Murmur Breeze - Foreshore Reverie
Il existe actuellement dans le hip-hop une espèce d’Internationale du micro-label où il se passe des choses véritablement passionnantes. Des structures comme Decorative Stamp en Angleterre, Cooler Than Cucumbers en France ou encore I Had An Accident Records aux Etats-Unis (pour n’en citer que quelques-unes) signent et mettent en avant des artistes novateurs - hélas évidemment encore trop confidentiels - animés par la volonté de sortir le hip-hop des sentiers battus et œuvrant dans l’amalgame singulier et parfaitement équilibré. Murmur Breeze est de ceux-là, duo franco-anglais qui, avec Foreshore Reverie, commet un deuxième disque en tout point remarquable. Impressions.
1. Always Curious [intro]
2. Cabin Flesh Laid Yesterday
3. A Picture With Idol
4. Flame Like Projection
5. According To Whose Plan
6. Float
7. Dusty Doorknobs
8. Catch The Mirage
9. Waterboard Funfare
10. Calm Before Tempest
11. Foreshore Reverie
12. Nativity Play Massacre
13. Back Lit And Cripplingly Seductive
14. Lude & Meditation
15. Deer Head In Bear Trap
16. Still Life With Holy Water Sprinkler
17. Third Light
18. Seamstress And The Risk
19. Always Curious [outro]
On entre dans ce disque à pas feutrés, trop peur d’en casser les ornements à la fois simples et fragiles, de déchirer le délicat voile diaphane qui en constitue l’atmosphère. Le temps que notre foulée devienne parallèle au rythme posé par les deux minutes d’Always Curious en introduction et ça commence ! Mais qu’est-ce qui commence au juste ? Un voyage en terre hip-hop mais abstraite, qui charrie son lot d’idées et d’ambiances, certes majoritairement inquiètes mais qui savent également montrer une grande luminosité. Un disque vraiment élégant même dans ses moments les plus expérimentaux ou la grammaire hip-hop se trouve bousculée par des accents minimalistes, répétitifs ou des bouts de field recordings qui, de toute façon, trouvent parfaitement leur place et n’œuvrent jamais dans la démonstration, toujours au service du message délivré. Un message clair, attiré par la rhétorique et donc fortement teinté de poésie.
D’ailleurs, le disque ressemble à une espèce de haïku musical dans sa façon de suggérer des instants ou des moments fugaces qui le morceau d’après, irrémédiablement, s’effacent. On passe par exemple des cordes minimalistes du très naturaliste According To Whose Plan au souffle patraque, répétitif et à la voix délavée de Dusty Doorknobs, quelque chose comme un tango expérimental au bout du rouleau. Entre les deux, Float et son ossature hip-hop classique pourtant rehaussée d’un violoncelle inquiet, un morceau qui tient vaguement de la chanson de marin (ce qui, avouons-le, n’est quand même pas banal). Ou comment, en trois morceaux à peine, varier les atmosphères et suggérer beaucoup avec quelques beats, des productions fourmillant d’idées, des arrangements simples et efficaces, des interventions instrumentales chiches, délicates mais déterminantes et une voix élastique.
Et il en va ainsi tout du long. D’où cet aspect kaléidoscopique et fortement poétique – le disque œuvre clairement dans le ici et le maintenant – qui tient le cerveau en haleine et la curiosité aussi. Foreshore Reverie mêle parfaitement les productions texturées d’AbSUrd au travail vocal de James P. Honey sous l’égide de jamesreindeer (ces deux derniers avaient d’ailleurs déjà collaboré le temps de Rough Tongue Surfaces en 2008 et sur quelques titres du magnifique Views From The Psychedelik Deathcab de lmntl819 & reindeer en 2009, tous deux sortis sur Milled Pavement) qui, lui aussi, fait des merveilles au mix et aux arrangements. Des instruments disséminés un peu partout, un souffle organique qui ne faiblit jamais, des accents asiatiques, dark, folk, urbains, des bouts de field recordings, des miettes minimalistes et un usage remarquable de la répétition, tout cela sans jamais casser la cohérence de l’ensemble. Un travail impressionnant.
Mais peut-être est-il temps de faire une rapide présentation des forces en présence : Murmur Breeze apparaît donc en 2008, fruit de la collaboration du beatmaker et producteur français AbSUrd avec le MC anglais James P. Honey le temps de Bird Irony, un premier long format qui portait en lui les germes de Foreshore Reverie. Un disque brut et rugueux qui voyait le duo expérimenter, chercher encore le bon dosage et dont l’écoute aujourd’hui permet de comprendre que Murmur Breeze, sur ce nouvel opus, vient de localiser son centre de gravité, trouvant ainsi son parfait équilibre. Et pourtant, Bird Irony était déjà passionnant, c’est dire la qualité de Foreshore Reverie. Toutes les idées présentes précédemment sont ici parfaitement exploitées : pistes sombres, utilisation variée d’instruments divers (pêle-mêle banjo, guitare, piano, orgue, synthétiseur, sitar et cithare et violoncelle en plus des percussions qui viennent rehausser les beats d’AbSUrd), touches électroniques, beats languides ou clairs pour un disque empreint d’une sourde mélancolie et vraiment singulier dans le paysage des musiques urbaines actuelles par son fort aspect organique qui évoque bien d’autres choses que le béton et les barres d’immeuble ou les gratte-ciel. Et partout ces touches instrumentales apportées par quelques invités – on note en particulier les interventions multiples de Nadia D’Alò au sitar entre autres et le support vocal de Mildew et Babel Fishh en plus de celles de jamesreindeer sans oublier Jamie Romain et Michael Rea respectivement au violoncelle et au banjo, collaborateurs réguliers de cette nébuleuse hip-hop européenne – et ces field recordings qui s’entrelacent, se succèdent, se percutent et soulignent toute l’authenticité de Foreshore Reverie, lui apportant muscle et chair, élan et profondeur, complétant sa si parfaite justesse.
Un disque papier de riz souvent très proche de l’estampe japonaise, tout en finesse et en rigueur, aux détails nombreux et au message retenu, contenu, ce qui décuple son efficacité. On passe d’un morceau à l’autre sans heurts, tout s’imbrique et s’emboîte parfaitement, dévoilant une architecture joliment réfléchie, menée de main de maître par les productions très détaillées et aérées d’AbSUrd sur lesquelles se meut le flow protéiforme de James P. Honey, alternant voix blanche, patraque, fatiguée et flow volubile et véloce, une voix qui, quelque soit son registre, à chaque fois, fait mouche. Le duo fonctionne parfaitement, montre une belle complicité et alors que productions et parties vocales permettent aux deux protagonistes d’exprimer toute leur créativité, celle-ci est en plus parfaitement mise en lumière par le travail remarquable de jamesreindeer au mix et aux arrangements, rendant les entrelacs et les circonvolutions synthético-organiques limpides, mettant en avant les multiples détails de l’ensemble. On entend tout et tout est naturel.
Un relief varié donc mais au climat majoritairement froid et inquiet. Les sommets sont nombreux : l’évidence mélodique du fabuleux Back Lit And Cripplingly Seductive, la tension suggérée par Flame Like Projection et son sitar rêveur et lointain, les interludes bien placés que représentent Lude&Meditation ou Seamstress And The Risk, ou encore le très mouvant Third Light et ses percussions sèches comme des coups de trique et ainsi de suite. Tous des manifestes cubico-rap au pouvoir de suggestion intense, atmosphériques, provoquant nombre de sensations dans le corps ainsi parcouru plus d’une fois de sacrés frissons. Un disque comme un long travelling arrière, du très gros plan (les dix-neuf morceaux que compte Foreshore Reverie pris un à un) au grand angle (le disque dans son entier) quand le dernier souffle du dernier morceau résonne et que le paysage apparaît alors dans toute son élégance et sa délicatesse. Et de retrouver alors le rythme singulier de cet Always Curious introductif, cette fois-ci placé en épilogue, qui nous accompagne encore un temps avant de nous lâcher la main au coin de la rue. Et nous de rattraper Foreshore Reverie avant qu’il ne disparaisse dans la foule pour repartir en errance à ses côtés.
Brillant.
Pour illustrer le propos, trois vidéos de Murmur Breeze :
Celle de l’impressionnant et superbe Flame Like Projection...
... celle du singulier et patraque Float...
... et pour terminer, celle du curieux mais néanmoins très réussi Dusty Doorknobs.
Toutes trois parfaitement représentatives de l’atmosphère que vous réserve l’écoute de Foreshore Reverie.
Le disque est en écoute intégrale via Bandcamp ou Decorative Stamp et a fait l’objet d’un Streaming du jour.
Sorti de la poudre aux yeux des Drake, Kendrick Lamar ou Watch The Throne et autres trips vaguement arty à la Shabazz Palaces ou Tyler The Creator plébiscités en masse par la presse indie rock (les deux derniers sans être mauvais ayant largement déçu mes espérances), 2011 ne fut pas un grand cru hip-hop. Heureusement, même une petite année compte (...)
Derrière Murmur Breeze se cachent les productions du Français AbSUrd et les textes de l’Anglais James P. Honey qui leur prête également son flow. Deux noms qui ne vous disent peut-être rien mais si on on ajoute qu’un certain jamesreindeer s’est occupé du mix, certains se rappelleront probablement de Views From The Psychedelik Deathcab de lmntl819 (...)
- Sulfure Session #1 : Aidan Baker (Canada) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Sulfure Session #2 : The Eye of Time (France) - Le Vent Se Lève, 3/02/2019
- Aidan Baker + The Eye of Time (concert IRM / Dcalc - intro du Sulfure Festival) - Le Vent Se Lève (Paris)
- Le Crapaud et La Morue - La Roupette
- Nappy Nina & Swarvy - Out the Park
- Greg Cypher - Hello, I Must Be Going
- Hugo Monster feat. Paavo (prod. LMT. Break) - Checks In The Mail
- Bruno Duplant - du silence des anges
- Roland Dahinden performed by Gareth Davis - Theatre Of The Mind
- Hochzeitskapelle - We Dance
- Adrian Younge - Linear Labs : São Paulo
- Grosso Gadgetto - Addictive Substance Compilation
- R$kp - Weird Place
- IRM Expr6ss #14 - ces disques de l’automne qu’on n’a même pas glissés dans l’agenda tellement on s’en foutait : Primal Scream ; Caribou ; Tyler, The Creator ; Amyl and the Sniffers ; Flying Lotus ; The Voidz
- Tarwater - Nuts of Ay
- Hochzeitskapelle - We Dance EP
- Bruno Duplant - du silence des anges
- Theis Thaws - Fifteen Days EP