Ben Lukas Boysen - Spells
1. The Veil
2. Nocturne 3
3. Sleepers Beat Theme
4. Golden Times I
5. Nocturne 4
6. Keep Watch
7. Golden Times II
8. Selene
Sortie le : 10 juin 2016
On entend déjà d’ici les fans hardcore de Hecq hurler à la perte d’identité... Pourtant si ce Spells n’a rien de l’abysse texturé de Night Falls et Mare Nostrum ou de la cosmogonie entropique de ses premiers travaux IDM brièvement ressuscités il y a quelques années par la collection d’inédits Horror Vacui, c’est bien le même souffle sacré (cf. les chœurs de synthèse du post-rockeux Nocturne 4) qui habite les compositions certes un peu lissées de cette première sortie pour Erased Tapes, mais dont l’ardeur limpide et désarmante n’a rien à envier par exemple, en plus apaisée bien sûr mais tout de même, à celle du génial Hidden Orchestra (en témoigne entre autres la batterie downtempo bien balancée de Nocturne 3). Un maître de l’expérimentation discrète au service de l’émotion et de l’élan lyrique dont Ben Lukas Boysen égale ici l’équilibre parfait entre épure des compositions, densité de production et lisibilité, devenant au classical ambient ce que l’Anglais est au jazz et au trip-hop, un formidablement passeur entre modernité et tradition, exigence et accessibilité.
Néanmoins, dans la continuité du très beau Gravity et de son piano impressionniste et solennelle à la fois dont les méditations tiraient par moments sur la mystique du drone ou l’intensité dramatique du post-rock, Spells évoque aussi et surtout Nils Frahm - tête de gondole du label londonien et compatriote berlinois croisé au piano sur l’OST Restive, il s’est chargé du mastering de ce nouvel opus et n’a vu que du feu aux collages pianistiques d’un Boysen pas encore maître de l’instrument en prise directe. Mais à l’exception d’un Selene à nu dont la gravité sur fond de hiss discret convoque en plus tragique l’atemporalité des compos de Screws ou de Felt, l’ensemble s’avère nettement plus dynamique et richement arrangé, affublé par ici de cascades de guitare acoustique suspendues dans l’éther (la sérénade fervente Sleepers Beat Theme ; The Veil et ses faux-airs de Gustavo Santaolalla), par là de cordes élégiaques et de saturations vintage pour un crescendo cinématographique à souhait (Golden Times I), plus loin d’un violoncelle suranné que l’on croirait tout droit sorti d’un concerto baroque (Keep Watch) ou enfin, sur Golden Times II, de beats profonds et assourdis bientôt rejoint par la batterie, les cordes et les synthés pour un final aux allures de requiem d’outre-rêve.
C’est donc finalement l’OST Mother Nature il y a trois ans qui nous avait le mieux préparés à ce nouveau tournant dans la discographie sans cesse surprenante de l’Allemand, très certainement sur la voie du consensus critique avec un album taillé pour toucher la corde sensible d’un nouveau public et néanmoins suffisamment subtil pour ne pas s’aliéner l’ancien, voire même, dans notre cas, le conquérir sans l’ombre d’une hésitation.
Puisqu’il n’y a pas de mal à se faire du bien, surtout avec des disques d’aussi bonne facture, un second avis n’était pas de trop pour relayer le dernier effort du véritable boulimique de travail qu’est Ben Lukas Boysen.
Probablement plus connu sous le pseudonyme de Hecq, avec lequel il a déjà signé une dizaine d’albums parmi lesquels le sublime Mare Nostrum dévoilé l’an passé, l’artiste choisit plus ponctuellement de signer certaines œuvres sous son véritable patronyme. Cela ne lui était plus arrivé depuis 2013, année durant laquelle il signait à la fois le formidable Gravity et la BO de Mother Nature. Souvent plus minimalistes, ces productions n’en sont pas moins passionnantes, bouleversantes et aventureuses.
Alors que dire de ce Spells, qui signe l’arrivée de Ben Lukas Boysen au sein de l’écurie Erased Tapes ? La production signée Nils Frahm – excusez du peu – est suffisamment subtile pour apporter une évidente plus-value sans pour autant prendre le dessus sur la personnalité de son compatriote.
Spells est un disque cinématographique et mélancolique et ce n’est probablement pas un hasard si, à l’instar de Keep Watch, certains titres évoquent la bande originale de la série Broadchurch signée Ólafur Arnalds, autre pensionnaire du label Erased Tapes.
Si le piano reste l’instrument le plus utilisé – parfois de manière très dépouillée comme sur le Selene final – l’Allemand convie néanmoins d’autres cordes, du violoncelle d’Anton Peisakhov sur Golden Times I à la harpe de Lara Somogyi sur un Sleepers Beat Theme rappelant le Sufjan Stevens d‘Illinoise sur certaines séquences.
D’autres influences prestigieuses émaillent l’odyssée que constitue l’écoute de cet album, et Nocturne 4 en est probablement l’exemple le plus illustre, se permettant des similitudes avec le Radiohead de In Rainbows (Videotape), le versant ambient de Moby époque Play (impression également perceptible sur Golden Times II) ou encore Explosions In The Sky lors de l’explosion – justement – suivant une montée progressive en cours de morceau.
Pour autant, l’évocation de l’univers de ces illustres influences ne réduit pas Ben Lukas Boysen à un vulgaire ersatz. Ce dernier a déjà prouvé, sous l’étiquette Hecq, qu’il était un formidable touche-à-tout doté d’une véritable singularité. En produisant un album plus épuré, propice aux songes et parfois lunaire, il lui fallait bien intégrer quelques éléments annexes pour rompre toute amorce de monotonie. C’est à ce prix, lors des variations parfois inattendues, qu’émergent le plus souvent les références susmentionnées.
Le monde se partage probablement entre deux types d’artistes : ceux qui cherchent à reproduire les recettes qui fonctionnent et ceux qui préfèrent emprunter les chemins de traverse. L’auteur de Spells appartient à la deuxième catégorie et si son propos rappelle ponctuellement celui d’autres artistes, ce n’est pas avec le souci d’imiter quiconque mais plutôt parce qu’il possède un supplément d’âme qui relève, au choix, du génie ou de la clairvoyance.
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