Eels - The Cautionary Tales Of Mark Oliver Everett
On n’attendait pas un nouvel opus si rapidement. Un an après l’excellent Wonderful, Glorious, Eels est de retour avec The Cautionary Tales Of Mark Oliver Everett.
1. Where I’m At
2. Parallels
3. Lockdown Hurricane
4. Agatha Chang
5. A Swallow in the Sun
6. Where I’m From
7. Series of Misunderstandings
8. Kindred Spirit
9. Gentleman’s Choice
10. Dead Reckoning
11. Answers
12. Mistakes of My Youth
13. Where I’m Going
La discographie des Américains est riche. De 1996 à 2005, elle ressemble même à un sans faute absolu. Sur cette période, Eels livre six disques oscillant entre le chef-d’œuvre absolu (Electro-Shock Blues ou Beautiful Freak) et le très bon.
Et ensuite ? Ensuite, Mark Oliver Everett, le leader de la formation a écrit une autobiographie intitulée Things The Grandchildren Should Know. On y retrouvait le personnage que l’on aime, génial (la qualité de ses textes laissait déjà supposer une certaine aisance plume en main), à fleur de peau, plein d’humour et modeste.
Pas le genre d’individu auto-centré, en somme. Et dans la foulée, après quatre ans de hiatus, Eels accouchait de trois albums sur une période de deux ans. Malgré le très bon Hombre Lobo, cette trilogie présentait un E ayant vieilli, s’interrogeant sur l’approche de la mort (notamment sur End Times).
Ces questionnements, il ne les a jamais vraiment mis de côté. En effet, à la suite de cette trilogie, Mark Oliver Everett convie ses musiciens pour enregistrer quelques morceaux extrêmement personnels. Mais la genèse est délicate et l’Américain trouve que le résultat manque d’authenticité. "J’ai décidé de mettre de côté plus de la moitié des chansons pour en écrire de nouvelles plus inconfortables. Si je ne suis pas mal à l’aise avec mes morceaux, ça ne me convient pas. J’avais besoin de creuser un peu plus".
Mais entre-temps, il rappelle ses musiciens pour quelques sessions d’enregistrement qui seront le point de départ de l’excellent Wonderful, Glorious, sorti l’an passé. Ce disque fut le premier écrit par le groupe dans sa globalité, et lorgnait vers l’énergie rock de Souljacker, quatrième disque de Eels.
Après cette longue tournée, E ajoute de nouveaux morceaux et finalise The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett. Un titre somme toute pompeux, mais qui a le mérite d’annoncer la couleur. Ce disque sera très personnel et introspectif. La pochette confirme la tendance. Après Souljacker, ce n’est que la seconde fois (voire la troisième si l’on inclue l’ombre de sa silhouette sur Hombre Lobo) que le visage de Mark Oliver Everett sert à illustrer le disque. Et pour le coup, c’est même en gros plan qu’il s’affiche.
Vous l’aurez compris, E ne triche pas sur The Cautionary Tales of Mark Oliver Everett. A-t-il d’ailleurs déjà triché ? On parle d’un type qui aurait pu être une machine à tubes taillés pour la radio, et a préféré maintenir le cap de l’authenticité et l’honnêteté. Grand bien lui en a toujours pris, et ce disque n’en est qu’une nouvelle confirmation.
L’opus s’ouvre sur Where I’m At avec des vents et un piano qui ne sont pas sans rappeler le live Oh, What A Beautiful Morning, enregistré sur la tournée de Daisies Of The Galaxy. On ne retrouvera pareille tendance que sur Where I’m Going, dernier titre qui reprend ce même thème dont la partie au piano a de faux airs de A Line In The Dirt. C’est une véritable épanadiplose narrative que nous propose E. Le disque se referme sur lui-même, comme s’il ne devait jamais s’arrêter. Est-ce là un message que Mark Oliver Everett souhaite faire passer dans ce disque personnel ?
Globalement, le disque rappelle fortement Blinking Lights And Other Revelations, l’autre album introspectif de la discographie des Américains. C’est particulièrement criant sur la rythmique presque galopante d’un titre comme l’imparable Where I’m From, Answers ou même Serie Of Misunderstandings qui n’est finalement pas très éloigné de ce que pourrait être une version instrumentale de Theme From Blinking Lights.
Mais jamais Mark Oliver Everett ne se singe. Il a déjà donné sur End Times, en 2010, où il reprenait la base de Manchester Girl, titre qu’il avait réalisé alors qu’il officiait en solo sous l’étiquette de E pour former le très poignant A Line In The Dirt, dont le seul défaut était finalement son absence d’originalité. End Times constitue néanmoins l’album auquel on pense le plus souvent.
Les titres épurés, où seuls résonnent les arpèges et la voix de E, voire une discrète ligne de cordes, sont légion. Mais contrairement à End Times, où l’inspiration du natif de Virginie nous faisait pour la première fois craindre un déclin futur, The Cautionary Tales Of Mark Oliver Everett a les moyens de ses ambitions.
On se rend compte qu’il est inévitable de parler de l’artiste au singulier du fait du caractère intimiste et dépouillé de l’album. S’il a définitivement mis les bidouillages électros d’Electro-Shock Blues de côté, E est désormais à ranger du côté des grands sages à la classe et à l’aura évidentes. Il s’est assagi. Dans la démarche, on pourrait même observer l’amorce d’un virage vers une folk qu’il avait commencé à titiller dès Shootenanny ! en 2003.
En effet, sur quelques titres, Gentleman’s Choice en tête, voire Dead Reckoning, E prend son temps. Plus que jamais. L’auditeur distrait s’ennuiera. Ceux qui prendront la peine de s’y immerger apprécieront. Mais les plus belles réussites de l’album sont encore ailleurs. Comme dit précédemment, on pense ici souvent à End Times, si ce n’est que l’inspiration serait cette fois pleinement au rendez-vous. Everett nous propose donc des chansons à la dimension mélodique imparable. On pense à Agatha Chang, A Swallow In The Sun, mais surtout Parallels dont la construction, la simplicité déconcertante et le caractère addictif évoquent Elliott Smith et dont le titre fait évidemment référence à la théorie des mondes parallèles découverte par un certain Hugh Everett, père de.
Il nous reste encore deux morceaux formidables à évoquer. Pour commencer, la fausse candeur de Kindra Spirit rappelle la délicieuse époque de Daisies Of The Galaxy. Mais il y a surtout Mistakes Of My Youth qui figure déjà parmi les plus beaux de l’incroyable discographie de Eels. La recette est pourtant simple mais, outre son songwriting de génie et sa voix hypnotique, c’est sans doute, encore une fois, l’authenticité dont Mark Oliver Everett a fait son leitmotiv qui donne une dimension supplémentaire à la chose.
Vous l’aurez compris, The Cautionary Tales Of Mark Oliver Everett est un disque introspectif dont la démarche congruente est indéniable. Surtout, après Wonderful, Glorious, E prouve qu’il est dans une période artistiquement faste. Il ne s’agit pas d’un disque noir ou désespéré comme l’Américain a pu en réaliser par le passé. Il n’en reste pas moins qu’il n’a toujours pas vaincu ses vieux démons.
Ne reste plus qu’à l’auditeur d’accepter que l’on n’a plus affaire au génial expérimentateur officiant sous l’étiquette de Mc Honky ou sur Electro-Shock Blues, mais plutôt à un loup solitaire produisant des disques de chambre éclaboussés, eux aussi, du talent de leur auteur.
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