt aime à triturer jusqu’à l’abstraction (Narkopop 2, symphonie ambient-techno en apnée de plus de 11 minutes qui semble convier Debussy à une lente asphyxie), pour un résultat particulièrement hanté (Narkopop 8 et 9) en dépit de quelques passages aux synthés plus "lyriques" (Narkopop 6). Gas est devenu un genre à lui tout seul, creusant son sillon loin des tendances et des idées reçues."
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48. Ed Carlsen - Elusive Frames (Moderna)
Lancé il y a tout juste trois ans, Moderna Records s’est fait une place de choix parmi les écuries ambient et modern classical à suivre de très près en l’espace de deux bijoux au piano intimiste estampillés 2017. Avant de retrouver plus haut dans ce bilan la nostalgie introspective et dépouillée du Japonais Daigo Hanada, ce sont en effet les méditations délicates aux subtils accents cinématographiques (Anew) du Danois Ed Carlsen qui s’y invitent avec une deuxième sortie en deux ans pour le label montréalais, où le romantisme d’un piano soutenu par quelques nappes oniriques plus ou moins perdues dans le lointain (Unfold, Frame IV) ou surnageant en surplomb des accords épurés (Kvaelden) se frotte sur le plus dynamique Otto au même trio de cordes au lyrisme fugace qui baignait plus tôt de mélancolie les claviers, arpeggiators et drones lumineux d’un Spring beau à pleurer.
47. Alder & Ash - Clutched in the Maw of the World (Lost Tribe Sound)
Entre l’austère mélancolie des cordes néoclassiques, la tension sourde des percussions et les crescendos d’un folklore violoneux aux stridences et saturations menaçantes, Adrian Copeland confirme ici chez Lost Tribe Sound tout le bien que l’on pensait de son autoproduit Psalms for the Sunder de l’année précédente, le Montréalais faisant preuve d’une économie de moyens qui n’a d’égale que l’intensité de ces compositions navigant quelque part entre les univers de William Ryan Fritch et de Jasper TX. Autant dire que l’on vous promet quelque chose d’assez exceptionnel pour son morceau Twin Peaks à paraitre bientôt sur l’un des trois volets restants de notre compilation, le 15e, entièrement dédié à Laura Palmer.
46. 36 - Black Soma (3six Recordings)
Avec ce dernier album en date, le Britannique Dennis Huddleston met le holà sur les influences synthétiques trop prégnantes de ses sorties précédentes pour revenir à ce qu’il sait faire de mieux, ces majestueuses nappes ambient élégiaques caractéristiques de sa période faste de la première moitié des 00s (Black Halcyon, Black Cascade), délicates vagues stratosphériques semblant charrier sur Black Soma ou Black Sleep les réminiscences symphoniques d’un orchestre stellaire dont la lumière nous parviendrait avec quelques millions d’années de retard. Cette fois, les synthés s’incorporent à l’ensemble de façon moins ostentatoire (Black Sun, Black Shore), donnant même à Black Future ou encore au final du superbe Black Sustain des allures de mélancolie SF à la Blade Runner.
Bonus : le morceau Twin Peaks de 36 :
45. Balmorhea - Clear Language (Western Vinyl)
Une grâce toute pastorale émane des compositions post-classiques veloutées de ce nouvel opus des Texans, dont les élans - des cordes frottées (Clear Language), résurgences électroniques (Behind the World, Sky Could Undress) et autres chœurs éthérés (First Light) - se font plus mesurés que sur leurs premières sorties post-folk ou bien sûr leur plus dynamique et Tortoise-ien Strangers. Pour autant, le duo d’Austin ne renoue pas complètement avec la relative austérité méditative du chef-d’œuvre Constellations et si Clear Language est comme son nom l’indique un modèle de clarté, c’est justement parce que Rob Lowe et Michael Muller, qui étaient pourtant en passe de mettre un point final au projet avant de se décider à enregistrer ce sixième opus, semblent avoir trouvé ici et en formation resserrée comme sur 55 ou All Flowers l’équilibre parfait entre mélancolie, lyrisme et sérénité - voire même quelques jolies interférences noisy (Ecco).
< lire l’avis d’Elnorton >
44. Rafael Anton Irisarri - The Shameless Years (Umor Rex)
Un cran au-dessus de son A Fragile Geography d’il y a deux ans, ce nouvel album du droneux new-yorkais impressionne finalement moins pour ses imposants murs de vapeur opaque que pour la mélancolie presque rétro-futuriste des mélodies qui les sous-tendent avec une paradoxale clarté romantique digne de Badalamenti sur la première moitié du disque (Indefinite Fields et RH Negative en tête), pour en faire une sorte d’équivalent mythologique voire carrément glorieux (Bastion) à l’album de 36 dont je parlais précédemment.
43. Sum of R - Orga (Cyclic Law)
Une lente procession vers l’avènement des ténèbres semble être l’objet de ce cinquième long-format du projet dark ambient de Reto Mäder (Ural Umbo, RM74, Pendulum Nisum). Lâché par Christoph Hess mais rejoint entre-temps par un certain Fabio Costa aux synthés et percus (qu’épaule l’excellent Jason Van Gulick à la batterie sur quelques titres), le Suisse nous plonge dans le genre d’atmosphères ésotériques et organiques dont il a le secret, à force de percussions rampantes, de clochettes et cymbales mystiques, d’orgues démesurés (Hypnotic State), de drones lugubres voire apocalyptiques (Cobalt Powder et sa chorale d’anges de la mort) et de cordes parfois plus aérées (Light & Dust) que viennent zébrer des synthés de fin de monde à la John Carpenter sur Liebezeit ou les crépitements d’un brasier dans la nuit sur Slip Away, deux bonus indispensables à cette odyssée de désolation.
42. Leandro Fresco & Rafael Anton Irisarri - La Equidistancia (A Strangely Isolated Place)
L’équidistance du titre serait-elle le point de rencontre des masses d’harmonies embrumées de Rafael Anton Irisarri et des mélodies plus grandes que la vie de l’Argentin Leandro Fresco à la croisée d’une kosmische musik minimale (Cuando El Misterio Es Demasiado Impresionante, Es Imposible Desobedecer) et d’un drone liturgique aux chorales célestes (Bajo un Ocaso Desteñido), d’un rétro-futurisme au spleen presque hédoniste (Lo Esencial Es Invisible A Los Ojos) et d’un onirisme ascentionnel au lyrisme stratosphérique digne de Boards of Canada (Un Horizonte En Llamas) ? Toujours est-il que cette collaboration a assurément laissé des traces sur le très beau The Shameless Years dont on parlait plus haut et que ce doublé nous rappelle aux grandes heures où l’Américain officiait encore sous le pseudo The Sight Below.
41. Alexandre Navarro - Anti-Matière (Archipel Musique)
Blips scintillants, beats déstructurés aux allures de glitchs, harmonies vacillantes de synthés modulaires et field recordings océaniques dressent les paysages oniriques de cette croisière sous un crâne, nouveau voyage du subconscient organisé par notre ex patron de label préféré, qui suite à la cessation d’activité de ses écuries SEM Label et DisqAN revient dans le giron des Montréalais d’Archipel Music pour cette Anti-Matière de rêve éveillé dont Elnorton parlait très bien ici.
Bonus : le morceau Twin Peaks d’Alexandre Navarro :
40. Dmitry Evgrafov - Comprehension of Light (FatCat)
S’il manque peut-être une ligne directrice forte à ce troisième album du jeune multi-instrumentiste moscovite défendu par 130701, sous-label néo-classique de FatCat qui a notamment vu passer dans ses rangs Max Richter, Dustin O’Halloran ou le regretté Jóhann Jóhannsson qui vient de nous quitter il y a quelques jours, Dmitry Evgrafov y réussit le tour de force d’incarner à lui seul avec savoir-faire et sincérité toute la richesse multifacettes du genre que ce bilan tente tant bien que mal de synthétiser, du dark ambient à cordes de l’imposant Tamas ou de l’angoissant Ungrounded aux rêveries respectivement rétro-futuristes et pastorales de Znanie et Sattva, en passant par le classique contemporain au lyrisme épuré de Wandering ou de l’intense A Chance To Change, les élans baroques du piano solo de Rajas, le drone hantologique de Through The Gloom, le douloureux romantisme piano/violons de First Crop et Rootedness ou encore l’ambient orchestrale d’un Kintsukuroi méditatif et capiteux digne de Field Rotation avec le grand Benoît Pioulard en guest.
39. PureH - CMBR (Pharmafabrik)
Avant de le retrouver beaucoup, beaucoup plus haut dans ce classement avec Cadlag, trio harsh qui nous avait déjà fait le coup de la sortie surprise de fin d’année en décembre 2013 avec une égale réussite, c’est en solo que le Slovène Simon Šerc s’incruste avec les quatre progressions minimalistes et abrasives aux structures mouvantes de ce CMBR (pour "cosmic microwave
background radiation"). Transposition sonique des mesures prises par le satellite Planck des variations de température et d’intensité du "fond diffus cosmologique", rayonnement des points les plus lointains et froids de l’Univers, pour réaliser une cartographie de l’après-Big Bang, ce concept-album s’avère aussi spacieux que claustrophobe, revêtant des allures d’électro-ambient post-industrielle sur Greybody Fit avant de flirter avec le harsh noise sur le pulsatoire Flux Density et surtout le radical Declination final.
Bonus : le morceau Twin Peaks de PureH :
38. Sea Trials - Sea Trials (Whitelabrecs)
"Nouvellement basé en Hongrie, l’Irlandais Ian W. McCarthy délaisse l’ambient crépusculaire et chamanique mâtinée de beats tribaux de ses projets Wilhelm et Romart dont le spleen déliquescent nous avait envoutés le temps d’un faux split chez I Had An Accident il y a déjà près de 6 ans, pour évoquer la nostalgie d’un océan que l’effritement de ces boucles dronesques rend d’autant plus lointain, tel un souvenir érodé par le temps. Créé à base d’enregistrements brûlés par le soleil ou immergés dans l’eau salée pour obtenir cet effet de détérioration naturelle et ce sentiment de déréliction qui en découle, Sea Trials allie la grâce d’une symphonie des sens aux rêveries désagrégées (As Below, Here Now, ou l’incursion kosmische aux arpeggiators ascensionnels du final At Least There Was This) flirtant parfois avec l’hantologie (A Turning Point, A Wave Reveals) à un aspect plus lancinant et opaque (She Warns Me Of The Storming Sky) voire carrément plombé (les nappes austères de Poised ; Above Me So, ou Though My Sadness Must Not Weigh Me Down avec ses pianotages perdus dans le brouillard marin), ces deux pôles se rejoignant sur le foisonnant For If We Never Meet Again dont les hachures désespérées évoquent l’irrévocable décadence de la mémoire et des sentiments."
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37. Christoph Berg - Conversations (Sonic Pieces)
Bien plus que sur le joli mais somme toute classique Bei avec Henning Schmiedt dont on parlait plus haut, c’est avec cette suite pour cordes hantée par le deuil (Grief), les regrets (Memories) et un repli sur soi à la croisée de la tristesse et de l’aliénation (Monologue) mais aussi ouverte à l’espoir diffus de la reconnexion (Dialogue, Epilogue) que l’Allemand Christoph Berg renoue enfin avec la beauté brute des plus belles réussites de son projet Field Rotation, d’autant plus quand les violons s’étoffent en harmonies lancinantes (Farewell) ou s’enrichissent de pulsations électro-acoustiques mettant en valeur leur épure capiteuse (Conversations) dans la lignée de l’indépassable Acoustic Tales de 2011.
36. Zu - Jhator (House of Mythology)
Je donne dans la facilité en citant mes compères ce coup-ci mais une belle mention dans notre top du mois d’avril avait valu à ce dernier album en date du trio transalpin quelques mots bien sentis de Riton, dont j’aurais fort bien pu me contenter. J’y ajouterai toutefois ma surprise d’avoir autant aimé une sortie de Zu, merci au batteur Tomas Järmyr de Yodok, nouveau-venu qui n’est sans doute pas pour rien dans l’orientation très ambient et mystique prise par Luca T. Mai (qui troque ici le saxophone au profit des fourmillements électroniques) et Massimo Pupillo (basse, claviers) sur cette bande originale fantasmée d’une inhumation céleste, à rebours de leur habituel free-jazz doomesque et tonitruant. Habitué des guitares additionnelles chez les Italiens, Stefano Pilia du génial trio Belfi / Grubbs / Pilia est de nouveau de la partie, ainsi que l’excellente Jessica Moss (dont je reparle un peu plus loin) aux chœurs électroniquement modifiés, la Japonaise Michiyo Yagi au koto ou encore le compère de Järmyr au sein de Yodok, Kristoffer Lo, au tuba, tous au service de ces deux longs crescendos cosmogoniques aux affleurements saturés forcément sépulcraux.
35. Net - HS (Whitelabrecs)
Inspiré par la SF d’antan (cf. la référence de Plaza au Cycle de Fondation d’Azimov) autant que par ses souvenirs personnels (un oiseau recueilli par sa femme et lui sur Nestling, le chant lointain de sa grand-mère sur Ptarmigan) et les paysages sauvages de sa Finlande d’adoption largement mise en son par field recordings interposés, ce successeur du méconnu RS de 2012 signé à l’époque NE Trethowan est assurément l’une des plus fascinantes fantasmagories ambient de l’année passée. HS voit le Britannique Edward Trethowan, désormais sous le pseudo Net donc, tisser un filet d’abstractions mémorielles ou s’entrelacent textures granuleuses et harmonies méditatives et où se mêlent souvenirs, impressions et sensations dans un souffle de vie en constante mutation - des récollections tantôt oniriques (le presque chillesque Same Fabric, le scintillant Werel) ou fantomatiques (Plaza, Avic) évoquant les longues nuits et le froid de la Scandinavie mais pas si inhospitalières pour autant, à l’image des 16 minutes introductives du fabuleux Ptarmigan dont les déconstructions rythmiques sur fond de nappes liturgiques enveloppantes doivent autant à Autechre qu’à Jacaszek.
34. Scanner - The Great Crater (Glacial Movements)
Pour sa dernière sortie en date sous son très productif alias Scanner, le Londonien Robin Rimbaud fusionne son électro-ambient introspective et intrigante avec l’esthétique isolationniste et polaire du label Glacial Movements, inspiré par l’histoire d’un cratère de 2km de diamètre découvert en Antarctique et résultant après enquête de l’effondrement de la glace sur un "point chaud". Immersif et organique (cf. le dub-ambient aquatique et percussif d’un Deep Water Channel au demi-silence captivant), The Great Crater confronte ainsi le chaud et le froid sur des titres comme Exposure, Collapse ou The Scar où des drones incandescents et un orchestre tourmenté viennent respectivement menacer la craquelante fragilité d’une ambient troublante et réverbérée, entre deux errances à perte de vue sur une banquise immaculée (Katabatic Wind, Underwater Lake, Moving Forwards).
33. Ben Frost - The Centre Cannot Hold (Mute Records)
Toujours enregistré et mixé par Steve Albini qui n’était sans doute pas pour peu de chose dans la résurrection du sorcier noise-ambient avec l’EP Threshold of Faith plus tôt dans l’année, The Centre Cannot Hold a beau sortir chez Mute, il n’en bénéficie pas moins du soutien des anciens compère de l’Australien au sein du label islandais Bedroom Community, le patron Valgeir Sigurðsson en tête qui en partage la production avec Lawrence English, tandis que Nico Muhly met la main à la patte aux arrangements en compagnie notamment du guitariste Shahzad Ismaily et du génial Skúli Sverrisson. Sur ce nouvel album, Ben Frost renoue donc avec les saturations sismiques qui ont fait les grandes heures de ses sorties de la décennie précédente, mais dans une veine subaquatique et irisée où cordes analogiquement dilatées, secousses rythmiques, infrabasses tectoniques et vapeurs d’arpeggiators stellaires entrent en collision sous l’influence de la course des astres. Imposant et délicat à la fois, le résultat impressionne par sa spontanéité, merci Albini là encore qui l’a enregistré en 10 jours, forçant le Melbournais à sortir de sa zone de confort d’adepte du hardware.
32. Leyland Kirby - We, so tired of all the darkness in our lives (Autoproduction)
Offerte en libre téléchargement, cette nouvelle collection d’instrumentaux du Mancunien, meilleur héritier des rêveries hantées d’un Badalamenti, dévoile des productions plus léchées que celles de ses réalisations en tant que V/Vm ou The Caretaker, retravaillées régulièrement pendant 4 ou 5 ans et qui s’inscrivent peut-être davantage dans la continuité d’un album tel qu’Eager To Tear Apart The Stars en moins luxuriant. Percussions en avant sur fond de nappes rêveuses saupoudrées de scintillements électroniques (le diptyque Consolation / Momentum Is Not On Our Side), piano cinématographique (Rotten Rave Tropes) ou néoclassique (Clickbait) doublé de synthés chancelants, limbes ambient languissantes ponctuées de pulsations décharnées (Drowning in the Quagmire, Plastic False World), odes mélancoliques à l’abandon des sens (Dig Deep March, Sickly Strawberry Nostalgia) ou drone liturgique venu d’un autre temps aux accents plus ou moins réconfortants (Collected Light) ou angoissés (le bien-nommé Bursts of Anxiety ou le final Back in the Game et sa lente rythmique martiale que surplombent de troublantes harmonies dignes d’une BO de film de David Cronenberg), l’Anglais y fait montre d’une inhabituelle variété d’atmosphères dont l’unique vrai fil conducteur semble être une batterie neurasthénique et légèrement bancale, dont on se saurait trop dire si elle cherche à nous anesthésier ou à nous emmener dans son sillage au gré des fantasmagories mentales du musicien, en quête d’une lueur à laquelle s’accrocher.
31. Sylvain Chauveau - Post-Everything (Brocoli)
Après l’impressionnisme ambient micro-électronique et abstrait d’un Kogetsudai qui le rapprochait plus que jamais en 2013 des déconstructions méditatives de David Sylvian, Sylvain Chauveau privilégie ici nappes vacillantes de synthés dronesques (Unilateral Disarmament) et mélodies d’arpèges acoustiques plongées dans un demi-silence sur fond de crépitements statiques (The Unstoppable Sex Machine, On The Influence Of Planetary Attraction) pour flirter avec l’épure guitaristique d’un David Grubbs voire même avec feu Gastr Del Sol, collaboration de ce dernier avec Jim O’Rourke dont Seven Ways Mushrooms Can Save The World avec ses field recordings d’enfants hispanophones et sa trompette flottant dans le lointain retrouve tout à fait l’esprit du génial Camoufleur qui fêtera ses 20 ans cette année. Bénéficiant en outre des harmonies vocales de Lykke Li sur deux titres kosmische suspendus dans l’éther (I Follow Rivers et No Rest For The Wicked) et du chant de Chantal Acda sur l’oscillatoire Find What You Love And Let It Kill You aux 10 minutes introspectives et magnétiques, Post-Everything est un bijou de philosophie par l’absurde et d’économie de moyens, un disque à part qui brille autant par sa singulière simplicité que par sa touchante humilité.
30. Hecq - Chansons de Geste (Hymen Records)
Ben Lukas Boysen a décidément plus d’une corde à son arc, et voilà que l’Allemand renoue avec l’austérité de ses sommets ambient Night Falls ou encore Mare Nostrum, mais cette fois dans un esprit hantologique très proche du sus-nommé Leyland Kirby. Sonnant comme le classical ambient d’un futur fantasmé dissous dans l’Histoire il y a un siècle ou deux, Chansons de Geste use en effet de vieilles cassettes familiales compilant études pour piano et morceaux classiques signés Bach ou Brahms, digitalisées puis électroniquement manipulées et enfin rejouées dans une église dont la reverb naturelle donne à l’ensemble, la poussière parasite aidant, un caractère ancien et sacré pour évoquer la déliquescence des souvenirs, la fin d’une époque et la profonde mélancolie de ceux qui s’y raccrochent.
29. Jefre Cantu-Ledesma - On The Echoing Green (Mexican Summer)
Pour prendre son pied en écoutant du shoegaze et de la dream-pop en 2017, plutôt que les retours tout à fait honorables mais pas transcendants pour autant des empereurs Slowdive et Ride, ou les effets de mode de leurs descendants plats comme un trek aux Pays-Bas et chiants comme la pluie Cigarettes After Sex ou The Luxembourg Signal, il fallait tout simplement écouter ce qu’en font leurs vrais héritiers venus du drone et de l’ambient. L’ex Tarentel et patron du label expérimental Root Strata est assurément de ceux-là, et ce nouveau long-format le voit continuer sur la lancée de son magnétique Devotion EP de 2013 en moins abrasif et déphasé, les murs de reverb opaques et narcotiques et autres scintillements lo-fi sur fond de rythmiques rachitiques en écho véhiculant une nostalgie immédiatement déjouée par le sens de l’abstraction et de la déstabilisation des sens qui sous-tend ce format instrumental hypnotique et aussi moderne aujourd’hui que l’était Flying Saucer Attack il y a 20 ans (cf. les 10 minutes fascinantes du morceau de bravoure dronesque et psyché A Song of Summer).
28. Dale Cooper Quartet & The Dictaphones - Astrild Astrild (Denovali)
"En approchant ce nouvel opus des pensionnaires brestois du label Denovali, on pourra choisir de regretter la dimension jazzy de Parole de Navarre et du génial Metamanoir, ou de se laisser happer par des fantasmagories hors-format qui creusent la tranchée tourmentée et contrastée de Quatorze Pièces de Menace dans une veine plus minimaliste tout en cresdendos dronesques (les impressionnants Mia Outarde Bondon et Ta Châssis Euplecte) et no man’s lands spectraux (Huis Chevêchette et Tua Oriel Courvite Isabelle avec l’invité récurrent Ronan MacErlaine dans le rôle de David Sylvian). Les influences darkjazz du trio n’en sont pas pour autant remisées au placard, en témoigne Pemp Ajour Impost où le même MacErlaine se fait crooner de purgatoire sur fond de saxo insidieux et nappes ambient lancinantes, ou encore le démesuré Son Mansarde Roselin du haut de ses 18 minutes de progression fantasmagorique et lynchienne comme jamais."
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Bonus : le morceau Twin Peaks de Dale Cooper Quartet & The Dictaphones :
27. Black Swan - Travesty Waves (Autoproduction)
Toujours pas reconnu à son juste génie dans les milieux autorisés, le New-Yorkais et son "drone pour cœurs qui saignent", qui nous avait fait l’honneur de clore le volume 10 de nos compilations Twin Peaks avec un Fire Walk With Me inhabituellement rythmique et concis pour lui, monte d’un cran dans l’austérité avec ce Travesty Waves au souffle moins évident que celui par exemple de l’opéra stellaire Aeterna dont il donne suite ici au requiem final magnifique et démesuré, Dying God. Après Redemption et Tone Poetry, cette superbe suite en 13 mouvements constitue pourtant la douce redescente qu’il nous fallait, retour aux émotions humaines après la grandiose communion avec les astres des opus précédents, dont il faudra d’abord oublier les troublantes visions cosmogoniques (Slow Oblivion, Part I et Part II) pour embrasser l’espoir d’une vie dans la lumière, loin de ces tentations d’éternité qui vous brûlent les ailes (Still Life).
Bonus : le morceau Twin Peaks de Black Swan :
26. Giulio Aldinucci - Borders and Ruins (Karlrecords)
Pour sa première sortie sur l’excellent label expérimental berlinois Karlrecords, l’Italien Giulio Aldinucci évoque l’influence des frontières sur le chaos du monde et la ruine sociale et culturelle qu’elles contribuent à générer. Construit comme un journal des pérégrinations de l’Italien à travers l’Europe où furent captés à diverses occasions les field recordings qui en sous-tendent les granuleuses élégies pour un monde sur le déclin, Borders and Ruins prend sur Exodus Mandala, Venus of the Bees ou Chrysalis la forme de chorales liturgiques à coller le frisson sur fond de séismes digitaux et autres nappes d’abstractions crépitantes, jusqu’à l’éclaircie d’un final dont les pianotages érodés parviennent enfin à envoyer ces suppliques terriennes rejoindre les cieux (The Skype Cloud And Your Smile On The Left).
Bonus : le morceau Twin Peaks de Giulio Aldinucci :
25. Francesco Giannico - Deepness (manyfeetunderconcrete)
"Avant de perdre pied dans les courants profonds de ce nouvel opus publié par la petite écurie transalpine manyfeetunderconcrete, il faudra passer par l’hypnose crépitante d’un Too dont les drones soutiennent une batterie au souffle presque kraut, laquelle s’efface bientôt pour laisser du champ à la majesté onirique et réverbérée de Much, pièce maîtresse aux dix minutes de ressac mélancolique où se perdent les clameurs des enfants jouant dans les vagues. Le contraste entre ces deux morceaux qui pourtant s’enchaînent à la perfection en dit déjà long sur le sens de la narration dont fait preuve ici le patron du label Oak Editions, qui nous inonde d’images mentales dont la densité n’a d’égale que la vastitude, celle bien évidemment des étendues marines et sous-marines qui renferment encore tant de mystères. Des secrets que Deep tente justement de percer en s’enfonçant plus avant dans les profondeurs claires-obscures via une sorte de bandonéon ou synthé lancinant tandis qu’en surplomb les bruits de la surface - bruissement des vagues et chant des oiseaux - continuent de résonner, comme si le plongeur s’y raccrochait tant bien que mal pour tenir éloignée la claustrophobie des abysses."
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24. Daigo Hanada - Ichiru (Moderna)
"Le Japonais Daigo Hanada évoque solitude, souvenirs érodés par le temps et silhouettes d’amours perdues dont on peine à se remémorer les traits sur ce recueil néo-classique dépouillé et pourtant déchirant de désespoir sous-jacent, mettant en scène un simple piano enregistré dans toute sa nudité. Ichiru, "un fil" en japonais, c’est le fil des souvenirs douloureux que l’on remonte dans le recueillement de la nuit, solitude et regrets qui irriguent, non sans une certaine nostalgie pour ces tendres moments à demi-oubliés, les presque 8 minutes du final Close dont le piano mineur se passe de tout effet pour nous émouvoir dans la plus grande simplicité. Des cascades d’arpèges affligées de Weak Me aux trémolos lointains de Hue et du bien-nommé Solitude, en passant par les échos presque ambient du morceau-titre ou un Butterfly moins plombé mais tout aussi intimiste et mélancolique, l’album coule comme un ruisseau de larmes et bizarrement on y revient pour un regain de tristesse cathartique."
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23. James Murray - Heavenly Waters (Slowcraft)
Introduit en quelques mots dans notre article sur les "artistes incontournables de 2017" dont l’Anglais fait partie, Heavenly Waters dresse un panorama de neuf constellations au gré d’une délicate allégorie de notre fragile sentiment d’éternité. Du spleen pianistique de Columba sur fond de vents stellaires et d’oscillations granuleuses au drone opaque et lancinant agrémenté de percussions-jouets de Vela, James Murray nous invite à une méditation sur l’infini de possibilités de nos propres émotions, provoquant chez l’auditeur des états d’âme difficilement définissables. Quid de l’hypnotique Pyxis par exemple, de son architecture de pulsations électroniques entêtantes et de son piano évanescent ? Mélancolie, paix intérieure, angoisse sous-jacente que l’on refoule au profit d’un confort de façade ? Et les presque 9 minutes iridescentes d’Eridanus ? Oubli de soi, neurasthénie du piano qui s’invite sous forme d’impressions à peine audibles ou espoir des harmonies ascensionnelles ? Ce qui est certain, c’est que le caractère langoureux de cette dernière sortie en date pour son label Slowcraft nous enveloppe comme un cocon (cf. le doux et tristounet Piscis Austrinus, le scintillant Delphinus aux cascades de cordes enivrantes ou encore Puppis et ses quelques accords de piano presque lyriques en comparaison du reste) et que les plus prompts à l’abandon des sens sauront être touchés par la grâce de l’un des plus beaux albums ambient de l’année passée.
Bonus : le morceau Twin Peaks de James Murray :
22. Anjou - Epithymía (Kranky)
Elnorton en parlait très bien par ici, ce second chapitre des aventures de Mark Nelson et Steven Hess de Pan-American avec l’ancien compère du premier au sein de feu Labradford, Bobby Donne, substitue sans avoir l’air d’y toucher à la pastorale urbaine de leur premier opus une dimension plus intérieure et tourmentée, faite du même genre d’abstractions claires-obscures mais flirtant ici avec un drone organique incandescent (Culicinae), un dark ambient somatique tapi dans l’ombre de nos peurs ancestrales (Greater Grand Crossing, Glamr, Georgia), une kosmische musik entêtante (Soucouyant) aux allures d’invasion de l’âme par les désirs primaux de l’épithumia définie par Platon - ce cheval noir des appétits et de la convoitise - ou encore un ambient-jazz forcément sombre et reptilien avec le mouvant An Empty Bank aux affleurements drone de tempête sous un crâne.
21. Ari Balouzian - Western Medicine (Nowness)
Déjà de retour le mois dernier avec l’hantologique et hanté Mood of the Era Vol. 1 aux expérimentations plus synthétiques, celui dont on célébrait les publications il y encore quelques années sous l’alias Cliff Dweller met en avant des cordes viscérales tantôt mélancoliques (Chapel, Poppies), menaçantes (Dervish, le flippant First Snow avec ses samples de discours belliqueux et sa chorale de damnation), lancinantes (The Roof Caved In, Torch) et des percussions mystiques (She Ran) ou plus martiales (Prayers I) sur cette suite évoquant le désert de Syrie, l’austérité et le danger permanent qui y règnent depuis le début de la guerre civile, mais aussi le radicalisme des visions sociales qui s’y confrontent avec pour point commun le mépris de l’humain. Les bénéfices de la vente de cette sortie vinyle aussi poignante que minimaliste seront d’ailleurs intégralement reversés à Médecins Sans Frontières pour aider les victimes de la Bataille d’Alep, vers l’espoir d’un apaisement symbolisé par l’élégiaque Dronal... avant que les drones, les vrais, ne frappent à nouveau.
20. Jessica Moss - Pools Of Light (Constellation)
S’il reste quoi que ce soit des paysages de désolation et des élégies lancinantes des grandes heures du Silver Mt. Zion Memorial Orchestra dont on regrette un peu plus aujourd’hui sortie après sortie l’époque du fabuleux Born Into Trouble as the Sparks Fly Upward, c’est bien du côté de sa violoniste Jessica Moss dont ce deuxième album solo (le premier largement distribué, par Constellation qui plus est) déroule sur trois suites plus ou moins menaçantes (Entire Populations), fantasmagoriques (Glaciers I) ou méditatives (Glaciers II) ses BOs imaginaires d’un monde sur le déclin et autres mantras ténébreux d’extinction de l’espèce humaine (Entire Populations, Pt. II). A la croisée d’un dark ambient à cordes frottées et d’un classique contemporain hanté, Pools of Light rappelle que le post-rock du label canadien en sa période bénie était d’abord une porte ouverte sur des horizons musicaux plus ardus dont les émotions ambiguës et les affleurements de mélancolie déchirants (Entire Populations, Pt. IV) se méritent.
19. Aidan Baker / Simon Goff / Thor Harris - Noplace (Gizeh)
Impressionnant de tension et d’abstraction mêlées, de densité atmosphérique et d’efficacité, Noplace voit l’insaisissable créateur de formes canadien, ici à son instrument de prédilection - une guitare aux effets dronesques ou liquéfiés pour sonner parfois plus proche d’un synthé que d’une six-cordes - dialoguer avec l’ex batteur de Swans et Shearwater, Thor Harris (déjà présent sur quelques titres de l’excellent The Spectrum of Distraction 5 ans auparavant) et le violoniste britannique Simon Goff avec lequel il s’était déjà produit en trio en compagnie du bassiste James Welburn. Qu’il figure en soutien martial (Northplace) voire délicatement syncopé (Noplace II) ou qu’il mène la danse via une dynamique tantôt implacable (Tin Chapel) ou feutrée (Noplace III), Harris ne manque jamais de laisser suffisamment d’espace à Aidan Baker pour développer ses textures en véritables édifices aux effluves rétro-futuristes (Red Robin, Northplace) ou mythologiques (Noplace III, Nighplace) tandis que Goff apporte le soupçon nécessaire de lyrisme capiteux (Noplace I) ou de stridence angoissée (Red Robin) pour tirer la géométrie de l’ensemble vers une forme de dramaturgie presque cinématographique, dans ce genre d’entre-deux qui sied si bien au guitariste de Nadja, ces jams semi-improvisés à la croisée de l’ambient et du space rock capables de focaliser notre attention sur le début d’un crescendo d’intensité pour mieux se jouer de nos sens et nous désorienter l’instant d’après.
Bonus : le morceau Twin Peaks d’Aidan Baker :
18. Chris Weeks - The Grey Ghost Of Morning (Archives)
En bonne position de mon bilan EPs avec son projet Kingbastard qui en remontre désormais à Autechre en matière d’IDM malaisante et déstructurée, Chris Weeks continue également de décliner cette ambient fantasmagorique et embrumée qui a pris le pas ces dernières années (Haverfordia en témoignait en 2016) sur les radiations drone plus cosmiques et claustrophobiques qui ont valu au Britannique pas moins de 5 mentions parmi mes tops ten annuels cette décennie (et au moins autant en format court). Composé cette fois dans un contexte de solitude et d’insomnie alors qu’un retour au Pays de Galles l’isolait de sa fiancée restée aux États-Unis, The Grey Ghost Of Morning voit notre Américain d’adoption triturer toutes sortes de guitares et de basses de toutes sortes de façons (pour un résultat parfois proche d’une symphonie de synthés dronesques comme sur Killing Time ou Escaping Brainfog) pour exprimer cette détresse par moments presque sépulcrale (The Mourning) de la séparation (l’angoissé Empty Nest) et du manque de sommeil (les désincarnés Shuteye et Limbo), la menace de l’aube et de ses tourments de lumière (A Pool of Light), les crépitements humides du brouillard environnant (Spiders & Plugholes) et cette atmosphère d’hallucination permanente qui devient notre quotidien lorsque l’impossibilité de dormir nous transforme en fantôme errant dans la pénombre d’une chambre aux fenêtres barricadées pour tenir à l’écart les faibles rayons d’un soleil matinal (Lonesome Ghost, Phantasm).
17. From the Mouth of the Sun - Hymn Binding (Lost Tribe Sound)
Pas facile de passer après ce qui sera à n’en pas douter l’un de mes albums de la décennie, Aaron Martin et Dag Rosenqvist l’avaient pourtant fait avec le presque aussi sublime Into the Well en optant pour une approche plus contrastée, entre isolation poignante des instruments et crescendos de luxuriance électro-acoustique à l’intensité décuplée. Sur ce troisième opus, inférieur aux deux précédents faute d’ampleur mais sans démériter au regard de cette place de choix, From the Mouth of the Sun alterne entre les deux, d’un côté les micro-symphonies orchestrales et dronesques à la fois du parfait Woven Tide (A Breath to Retrieve Your Body, Grace), de l’autre ces progressions lyriques qui s’étoffent et gagnent en puissance sans rien perdre de leur délicatesse (Light Blooms in Hollow Space, le presque Godspeed-esque Risen, Darkened et sa courte marche apocalyptique émergeant d’un quasi silence) tout en nous gratifiant de quelques plages au réconfort plus épuré et dénudé, à l’image de The First to Forgive et The Last to Forgive ou de l’élégiaque et tintinnabulant Roads aux accords de piano lentement égrenés sur fond de cordes enivrantes.
16. Jacaszek - Kwiaty (Ghostly International)
Si Michał Jacaszek ne renie rien de son goût pour les atmosphères de cathédrale à ciel ouvert aux instrumentations baroques (cordes pincées et claviers anciens délicatement associés à une électronique cristalline, aux exhalaisons des drones et à quelques synthés) et aux textures électro-acoustiques chancelantes, la présence au chant d’une certaine Hanna Malarowska du duo Hanimal et de deux autres vocalistes aux harmonies liturgiques fait de ce Kwiaty l’album le plus pop du Polonais. Mais un album pop tristounet de Paradis Perdu aux mélodies à peu près aussi guillerettes que celle du Summer Make Good de múm il y a une petite quinzaine d’années (To Violets, To Blossoms), dont les fleurs aux couleurs passées seraient d’une beauté trop fragile pour être admirée bien longtemps et les sentiments trop éphémères pour laisser autre chose qu’une douloureuse empreinte dans les cœurs. Inspiré par les poèmes de l’Anglais Robert Herrick qui ne disait pas autre chose sur la brièveté du bonheur et l’imminence de la mort, Kwiaty en est d’autant plus insaisissable, capiteux et finalement fascinant, à la croisée de la passion et du sacré, de l’immédiat et de l’immatériel (To Perenna, To Meadows, et surtout le fabuleux Eternity digne du chef-d’œuvre Treny).
15. Monty Adkins - A Year at Usher’s Hill (Eilean Rec.)
Le label français Eilean Rec. a décidément le nez creux pour avoir débauché l’auteur du sublime Residual Forms de 2014, certainement l’un des plus beaux formats courts de la décennie. Pour cette nouvelle sortie, l’Anglais Monty Adkins privilégie au ballet drone subaquatique fortement contrasté de l’EP en question quelques idiophones cristallins sur fond de hiss et de craquements de vinyle (Radiant Moon), une ambient d’outre-rêve aux claviers irisés (cf. l’hypnotique Solstice) qu’irrigue la lumière du petit jour (An Eden Within, Ushers Hill, Burnt Sun) et surtout un piano au lyrisme délicat, moins impressionniste et en retrait des textures que sur Residual Forms, qu’il soit seul à percer le silence (le bien-nommé Alone, Shifting Ground, Before Sleep), en surplomb de nappes stratosphériques aux liturgies radiantes (Small Steps) ou uniquement paré de discrets échos oniriques (In Memoriam Jacques Hamel, Under A Luna Sky). Résultat, un album de récollections qui ne sent pas le formol pour autant et ouvre au modern classical des horizons singuliers, à la frontière de l’électronica et d’une ambient en cinémascope.
14. Gabriel Saloman - Movement Building Vol. 3 (Shelter Press)
Troisième volet d’une trilogie pour le label français Shelter Press démarrée en 2014 et que l’on peut désormais écouter ici dans son intégralité, Movement Building Vol. 3 permet de retrouver l’ex Yellow Swans dans ces atmosphères de tension martiale et de désolation qui lui sont familières en solo, entre dark ambient de no man’s land urbain rythmé de pulsations cardiaques (What Belongs To You), indus fuligineux aux scories digitales (What Belongs To Love), trémolos de guitare élégiaques (What Belongs To Bass, What Belongs To the Line) et tambourinades belliqueuses d’armée fantôme (What Belongs To the March et ses presque 13 minutes de tranchées où l’on croise piano funèbre, cordes angoissées, drones menaçants et exhalaisons de mort en sursis), du genre de celles qui hantaient le morbide et glaçant Soldier’s Requiem il y a quatre ans déjà. Le meilleur album de l’Américain à ce jour.
13. Hammock - Mysterium (Hammock Music)
A l’exception du dispensable I Would Give My Breath Away et d’un final à la Sigur Rós où la batterie réapparait pour mieux faire faire son petit effet au terme d’un album entièrement dénué de rythmique, le duo de Nashville se débarrasse de ce chant un peu lisse qui avait souvent nui à la mélancolie toute séraphique de son post-rock ambient par le passé et relègue à la néanmoins superbe BO du drame coréano-americain Colombus la tendresse rêveuse des reverbs de guitare pour faire de ce Mysterium un album de deuil aussi poignant qu’épuré, dédié par Marc Byrd à son protégé Clark Kern décédé d’une tumeur en 2016. Cordes élégiaques, piano délicatement lyrique et nappes éthérées s’y mêle aux chœurs liturgiques du Budapest Art Choir pour des ascensions orchestrales dont les élans portent finalement plus d’espoir et de foi en la vie que de tristesse ou de regrets. Les bijoux Mysterium, Elegy et surtout Things of Beauty Burn en témoigneront par vos larmes dès la première écoute : le chef-d’œuvre d’Hammock n’est plus à faire.
12. Brian Harding & Matt Christensen - October II (Autoproduction)
La sortie la plus magnétique du leader de Zelienople en 2017 - enfin parmi celles que l’on a réussi à écouter, parce qu’il y en aura eu pas moins de 30 en tout, dont une majorité de LPs et même un double album - l’associe pour donner suite aux radiantes méditations synthétiques d’October au bassiste des sus-nommés, mais ceux qui s’attendaient à une resucée des rêveries pour guitare amplifiée et Korg stellaire de l’opus précédent risquent d’être surpris par ces trois progressions démesurées allant de 22 à 26 minutes, dont les fantasmagories tantôt dronesques, kosmische ou dark ambient semblent déambuler à vue dans le vide glacé du cosmos, à la pâle lueur d’astres lointains qui se meurent, explosent et disparaissent dans le néant au son des arpeggiators ascensionnels, grouillements analogiques, saturations lancinantes et autres harmonies de synthés au spleen rétro-futuriste orchestrés par l’Américain - une fois de plus l’un des nos artistes incontournables de l’année écoulée.
Bonus : les morceaux Twin Peaks de Matt Christensen avec The Chevrons :
11. Dag Rosenqvist & Matthew Collings - Hello Darkness (Denovali)
Si vous pensiez avec raison que le digital c’est le mal, Dag Rosenqvist (Jasper TX, From the Mouth of the Sun) et Matthew Collings vous réjouiront certainement pour avoir composé la BO idéale de notre époque de rapports humains désincarnés, la tension cinématographique délicate et imposante à la fois du premier se nourrissant du sens du contraste encore plus saisissant qu’à l’accoutumée des collisions entre acoustique baroque, électronica organique et tsunamis de bruit blanc numérique du second, dès l’entame It Was Digital, and It Was Beautiful... car non, malgré le smiley triste qui orne la pochette et le titre évident de ce nouvel opus du Suédois et de l’Écossais (déjà responsables en duo il y a 5 ans de cet EP proprement fabuleux), et par delà la menace tectonique et stridente du dévastateur Renaissance, tout n’est pas complètement ténébreux dans notre univers de 1 et de 0, et du piano aux pulsations animales de You Don’t Have To Tell Me About Hell au drone ascensionnel de The Age of Wire and String, il y a autant de beauté harmonique que de bruitisme malaisant sur ce Hello Darkness à faire figurer en bonne place dans tout panthéon drone/ambient 2017 qui se respecte.
10. 9T Antiope - Isthmus (Eilean Rec.)
L’écurie Eilean Rec., on le répète, aura particulièrement brillé l’an passé, "mais ce que l’on retient le plus du cru 2017 du label cartographique de Mathias van Eecloo c’est ce deuxième opus des Iraniens Nima Aghiani et Sara Bigdeli Shamloo, l’incandescence de ses crins tourmentés et le désespoir capiteux du chant de la seconde en surplomb du chaos ambiant, une découverte assurément tant les disques capables de mêler à un tel degré d’intensité songwriting à fleur de peau et expérimentations atmosphériques (à la croisée ici d’un néo-classique dissonant et de friches dark ambient qu’émaillent déflagrations noisy et field recordings urbains) se comptent sur les doigts d’une main, faisant de cet Isthmus un chef-d’œuvre habité (voire carrément hanté sur Anaphase) à ranger au côté des albums d’Evangelista, du génial Undertow de Sidsel Endresen ou des derniers David Sylvian. "
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9. Ryuichi Sakamoto - Async (Milan)
Confrontant sa prise de conscience d’une inéluctable mortalité suite à un cancer de la gorge qu’il a combattu pendant 3 ans, le père spirituel du classical ambient, maniant ici synthés cosmiques (Stakra), percussions lancinantes (Tri) et discordances angoissées des violons (async) évoque la nature éphémère des plaisirs et des expériences que l’on s’imagine à tort répétables à l’infini (Fullmoon, scandé en plusieurs langues sur fond de stridences digitales par une palanquée d’artistes amis dont Bertolucci, pour qui Sakamoto avait composé la magnifique BO du Dernier Empereur il y a près de 30 ans déjà, et Alva Noto avec lequel il multiplie depuis Vrioon en 2002 les collaborations électro-pianistiques), se remémore avec mélancolie sur le radiant Solari ses rêves d’un futur désormais menacé, mène une marche du condamné dans une campagne hantée sur Walker, dépeint le déclin de la vie qu’un acide vient ronger goutte à goutte au piano préparé sur le bien-nommé Disintegration ou confie à David Sylvian le soin d’en célébrer l’essence sur l’onirique Life, Life au spoken word poétique. Quant au poignant néo-classique d’Ubi zébré de blips froids évoquant quelque respirateur artificiel et surtout le tragique Andata, l’un des morceaux de notre année 2017 irradié de tristesse et de regrets que Fennesz phagocyte de ses métastases dronesques sur fond d’orgue aussi poignant que dépressif, ils sonnent comme autant de rappels à profiter des grands bonheurs et des petits joies que l’existence nous offre avant qu’il ne soit trop tard.
8. Frank Riggio - Psychexcess III - Eternalism (Hymen Records)
"Imaginez un peu à quoi ressemblera son Foley Room une fois parvenu au stade du sixième opus", vous prévenait-on à la sortie du premier volet de cette trilogie consacrée à l’affranchissement spirituel, eh bien il semblerait que Frank Riggio nous ait donné raison avec des morceaux plus longs (en bouche comme en durée), toujours aussi organiques et texturés, extraterrestres et subconscients, rivalisant de tension insidieuse et mutante avec une seconde partie dont on retrouve le goût pour les incursions vocales oniriques (le chant trafiqué du Français prenant même les devants sur Back From Futurism, l’étrangement méditatif ...Of One Human Reality ou le très cinématographique Infinie Galaxie I), mais du côté cette fois d’un infini cosmique aux drones mystiques et cordes troublantes d’une ampleur terrassante (End !, Eternalism, Psychexcess), flirtant autant avec un dark ambient de monastère vénusien (Gy darkscene.org) qu’avec une techno de dancefloor nébulaire (Laisse Passer Le Temps, M108 To M58) pour le plus grand bonheur de nos tympans ébahis devant un tel big bang de dévotion au futurisme dont les excès assumés font toute la beauté.
7. Puce Moment - Ad Noctum (Chez.Kito.Kat)
Éternel défenseur - et à raison bien sûr - de l’excellent label Chez-Kito.Kat, Elnorton nous avait déjà fait part de tout le bien qu’il pense de la procession électro-ambient aux instrus emboîtés de ce second long-format des Lillois Nico Devos et Pénélope Michel. Avec ses drones radioactifs aux zébrures électroniques malaisantes, ses nappes claires-obscures et ses pulsations post-industrielles auxquels viennent tour à tour se joindre un piano sépulcral (ADN), des éclats de batterie kraut (Situations), des digressions stridentes aux interférences radiophoniques abstraites (Reprise) et autres field recordings bourdonnants (sur le magnétique Monolithe), Ad Noctum est un chef-d’œuvre de progression hypnotique et rampante, culminant sur les 10 minutes de crescendo abrasif et palpitant (dans les deux sens du terme) du faramineux G&G, assurément l’un des morceaux les plus absorbants de l’année.
6. thisquietarmy - Métamorphose (Grains of Sand / TQA Records)
Alors que beaucoup ont mis en avant cette année le drone à synthés urbains et inquiétants de l’excellent Democracy of Dust au final kosmische à souhait (qui aurait terminé chez moi vers la 25e place de ce classement), c’est cette Métamorphose métaphysique aux monolithes de lumière noire aussi magnétiques qu’imposants qui aura eu ma préférence, tant par l’ampleur insoupçonnée (lorsqu’on les écoute dans de bonnes conditions) de ses crescendos bourdonnants aussi minimalistes et corrosifs que ceux des meilleurs Cezary Gapik que pour l’enivrant malaise presque physique qu’ils procurent mais aussi l’histoire qu’ils racontent via leurs titres à rallonge une fois assemblés, ode poétique signée Meryem Yildiz à l’acceptation du changement et à la domestication du nouveau Soi, on ne peut mieux symbolisée par la sensation de familiarité voire presque de confort que l’on finit par ressentir à mesure que l’album déroule ses 128 minutes d’introspection aux harmonies plus ou moins abrasives, érodantes ou ascensionnelles. Déjà l’un des sommets à réévaluer de la pléthorique discographie du Montréalais Eric Quach.
5. Olivier Alary - Fiction / Non-Fiction (FatCat)
Admirateur des atmosphères impressionnistes et pastorales de son projet Ensemble et fan de bandes originales, cette compilation d’extraits de 5 ans de musiques de films et de documentaires signées Olivier Alary ne pouvait que fortement me parler, surtout quand ce Fiction / Non Fiction du Montréalais d’adoption revêt des allures d’album à part entière. Dans la lignée de sa BO remarquée du docu Up the Yangtze d’il y a 10 ans dont on parlait ici mais aussi des incursions ambient-jazz et néo-classiques du génial Excerpts sur lequel on notait déjà l’influence orchestrale sensible de compositeurs japonais de cinéma tels que Joe Hisaishi ou Shigeru Umebayashi (le poignant Yu Shui ou encore le délicat et troublant Arivee réminiscent des grandes heures de Thomas Newman en sont de nouvelles preuves ici), Fiction / Non Fiction flirte avec les variations minimalistes en flux tendu de Philip Glass ou Steve Reich (Pulses for Percussion et Pulses for Winds), avec les cuivres engourdis par le froid scandinave chers au label Rune Grammofon (sur un The Dreaming introspectif et tout en retenue comme sur le très lyrique et luxuriant Flooding, sommet émotionnel du disque) voire avec un drone à la dramaturgie plus abstraite et languissante qui n’est pas sans évoquer les BOs de feu Jóhann Jóhannsson (du mystique Autodrome aux élégies chorales de l’Epilogue en passant par les nappes de violoncelle de Foret) mais ne ressemble bien souvent qu’à lui-même, comme sur le fabuleux Defeat où un bandonéon lancinant vient magnifier des méditations pianistiques à la Satie ou encore Nollywood où électronique évanescente et musique de chambre songeuse tourbillonnent de concert. Mélancolie et onirisme suintent aussi bien du piano solo désarticulé de Qin que de l’ambient dissonante de Juanicas dans son océan de quasi-silence ou des cordes inquiétantes de Dancing Bottle, et c’est finalement cette sensation de suspension aux confins des rêves et de l’éveil (Khaltoum) qui fait toute la cohérence et la beauté de ce petit bijou.
4. Gimu - Senses (Unknown Tone) / Gone Again, Haunted Again (Aurora Borealis)
Ça fait un plaisir fou de retrouver le Brésilien, l’un de nos artistes de 2017 encore trop souvent laissé pour compte des bilans de fin d’année des amateurs de drone racé de par son éternel statut d’autoproduit, avec deux de ses plus belles sorties sur deux labels qui le valent bien, à commencer par Gone Again, Haunted Again d’abord lâché en 2016 en exclu pour la rédaction d’IRM puis "tombé dans l’oreille affûtée de l’écurie ambient d’outre-Manche Aurora Borealis pour finalement bénéficier d’un mastering et d’une sortie (cassette et digitale) à la hauteur de ces troublantes rêveries fantomatiques aux pulsations éparses, engourdies par les vents polaires (Beneath The Icy Shell) qui ne manquent pas de souffler sur ce genre de purgatoires désespérés." Un album qui "s’inscrit dans cette veine à la fois majestueuse et vacillante, éthérée et massive, fragile et d’envergure presque mythologique qu’on préfère chez le Brésilien. Avec ses regrets d’un futur jamais concrétisé et balayé par les marées du temps, Gone Again, Haunted Again n’hésite pas convoquer des crépitements corrosifs parfois proches du harsh noise sur Mercy Is a Dead Word ou encore, sur In the Ether et de façon plus assourdie sur Posology, les réminiscences d’une ère industrielle aux martèlements désagrégés par les années." L’écurie de Tulsa Unknown Tone Records a pour sa part choisi de défendre le tout aussi superbe Senses, moins hanté peut-être mais aux abîmes de radiations abrasives et d’érosion mélancolique encore plus vertigineux (Worlds Within Worlds, Purer), chœurs de purgatoire (Bygones) et reflux post-indus vaporeux (Light Lilac) s’entremêlant aux maelströms des nappes de drones granuleux pour évoquer les rivages infinis d’un imaginaire intérieur menacé par les tsunamis de la réalité.
< lire la chronique de Gone Again, Haunted Again >
3. Cadlag - Votivkirche (Pharmafabrik Recordings)
Fidèle à son habitude de sortir des disques à la mi-décembre alors que tout le monde a déjà la tête dans le guidon des bilans, le collectif slovène Cadlag nous gratifiait en toute fin d’année d’une "seconde performance live enregistrée quelques mois tout juste après la première, avec le même line-up mais cette fois à Votivkirche, la fameuse Église Votive de Vienne en Autriche, dont l’espace architectural et la reverb naturelle servent forcément les progressions insidieuses et de plus en plus abrasives cette piste unique d’une quarantaine de minutes. Un pugilat de machines et guitares à huit mains encore plus imposant et malaisant que le précédent, qui déverse peu à peu son blizzard d’échardes analogiques et ses murs de bruit blanc viciés dans nos tympans sur fond d’épaisses couches de drones sépulcraux et de synthés irradiés, pour ce qui ne manquerait pas d’être une parfaite mise en son de l’architecture néo-gothique des lieux si la cathédrale en question s’élevait sur une pile de cendres et d’os broyés dans un décor post-apocalyptique aux nuits sans fin." Dépêchez-vous, il en reste peut-être des téléchargements gratuits en exclu pour les lecteurs d’IRM ici !
2. Andrea Belfi - Alveare (IIKKI)
Sur Alveare, album qui l’associe à la géométrie des architectures de béton de Matthias Heiderich sous la bannière du label IIKKI de Mathias van Eecloo, le génial expérimentateur italien de B/B/S/ confronte son "drumming à la croisée d’une musique tribale vénusienne (Passo), d’un jazz revisité par Can (Grigio) et d’une ambient mystique (Statico et ses percussions monastiques) à un foisonnement micro-électronique entêtant qui dès le superbe Vano ouvre sur l’infini cosmique d’un va-et-vient de drones de synthés lancinants, de glitchs vibrants et de sinusoïdes spectrales, offrant à ces longs serpentins hypnotiques une dimension paradoxalement organique et désincarnée à la fois, quelque part entre le Gastr Del Sol de Camoufleur (on ne s’en étonnera pas vraiment, l’Italien collaborant régulièrement avec David Grubbs au sein du trio Belfi/Grubbs/Pilia) et les pulsations algébriques chères au label allemand Raster-Noton".
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1. Valgeir Sigurðsson - Dissonance (Bedroom Community)
"Délaissant ici les secousses digitales plus avant-gardistes de l’impressionniste et impressionnant Architecture of Loss pour se concentrer sur le travail d’orchestration, Valgeir Sigurðsson découpe les sessions instrumentales de l’ensemble Reykjavik Sinfonia et en réorganise les sections en couches démultipliées, inventant en quelque sorte l’orchestre virtuel pour démontrer que l’on n’a pas forcément besoin d’incursions électroniques marquées pour signer une symphonie saisissante sans verser dans le passéisme au 21e siècle. Que de chemin parcouru par le producteur islandais entre l’électronica de son Ekvílibríum initial et les 22 minutes de crescendo massif et incandescent du morceau-titre - et pièce maîtresse - ouvrant ce Dissonance, tourbillon de lignes de viole de gambe frottée, frappée, malmenée, brûlée au chalumeau qui sait, dont les harmonies tourmentées et autres drones orageux au second plan pulvérisent tout sur leur passage, à commencer par nos tympans sidérés par tant d’intensité."
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Cet article est dédié à Jóhann Jóhannsson... RIP.
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- IRM Expr6ss #14 - ces disques de l’automne qu’on n’a même pas glissés dans l’agenda tellement on s’en foutait : Primal Scream ; Caribou ; Tyler, The Creator ; Amyl and the Sniffers ; Flying Lotus ; The Voidz