6 questions à Crookram : découvrez Clouds Are Free (sortie le 1er novembre)
Du déjà culte Through Windows (2010) à l’irrésistible Butterflies qui devrait finir en bonne place de nos classements de fin d’année à en juger par cette pôle position dans notre top albums d’avril dernier, Crookram est devenu l’un des musiciens favoris de la rédaction, et même lorsque ses instrus désarmants de spleen aérien et de nostalgie de l’enfance se font plus sombres et tourmentés à l’image du génial But Sometimes My Arms Bend Back enregistré pour notre compil’ Twin Peaks qui nous avait déjà donné l’occasion d’interviewer le Néerlandais sur le thème de la série culte en décembre 2016, on reste béat d’admiration devant le talent de beatmaker kaléidoscopique de ce féru de samples obscurs.
Autant dire qu’à l’annonce d’un nouvel album quelques mois seulement après un Butterflies qui s’était fait attendre pendant de longues années, on n’a pas pu résister à la tentation d’investiguer davantage sur l’inspiration et les influences du bonhomme, qui nous a fait l’honneur après une écoute exclusive de ce Clouds Are Free à paraître le 1er novembre prochain d’en offrir deux extraits à nos lecteurs, dont l’un en exclusivité.
IRM : Clouds Are Free sort 7 mois à peine après Butterflies, alors que nous avions dû patienter 7 ans pour découvrir le successeur de Through Windows. Comment expliques-tu ce soudain pic de créativité ?
Crookram : J’aime qu’un album soit plus qu’une simple collection de tubes. J’aime l’idée des albums concepts et je structure mon propre travail de cette manière. Mais parfois, cela peut prendre un certain temps avant de trouver le bon thème, et les morceaux qui puissent y correspondre. Je suppose que je suis aussi tombé dans le piège d’essayer d’être trop perfectionniste et de rester bloqué sur des détails ; j’étais mon pire critique. Parfois, aucun morceau n’était assez bon et je voulais juste arrêter la musique. J’ai également subi une dépression pendant toutes ces années, ce qui n’a pas aidé. C’est pourquoi Butterflies a mis si longtemps à voir le jour.
Mais, comme je suis sûr que beaucoup de producteurs le savent, tu n’arrêtes jamais de créer de nouveaux morceaux. J’ai donc beaucoup de titres qui n’ont jamais évolué au-delà de leur phase de construction initiale, et de nouveaux morceaux s’ajoutent fréquemment à cette liste. Certains d’entre eux ne s’avéreront jamais être assez bons, d’autres ne sont en fait que des griffonnages jamais destinés à être publiés. Et puis il y a ceux qui ont du potentiel mais dont l’heure n’est pas encore arrivée. Clouds Are Free contient quelques-uns de ces titres. Ils étaient déjà là, attendant d’être redécouverts. Il ne s’agissait que de les dépoussiérer et de les retravailler dans le thème de l’album. Comparé à Butterflies, Clouds Are Free a été un jeu d’enfant à enregistrer, de la conception à la finition.
IRM : Clouds Are Free is coming out only 7 months after Butterflies, while we had to wait 7 years for the follow-up of Through Windows. How do you explain this peak of creativity ?
Crookram : I like an album to be more than just a collection of hits. I love the idea of concept albums and I structure my own work to be like that. But sometimes it can take a while before you find the right theme, and the tracks that fit with that theme. I guess I also fell into the trap of trying to be too perfectionist and getting stuck up on details, and being my own worst critic. Sometimes no track was good enough and I wanted to just quit music altogether. It didn’t help that I was having a fit of depression as well during those years. That’s why Butterflies took so long to come out.
But, as I’m sure many producers know, you never stop creating new tracks. So I have a lot of tracks that have never evolved beyond the initial build phase, and new tracks get added to that list frequently. Some of those will never turn out to be any good, some are basically just doodles never meant for publication. Then there are some that do have potential but the time just isn’t right. Clouds Are Free contains a few of those tracks. They were already there, waiting to be rediscovered. It was just a matter of dusting them off and working them into the album theme. Compared to Butterflies, Clouds Are Free has been a breeze to create from concept to finish.
Fidèle à son titre, Clouds Are Free s’avère plus léger, plus rétro peut-être que Butterflies mais habité par un même sentiment de nostalgie, était-ce ton intention dès le départ ?
Ouais, j’ai spécifiquement organisé cet album autour d’un sentiment d’insouciance, d’espièglerie et d’innocence. C’était quelque chose dont j’avais besoin. Après tant d’années à lentement laisser grandir le cynisme, je voulais m’assurer que je n’avais pas complètement perdu mon âme d’enfant. Ça semble un peu ringard j’imagine, mais je pense que ce serait bien si plus de gens se penchaient sur la question à un moment de leur vie. Le monde irait bien mieux avec un peu moins de cynisme et un peu plus d’espièglerie ces temps-ci.
Faithful to its title, Clouds Are Free ended up being lighter, more retro maybe than Butterflies with the same feeling of nostalgia all along, was it your intention from the start ?
Yeah, I specifically themed this album around the feeling of carefree, playful, innocence. It’s something that I needed to do. After so many years of slowly growing cynicism I wanted to make sure that I had not completely lost my inner child. It sounds kind of corny I guess, but I think it would be good if more people examined this for themselves at some point in their lives. The world could do with a little less cynicism and a little more playfulness these days.
Magic Moon, un extrait exclusif de ce nouvel opus en vidéo :
Ça va sans doute sonner comme la question de la poule et de l’œuf, mais on se demande toujours un peu, avec une musique à base de samples telle que la tienne : habituellement, le sample parfait vient en premier, inspirant le reste du morceau, ou est-ce la mélodie, l’ambiance d’un titre déjà sur les rails qui te fait creuser pour les bons échantillons ?
Les deux, vraiment. Habituellement, les nouveaux titres naissent d’un sample étonnant qui donne le ton, et je construis le reste à partir de là. Parfois, je crée les drums en premier. Mais je commence rarement avec une idée vraiment précise de ce que je veux créer exactement. Tout se fait de façon très intuitive, c’est basé sur mon ressenti à ce moment-là. Mais lorsque le morceau a dépassé l’étape initiale du "squelette", je cherche souvent spécifiquement certains sons à lui rajouter. C’est pratique d’avoir une énorme bibliothèque de samples. (sourire) Puis, une fois que j’ai le thème de l’album en tête, il s’agit de sélectionner des morceaux qui me plaisent, qui correspondent au thème et qui fonctionnent bien les uns avec les autres.
It may sound like a chicken and egg kind of question but it always makes us wonder, with sample-based music like yours : usually, is the perfect sample coming first, inspiring the rest of the track, or is it the melody, the mood of a track already in the works that make you dig for the right samples ?
Both, really. Usually new tracks start with one amazing sample which sets the tone, and I build from there. Sometimes I create the drums first. But I rarely start out with a really specific idea of what I want to create exactly. It’s all done very intuitively, based on how I’m feeling at that moment. Though once the track is past the initial ’skeleton’ build I do often specifically search for certain sounds to add to it. It’s practical to have a huge sample library. (smile) Then, once I have the album theme in my head, it’s a matter of selecting tracks that I am happy with which fit the theme and work well with each other.
Warm Hugs, également extrait de Clouds Are Free :
On te compare souvent aux Avalanches (et Clouds Are Free en garde un peu l’esprit, en particulier sur l’intro The Lick et le break de Warm Hugs) ou RJD2, mais les BOs de films semblent être une bien plus grande influence sur ta musique, de Morricone à Goran Bregovic. Peux-tu nous citer quelques musiciens qui ont été particulièrement importants pour toi au fil des années ?
Les BOs des années 60 et 70 sont effectivement une grande influence, tout comme la "library music". Ennio Morricone a toujours été mon favori. C’est un vrai génie, inégalé par qui que ce soit dans le genre. Et puis il y a tant de grands musiciens aux productions libres de droits comme Alessandro Alessandroni, Stelvio Cipriani, Janko Nilovic, Keith Mansfield, Piero Piccioni, trop pour tous les nommer. Ces dernières années, je me suis vraiment plongé dans les musiques populaires brésiliennes des années 70 comme Marcos Valle, Arthur Verocai, Hareton Salvanini, João Donato, etc. J’adore les ambiances chaleureuses et positives des artistes post bossa-nova, leur musique est incroyablement exaltante et si bien orchestrée !
Tu remarqueras que je n’ai mentionné que des artistes prolifiques dans les années 60 ou 70. (sourire) L’un des albums "modernes" peut-être le plus influent pour moi c’est Endtroducing de DJ Shadow. Il est vraiment seul tout là-haut, pas même égalé par ses propres travaux plus récents. Je suis également un grand fan du hip-hop East Coast des années 90 (DJ Premier, Nas, DITC, A Tribe Called Quest, etc), qui ressort généralement dans mes morceaux d’une manière ou d’une autre. Enfin, je voudrais donner un coup de chapeau à mon bon ami Alexander von Mehren, dont la musique fabuleuse a été, et reste, vraiment réconfortante et inspirante.
(une collaboration hip-hop avec INC sur l’excellent EP 19/76 (2008), toute première sortie du Néerlandais)
We often compare you to The Avalanches (and Clouds Are Free still carries on some of that vibe, especially on the intro The Lick and the break of Warm Hugs) or RJD2, but movie soundtracks seem to big a bigger influence on your music, from Morricone to Goran Bregovic. Can you name a few musicians that have been particularly important to you over the years ?
Soundtracks from the 60s and 70s are indeed a big influence, as is library music. Ennio Morricone has always been a favorite. He is a true genius, unmatched by anyone in the business. Then there are so many great library musicians like Alessandro Alessandroni, Stelvio Cipriani, Janko Nilovic, Keith Mansfield, Piero Piccioni, too many to name them all. For the past years I have been really delving into 70s Brazilian MPB music like Marcos Valle, Arthur Verocai, Hareton Salvanini, João Donato etc. I love the warm, positive vibes of MPB artists, their music is so incredibly uplifting and well orchestrated !
You’ll notice I’ve only mentioned artists who were prolific in the 60s or 70s. (smile) One of perhaps the most influencial "modern" albums for me is DJ Shadow’s Endtroducing. It really stands alone, not even matched by his own other newer work. Also I am a big fan of early to mid 90s east-coast hiphop (DJ Premier, Nas, DITC, A Tribe Called Quest, etc), which is what usually comes back in my tracks in one way or another. Finally I want to give a shout-out to my good friend Alexander von Mehren, whose amazing music has been, and still is, really uplifting and inspirational.
Introduit comme le "king of beasts" sur Like A Cat (Butterflies) et ronronnant désormais tout au long du tendre C’est Si Simple, le chat c’est un peu le lien secret entre tes deux derniers albums... es-tu un "homme à chats" ?
Pour ma part, j’accueille à bras ouverts nos nouveaux chats suzerains. J’ai un chat qui s’appelle Marcos, d’après le musicien Marcos Valle. Cela donne peut-être un indice sur l’un de mes morceaux de l’album Butterflies. (clin d’oeil) Il a la vie facile, il n’a pas à s’inquiéter des factures, du travail, des interactions sociales, des insécurités humaines. Il lui suffit d’être un chat. Je le nourris, nettoie derrière lui, lui donne beaucoup d’attention et lui fournis un endroit confortable où dormir et traîner. C’est si simple !
Introduced as the "king of beasts" on Like A Cat (Butterflies) and now purring all over the tender C’est Si Simple, cats are kind of a hidden link between your last two albums... are you a cat person ?
I, for one, welcome our new cat overlords. I have a cat that I named Marcos, after the artist Marcos Valle. Might give you a clue about one of my tracks on the Butterflies album. (wink) He has the easy life, not having to worry about bills, work, social interactions, human insecurities. He just has to be a cat. I feed him, clean up after him, give him lots of attention and provide a comfortable place to sleep and hang out. C’est si simple !
By The Way est peut-être la plus belle conclusion de n’importe lequel de tes disques jusqu’ici, y a-t-il une histoire derrière ce titre ?
Je te remercie ! C’est l’un des nombreux morceaux que j’ai commencés à un moment donné, puis que je n’ai plus touchés pendant des années. C’est un bon exemple du fait qu’il ne faille pas rejeter quelque chose parce que c’est vieux. Si le potentiel est là, alors ça finira éventuellement par servir. Je n’aurais jamais pu utiliser ce titre auparavant, mais maintenant je suis dans l’état d’esprit adéquat pour vraiment le ressentir. Et ça correspond parfaitement au thème de ce nouvel album. Je l’ai intitulé By The Way parce que, d’après mon expérience, même si vous pensez que tout est fini, il y aura toujours quelque chose d’autre qui vaudra la peine d’être exprimé à travers la musique.
By the Way may be the most beautiful closer of any of your releases so far, is there a story behing this track ?
Thank you ! This is one of the many tracks that I’ve started at some point, and then not touched in years. It’s a good example of how you can’t dismiss something because it’s old. If there is potential, then eventually it will be used. I would not have been able to use this track before, but now I’m the right state of mind to totally feel it. And it fits perfectly with the theme of this new album as well. I named it By The Way because in my experience, even if you think it’s all over there will always be something else that is worth expressing through music.
Un grand merci à Crookram pour cette avant-première et pour avoir pris le temps de répondre à nos questions. Retrouvez ci-dessous sa participation exclusive à notre compilation IRMxTP, en téléchargement libre avec le volume III, Through the Darkness of Future Past (Lonely Souls) :
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