La Colonie de Vacances - Gaîté Lyrique (Paris)
le 22/06/2013
La Colonie de Vacances - Gaîté Lyrique (Paris)
Les colonnes de marbre de la Gaîté Lyrique ont la couleur du sang qui coule dans les veines de ceux qui faisaient trembler ses murs samedi dernier, et même dans les veines de ceux qui tremblaient eux-mêmes à l’intérieur de ces murs. La salle, structure métallique, conduisait les vibrations. Comme dans une boite de conserve, le public se serrait alors qu’autour de lui les musiciens s’installaient. C’était La Colonie de Vacances qui, des caves squattées aux piscines vidées, connaît tous les recoins. Le programme de la soirée, comme un oxymore, accolait leur nom ironique au côté de celui d’un lieu, style empire, berceau de l’opérette.
La Colonie de Vacances, on le rappelle, n’est pas une entité ordinaire. Ce n’est pas le nom d’un groupe mais d’une congrégation. C’est quatre groupes, dans une même salle, qui jouent... en même temps ! La salle dispose de quatre côtés, ça tombe bien. Ainsi, au pied de chacun d’entre eux est aménagée une scène, plus ou moins grande selon qui l’occupe. Les amateurs de noise/bourrin et de transe/core sont au milieu. Papier Tigre fait face à Pneu, Marvin à Electric Electric. Les morceaux s’enchaînent conduisant le son à faire le tour de la salle à travers les interventions alternées des quatre. On tourne la tête pour le suivre des yeux (ce qui n’est pas facile, il est si discret visuellement). Soirée torticolis !
On a déjà eu l’occasion de parler d’un concert de Marvin par ici, d’Electric Electric par là. Pneu et Papier Tigre, on les connaît aussi, c’est la même bande. Chacun a son petit plus ou son petit défaut quand il fait son set en intégralité. Avec La Colo, c’est pas pareil. Leur dialogue musical est si spectaculaire qu’il transcende la musique de chacun en une épopée artistique unique et inoubliable. Il y a d’une part la puissance indubitable de la simultanéité. Lorsqu’une fin de morceau est reprise à l’unisson par les copains, ça t’arrache le truc avec une force de colosse. Le morceau est porté à son paroxysme dans une osmose orgiaque. D’autre part, t’as les moments où ils se cherchent. Il y a une bande qu’envoie un premier assaut, une autre réplique, en face. Une troisième intervient, nouvelle rafale. La dernière répond, missiles sol-air ! Le son circule plus vite que l’ombre de ta bière. « Quadriphonie » qu’ils appellent ça. Un putain de ping-pong punk, ouais !
Les yeux ont ce qu’il faut pour les occuper. Il y a les jeux. Quatre groupes, ça laisse de la place à la variété des maniements. Les batteurs, c’est souvent ce qu’il y a de plus beau. Celui de Pneu est dans le spectacle permanent, déroulant les breaks à une vitesse interdite (ce ne sont d’ailleurs pas les morceaux de Pneu qui sont le plus aisément repris par les autres, on comprend bien pourquoi...). Le batteur de Papier Tigre, c’est l’inverse. Lui, que je croyais faible, est en fait, à mieux y voir, très précis, bien appliqué. Ses rythmes sont plutôt lents (pour le style), ses breaks, dans la retenue. Les batteurs d’Electric Electric et Marvin sont plus dans l’intensité. Celui des premiers galère à suivre les boucles de son guitariste, celui des seconds détient leur puissance.
Il est bon aussi de regarder les regards. Les yeux de ceux qui attendent leur tour, de ceux qui regardent ceux qui sont en train de jouer, de ceux qui regardent ceux qui sont en train de jouer en même temps qu’eux et avec qui ils doivent s’attacher à jouer en même temps.
Chaque groupe a son dispositif d’éclairage. C’est à leur déclenchement que l’on sait par où tourner la tête. Il donne à chacun une lumière authentique. Lorsque tous se chevauchent, l’éclat radieux d’un feu disparate chauffe alentour, la ferveur de chacun est alors avivée.
La Colonie de Vacances, c’est pas un groupe, c’est une expérience. Bon, ça paraît toujours galvaudé quand un mec dit ça pour parler d’un concert de Lara Fabian. Mais là, c’est pas pour flamber. C’est une expérience au sens où la perception corporelle du son est mise à l’épreuve de l’espace. La conscience à travers laquelle on perçoit ces structures sonores comme des ensembles cohérents a affaire à quelque chose de nouveau. Pour elle, la durée se dilue en une succession de surprises. Elle lâche prise. Il n’y a plus ce rapport conventionnel de l’auditeur à l’interprète, cette distance, mais une communion, la cérémonie brutale d’un rituel païen.
En terme d’expérience d’ailleurs, le chanteur de Papier Tigre, seul être parlant de la confrérie, a conseillé qu’on occupa le centre de la salle. Il dit : « pour ceux qui n’auraient pas compris, c’est au milieu que ça se passe. Si vous repartiez d’ici sans avoir été au milieu, vous auriez un peu raté votre soirée ». évidemment, le milieu est difficilement accessible. Je l’avais contourné jusqu’alors pour m’approcher de chaque groupe, alternativement, en passant derrière Pneu et devant Electric Electric pour accéder à Papier Tigre – Marvin, près des portes, était facile à atteindre. Il restait quelques morceaux et je décidai de me frayer un chemin. Presque au centre, je compris. C’est là qu’est le son bien sûr. Panorama dolby surround intégral. C’est aussi là qu’est l’ambiance. Le pogo, galvanisé par la multiple horde, bat son plein en une ronde ardente. Je le jauge prudemment. Ça bout. Tendant mon bras au-dessus des têtes, armé de mon Pentax, je reçois un coup de coude en contre-plongée, au niveau de la lèvre inférieure. Je m’écarte de l’échauffourée, buvant le sang que le tranchant de mes dents a fait jaillir de ma bouche (bon, là, j’exagère un peu, bilan des courses, je n’ai qu’un vulgaire aphte).
Je prends un peu de recul pour le rappel (pas trop vu ni compris comment ils faisaient pour savoir quand remonter sur scène, j’épongeais mon sang imaginaire).
Le set se termine sur un encore vigoureux (à ce moment-là, je ne cherchais plus trop à savoir de qui ils étaient).
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